AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 octobre 2000), qu'à la suite du décès de Jean-Claude X..., ressortissant français, demeurant en Haïti, l'Agence France presse (AFP) a diffusé, les 4 et 6 novembre 1996, deux dépêches dont certains passages ont été considérés par l'épouse et les enfants de feu Jean-Claude X... comme revêtant un caractère diffamatoire et portant atteinte à la mémoire du défunt ainsi qu'à la dignité de sa famille ; que les consorts X... ont, par acte d'huissier de justice du 11 juillet 1997, fait assigner l'AFP devant le tribunal d'instance en réparation de leur préjudice, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; qu'après avoir analysé la teneur des propos incriminés et retenu qu'ils relevaient de l'article 34, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, le Tribunal a constaté la prescription de l'action, en application de l'article 65 de la loi précitée, et l'a déclarée irrecevable ;
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes, alors, selon le moyen :
1 / qu'en matière de presse, l'application des dispositions générales de l'article 1382 du Code civil ne saurait être limitée aux cas où la publication litigieuse constitue un abus de la liberté d'expression caractérisée par une intention de nuire, une déformation des faits ou une négligence manifeste dans la vérification de l'information ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2 / que l'absence de vérification de l'information publiée constitue une faute ; que dès lors, en énonçant, pour débouter les consorts X... de leurs demandes, que les pièces versées aux débats ne contredisaient pas les informations données, sans rechercher si lesdites informations, présentées comme établies par l'AFP, avaient été préalablement vérifiées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
3 / que, tenus de motiver leurs décisions, les juges du fond doivent examiner, au moins sommairement, les éléments de preuve versés aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, les consorts X..., qui faisaient valoir que les faits imputés à Jean-Claude X... n'étaient pas avérés, avaient produit aux débats la plainte déposée par ses prétendues victimes d'où il résultait que lesdits faits avaient été commis le 21 juillet 1993, et la copie de son passeport d'où il résultait qu'il avait quitté le territoire haïtien le 17 juillet 1993 ; que dès lors, en se bornant à énoncer que les informations relatées par l'AFP n'étaient pas contredites par les pièces versées aux débats, sans examiner lesdites pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que l'allégation par voie de presse de faits de pédophilie commis par une personne cause nécessairement un préjudice à ses héritiers ; que dès lors, en énonçant que les consorts X... n'établissaient pas la réalité de leur préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que, dans les instances civiles en réparation des délits prévus par la loi précitée, l'action résultant d'une de ces infractions se prescrit après trois mois révolus, à compter du jour où l'infraction a été commise ou du jour du dernier acte de procédure, s'il en a été fait ;
Et attendu que l'arrêt retient que les consorts X... se plaignent dans l'exploit introductif d'instance délivré à l'AFP "d'allégations grossièrement diffamatoires" ou encore "d'agissements parfaitement attentatoires à la mémoire de Jean-Claude X... comme à la dignité de sa famille" ; qu'à suivre les consorts X..., les textes litigieux de l'AFP comporteraient de ce fait les éléments de l'infraction réprimée par l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 ; que le Tribunal, restituant aux faits leur exacte qualification, a relevé à bon droit que les propos étaient considérés comme diffamatoires par les demandeurs et, sur la constatation que les dépêches AFP avaient en l'espèce été diffusées les 4 et 6 novembre 1996, jugé qu'une telle action était, à la date de l'acte introductif d'instance, depuis longtemps prescrite ;
Que par ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'action de l'épouse et des enfant de Jean-Claude X..., bien que fondée sur l'article 1382 du Code civil, relevait des dispositions de l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881, et que cette action, atteinte par la prescription de l'article 65 de la loi précitée, était irrecevable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes respectives des consorts X... et de l'AFP ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille trois.