AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLEE PLENIERE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Chambre sociale, 15 février 2001, pourvoi n° U 99-15.133), que le 4 juillet 1989, M. X..., salarié de la société Norgraine, aidait un collègue de travail à déplacer un échafaudage métallique pour le ranger sur le côté du bâtiment de l'entreprise comme il le faisait tous les soirs depuis un mois ;
qu'au cours de la manoeuvre, l'échafaudage, qui avait été surélevé le matin même pour permettre de peindre le haut de ce bâtiment, a heurté une ligne électrique ; que M. X..., blessé dans cet accident, a demandé une indemnisation complémentaire sur le fondement de la faute inexcusable de l'employeur ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :
Vu les articles 1147 du Code civil, L. 411-1 et L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, ensemble le décret n° 65-48 du 8 janvier 1965 ;
Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. X... tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, l'arrêt, sans exclure l'existence d'un accident du travail, retient que l'accident n'est pas survenu au cours de l'exécution de travaux dans le voisinage d'une ligne électrique dès lors qu'ils étaient exécutés à 50 mètres environ de celle-ci, mais en fin de journée alors que le travail était terminé, et que le salarié avait fait preuve de négligence, d'imprudence et d'inattention, qui étaient la cause déterminante de l'accident, sans que ne soit démontré un manquement de l'employeur ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger lié à la présence de la ligne électrique et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver le salarié, notamment au regard des prescriptions du décret du 8 janvier 1965, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le moyen pris en sa quatrième branche :
Vu l'article L. 453-1 du Code de la sécurité sociale ;
Attendu que la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable ; que seule une faute inexcusable de la victime, au sens de l'article L. 453-1 du Code de la sécurité sociale, peut permettre de réduire la majoration de sa rente ; que présente un tel caractère la faute volontaire de la victime d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ;
Attendu que pour rejeter la demande de majoration de la rente, l'arrêt retient que la cause déterminante de l'accident se trouve dans la faute de la victime qui, compétente et expérimentée, ayant nécessairement connaissance et conscience du danger encouru à l'approche d'une ligne électrique par un matériel métallique, a fait preuve de négligence, d'imprudence et d'inattention ;
Qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à exonérer l'employeur de sa responsabilité et alors que ces faits n'ont pas le caractère d'une faute inexcusable de la victime, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 2002 entre les parties par la cour d'appel d'Amiens ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Norgraine et la Caisse primaire d'assurance maladie de Lens aux dépens ;
Vu l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, condamne la société Norgraine à payer à la SCP Richard la somme de 2 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en Assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille cinq.
LE CONSEILLER RAPPORTEUR, LE PREMIER PRESIDENT,
LE GREFFIER EN CHEF ADJOINT.
Moyen produit par la SCP Yves Richard, avocat aux Conseils, pour M. X...
Moyen annexé à l'arrêt n° 528 P (Assemblée plénière)
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande tendant à voir ordonner la majoration, au maximum prévu par la loi, de la rente qui lui est due au titre de l'accident du travail dont il a été victime et de voir ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses différents chefs de préjudice ;
AUX MOTIFS QUE constitue une faute inexcusable le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité résultant du contrat de travail lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que l'accident dont a été victime Jean-Claude X... n'est pas survenu au cours de l'exécution de travail dans le voisinage d'une ligne électrique, les travaux étant exécutés à 50 mètres environ de la ligne à haute tension (déclaration non contredite par M. Y..., directeur) mais en fin de journée, alors que le travail était terminé et que Jean-Claude X..., magasinier, aidait son collègue, Pascal Z..., préposé à l'entretien du bâtiment, à déplacer, comme il le faisait chaque soir, l'échafaudage, rehaussé le matin même, pour le ranger hors la vue du public, sur le côté de l'établissement ; que dès lors, aucun manquement de l'employeur aux obligations découlant des articles 171, 172, 177 et 181 du décret du 8 janvier 1965 ne peut être retenu, ces dispositions concernant les travaux exécutés au voisinage des lignes ou installations électriques ; que l'accident est survenu alors que les travaux ayant débuté depuis plusieurs jours, l'échafaudage avait été surélevé le matin même, ce que n'ignoraient pas les victimes ; qu'il n'est pas établi, ni d'ailleurs soutenu, que cette surélévation récente ait été ordonnée par l'employeur ou qu'elle ait été portée à sa connaissance ; qu'il n'est pas davantage établi que l'employeur a imposé aux salariés de ranger l'échafaudage, après le travail, sur le côté du bâtiment ; qu'il résulte du procès-verbal établi par les services de police, et notamment de la déclaration de Pascal Z..., que celui-ci et la victime, qui connaissaient l'existence de la ligne électrique, ont, en réalité oublié que l'échafaudage avait été rehaussé et qu'ils ne regardaient pas en l'air, ne pensant qu'à bien diriger l'échafaudage ; que dans ces conditions, la cause déterminante de l'accident se trouve dans la faute de la victime qui, compétente, expérimentée, ayant nécessairement connaissance et conscience du danger encouru à l'approche d'une ligne électrique par un matériel métallique, a fait preuve de néglience, d'imprudence et d'inattention sans qu'un manquement de l'employeur au sens défini ci-dessus soit démontré ; que Jean-Claude X... a donc été à juste titre débouté de ses demandes ;
1 / ALORS QUE la cour d'appel a constaté que l'accident était survenu alors que M. X... déplaçait, afin de le ranger pour la nuit à proximité de la ligne électrique, l'échafaudage sur lequel il travaillait ; qu'en affirmant néanmoins que l'accident n'était pas survenu au cours de l'exécution du travail à proximité de la ligne électrique, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale ;
2 / ALORS QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en décidant néanmoins que la société Norgraine n'avait pas commis de faute inexcusable à l'occasion de l'accident survenu au préjudice de M. X..., sans constater qu'il n'aurait pas eu ou dû avoir conscience du danger auquel celui-ci était exposé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale ;
3 / ALORS QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en décidant cependant que la société Norgraine n'avait pas commis de faute inexcusable à l'occasion de l'accident du travail survenu au préjudice de M. X..., sans constater qu'elle aurait pris les mesures nécessaires pour préserver celui-ci du danger auquel il était exposé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale ;
4 / ALORS QUE, lorsque l'employeur a commis une faute inexcusable, seule une faute inexcusable commise par le salarié peut être opposée à celui-ci ; qu'en décidant néanmoins que M. X... ne pouvait prétendre à une majoration de la rente, dès lors qu'il avait lui-même commis une faute à l'origine de l'accident, sans constater que cette faute aurait présenté un caractère inexcusable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-1, L. 431-1, L. 452-1, L. 452-2 et L. 453-1 du Code de la sécurité sociale.