AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 octobre 2001), que l'hebdomadaire "Ici Paris", édité par la société Hachette Filipacchi associés (HFA) (la société) a publié dans son numéro du 6 au 12 mai 1998 un article consacré à M. X...
Y..., illustré de photographies, selon lequel il s'était rendu à une compétition sportive en compagnie du fils de Mme Claire Z..., et lui reprochait de s'être montré avec l'enfant devant les objectifs pour pouvoir obtenir des tribunaux des indemnités une fois les photographies publiées ; que l'article était annoncé en première page sous le titre "Cette fois, il fait fort, Patrick X...
Y..., Honte et Scandale" ; que M. X...
Y... a assigné la société en indemnisation devant le tribunal de grande instance en invoquant une diffamation sur le fondement des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, et subsidiairement une faute sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, ainsi qu'une atteinte à la vie privée et au droit au respect de son image sur le fondement de l'article 9 du Code civil ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société au paiement de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée et au droit au respect de l'image, alors, selon le moyen :
1 / que l'article 9 du Code civil assure à chacun la protection de l'intimité de sa vie privée ; que cette protection est nécessairement limitée lorsqu'elle s'applique au profit d'un personnage public d'une exceptionnelle notoriété comme Patrick X...
Y... ; que le fait, pour le présentateur, de s'afficher publiquement, lors d'une manifestation publique fortement médiatisée, en compagnie de l'enfant de Claire Z..., malgré les rumeurs circulant sur sa paternité à l'égard de l'enfant, permettait à l'organe de presse de relater l'événement, fût-il extérieur à l'activité professionnelle de l'intéressé, et de s'interroger sur les sentiments qu'il portait à l'enfant, sans porter atteinte à l'intimité de la vie privée de Patrick X...
Y... ; qu'en estimant le contraire pour déclarer la société HFA responsable d'une atteinte à la vie privée de l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article 9 du Code civil ;
2 / que l'article 9 du Code civil n'assure la protection du droit de chacun à son image que lorsque celle-ci est liée à la vie privée ; que cette protection ne concerne pas les clichés pris à l'occasion d'apparitions volontairement et manifestement publiques d'un personnage public fortement médiatisé ; que la présence de Patrick X...
Y..., en compagnie du jeune fils de Claire Z... à Monaco, lors d'une manifestation sportive et mondaine couverte par de nombreux photographes, de surcroît dans la tribune officielle du Prince A... de Monaco, fût-elle sans lien avec son activité professionnelle, ne pouvait être considérée comme relevant de l'intimité de sa vie privée, de sorte que la publication de certaines photos prises à cette occasion ne pouvait être considérée comme portant atteinte au droit à l'image de Patrick X...
Y..., liée à sa vie privée ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel a, à nouveau, violé l'article 9 du Code civil ;
3 / que la restriction de la liberté d'expression de l'organe de presse "Ici Paris", qui se bornait à relater la présence de Patrick X...
Y..., en compagnie du jeune fils de Claire Z..., au tournoi international de tennis à Monte-Carlo, et à s'interroger sur les sentiments du présentateur à l'égard de l'enfant, et qui publiait quelques photos prises dans la tribune officielle du Prince A... de Monaco, représentant Patrick X...
Y... en compagnie de l'enfant ne correspondait pas, compte tenu de ce que Patrick X...
Y... avait délibérément fait choix d'un lieu fortement exposé, alors qu'il était conscient des rumeurs circulant sur la paternité à l'égard de l'enfant, à un besoin social assez impérieux pour primer l'intérêt public s'attachant à la liberté d'expression, et n'était ni nécessaire dans une société démocratique, ni proportionnée au but poursuivi pour garantir la protection des droits d'autrui ; que, dès lors, la cour d'appel a violé l'article 10-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4 / qu'en s'abstenant de rechercher si, compte tenu des éléments particuliers de l'espèce, notamment du comportement délibéré de l'intéressé, la condamnation au paiement de dommages-intérêts d'un montant de 50 000 francs était nécessaire dans une société démocratique à la protection des droits d'autrui, et si cette condamnation ne revêtait pas un caractère exorbitant et en tout cas disproportionné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-2 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale ;
que, selon l'article 9 du Code civil, toute personne a droit au respect de sa vie privée et de son image ; que la seule constatation de l'atteinte ouvre droit à réparation ;
Et attendu que l'arrêt retient que les atteintes à la vie privée et au droit au respect de l'image sont caractérisées par le seul fait de relater, en l'illustrant de photographies sans autorisation de l'intéressé et sans motif d'actualité, la présence à titre privé de M. X...
Y... à une manifestation sportive sans lien avec son activité professionnelle ; que les digressions sur les sentiments qu'il porterait à l'enfant sont autant d'atteintes à sa vie privée ; que la société ne démontre pas qu'il se serait "offert" à l'objectif ;
Que par ces constatations et énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes précités ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour allouer à M. X...
Y... des dommages-intérêts pour "abus de la liberté d'expression" sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'article litigieux a, par un procédé déloyal, imputé à l'intéressé un comportement cupide ayant consisté à étaler au grand jour sa vie familiale pour intenter des procès dans un but purement lucratif et d'avoir ainsi "empoché des sommes confortables" ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les faits retenus au titre de la faute constituaient une diffamation, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
Et vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 49 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il y a lieu de mettre un terme au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
Attendu que la cour d'appel a constaté l'abandon par M. X...
Y... de ses prétentions relatives aux faits de diffamation publique envers un particulier ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :
CASSE ET ANNULE en ses seules dispositions ayant confirmé la condamnation de la société Hachette Filipacchi associés à des dommages-intérêts pour abus de la liberté d'expression envers M. X...
Y..., l'arrêt rendu le 4 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Constate le désistement du plaignant de son action en diffamation ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Hachette Filipacchi associés ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille quatre.