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23/03/2004 | FRANCE | N°03-87854

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 mars 2004, 03-87854


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois mars deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Daniel,

- LA SOCIETE X...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de GREN

OBLE, en date du 2 décembre 2003, qui, dans l'information suivie contre eux du chef de trompe...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois mars deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Daniel,

- LA SOCIETE X...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de GRENOBLE, en date du 2 décembre 2003, qui, dans l'information suivie contre eux du chef de tromperie, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 12 janvier 2004, prescrivant l'examen immédiat des pourvois et ordonnant leur jonction en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article préliminaire, des articles 81, 173, 174, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'ordonner la nullité de tous les actes d'instruction à compter de la commission rogatoire du 24 janvier 2002 délivrée par Mme Piccinin, juge d'instruction du tribunal de grande instance de Gap ;

"aux motifs que l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme stipule que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement...par un tribunal indépendant et impartial et que le jugement doit être rendu publiquement... ; qu'ainsi, il est certain que cet article ne s'applique qu'à une juridiction de jugement, ce qui n'est pas le cas d'un juge d'instruction ; que ces dispositions ne concernent que les juridictions appelées à se prononcer sur le fond de l'affaire ; qu'elles ne sauraient donc être invoquées en l'espèce, les décisions du juge d'instruction ne préjugeant en rien sur la culpabilité ; qu'au surplus, pour pouvoir soulever une nullité, il faut, selon les dispositions de l'article 173 du Code de procédure pénale, qu'il y ait eu violation d'une disposition de procédure pénale, en l'occurrence le défaut présumé d'impartialité n'est pas une disposition de procédure pénale ; que la seule voie ouverte, recouvrant les dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme en les étendant à toutes causes et procédures en sus de la phase de jugement, est celle de la récusation (...) ; qu'agir sous la forme d'une requête en nullité, est donc un détournement de procédure ne mettant pas à même la personne "accusée" de partialité en mesure de se défendre (...) ;

que la requête en nullité visant la partialité supposée du juge d'instruction doit être déclarée irrecevable ; qu'il lui appartenait en sus, pour soulever la nullité, de viser et démontrer une violation effective et non potentielle des dispositions invoquées ; qu'il peut également présenter une requête au président en dessaisissement ;

"alors que, d'une part, le principe d'impartialité, tel que consacré par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'applique aussi bien aux magistrats des juridictions de jugement qu'à ceux des juridictions d'instruction ; qu'ainsi, la chambre de l'instruction ne pouvait pas déclarer irrecevable la requête en nullité présentée par les personnes mises en examen qui avait sollicité l'annulation de l'ensemble des actes commis par le juge d'instruction en violation de ce principe ;

"alors que, d'autre part, ne sont valables que les actes de procédure effectués par un juge d'instruction compétent et agissant dans le cadre de ses pouvoirs ; que sa compétence et ses pouvoirs s'apprécient au regard de l'ensemble des règles qui gouvernent son intervention, y compris au regard de la règle d'impartialité objective qu'il doit respecter à tout moment de la procédure ; que, si cette impartialité objective n'existe pas, ou vient à disparaître, les parties sont recevables et bien fondées à solliciter l'annulation des actes effectués par lui en méconnaissance de cette exigence fondamentale, peu important l'existence de procédures de dessaisissement parallèles qui peuvent se combiner avec une requête en nullité mais qui n'ont ni le même objet ni le même effet puisqu'elles ne peuvent aboutir à la nullité des actes passés ; que la chambre de l'instruction a donc violé les textes et principes susvisés ;

"alors, enfin, que caractérise un doute objectif sur l'impartialité du juge d'instruction le fait que celui-ci soit le conjoint d'un avocat qui est l'avocat d'une partie civile dans une autre procédure dirigée contre les personnes mises en examen ; que l'appréhension des personnes mises en examen ainsi objectivement justifiée, nécessaire et suffisant pour la mise en oeuvre de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, devait entraîner la nullité de tous les actes diligentés par le juge d'instruction" ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la requête en annulation présentée par les personnes mises en examen, au motif que le magistrat instructeur n'offrait pas toute garantie objective d'impartialité, l'arrêt attaqué

énonce que les dispositions de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'appliquent pas au juge d'instruction, lequel ne pouvait faire l'objet que d'une procédure de récusation ou d'une demande de dessaisissement ;

Attendu que, si c'est à tort que les juges ont prononcé ainsi, l'exigence d'impartialité s'imposant aux juridictions d'instruction à l'encontre desquelles un tel grief peut être invoqué indépendamment de la mise en oeuvre des procédures de récusation ou de renvoi, la décision n'encourt pas pour autant la censure, dès lors que l'intervention du conjoint du juge d'instruction en qualité d'avocat du commissaire au redressement judiciaire de la société X..., dans une procédure distincte, clôturée à la date de l'ouverture de l'information objet des présents pourvois, n'est pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité du magistrat concerné ;

Qu'ainsi, le moyen est inopérant ;

Mais sur le moyen de cassation relevé d'office, les parties ayant été avisées, pris de la violation des articles 113-2 et 152 du Code de procédure pénale ;

Vu lesdits articles, dans leur rédaction issue de la loi du 15 juin 2000 ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que toute personne nommément visée par une plainte et qui n'a pas acquis la qualité de témoin assisté peut être entendue par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Daniel et Valérie X..., nommément visés dans une plainte avec constitution de partie civile ayant donné lieu à l'ouverture d'une information contre personne non dénommée, ont été entendus, en exécution d'une commission rogatoire, par des officiers de police judiciaire, après y avoir consenti, connaissance leur ayant été préalablement donnée des articles 113-2 et 152 du Code de procédure pénale ;

Attendu que, pour annuler ces procès-verbaux d'audition, ainsi que les mentions correspondantes de la commission rogatoire, l'arrêt retient que les intéressés ne pouvaient être entendus dans de telles conditions qu'après que le juge d'instruction les eut informés de leur droit d'obtenir le statut de témoin assisté ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe énoncé ci-dessus ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions, ayant prononcé l'annulation des auditions cotées D 77, D 78, D 88 et D 88/1 et ordonné la cancellation, dans la commission rogatoire cotée D 42, du troisième paragraphe du deuxième feuillet, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 2 décembre 2003 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Agostini conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mme Beaudonnet, M. Chaumont conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Fréchède ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-87854
Date de la décision : 23/03/2004
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - 1 - Tribunal - Impartialité - Domaine d'application - Juridictions d'instruction.

1° L'exigence d'impartialité s'impose aux juridictions d'instruction à l'encontre desquelles le grief peut être invoqué indépendamment de la mise en oeuvre des procédures de récusation ou de renvoi (1).

2° INSTRUCTION - Commission rogatoire - Exécution - Audition de témoin - Audition en qualité de témoin d'une personne nommément visée par une plainte avec constitution de partie civile - Conditions - Détermination.

2° Toute personne nommément visée par une plainte avec constitution de partie civile et qui n'a pas acquis la qualité de témoin assisté peut être entendue par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction. En conséquence, encourt la censure l'arrêt qui annule des procès-verbaux d'audition de témoins qui, au surplus, avaient consenti à être entendus dans ces conditions après avoir eu connaissance des articles 113-2 et 152 du Code de procédure pénale, aux motifs que le juge d'instruction ne les avait pas informés de leur droit d'obtenir le statut de témoin assisté (2).


Références :

1° :
2° :
Code de procédure pénale 113-2, 152 (rédaction loi 2000-516 du 15 juin 2000)
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fontamentales du 04 novembre 1950 art. 6.1

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble (chambre de l'instruction), 02 décembre 2003

CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 2000-01-06, Bulletin criminel 2000, n° 5, p. 8 (cassation) ; Chambre criminelle, 2000-05-16, Bulletin criminel 2000, n° 191, p. 564 (cassation) ; Chambre criminelle, 2003-01-14, Bulletin criminel 2003, n° 6, p. 16 (rejet) ; Chambre criminelle, 2004-03-10, Bulletin criminel 2004, n° 65 (2), p. 250 (rejet). CONFER : (2°). (2) A comparer : Chambre criminelle, 2001-11-14, Bulletin criminel 2001, n° 238 (4), p. 766 (désistement, rejet et cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 mar. 2004, pourvoi n°03-87854, Bull. crim. criminel 2004 N° 76 p. 287
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 76 p. 287

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Fréchède.
Rapporteur ?: Mme Agostini.
Avocat(s) : la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.87854
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