AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit février deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... René,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 4 juillet 2002, qui, pour usage d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts, l'a condamné à 2 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 441-1 et 441-7 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré René X... coupable d'avoir fait usage de deux attestations rédigées par Nicole Y... et André Z... faisant état de faits matériellement inexacts, au préjudice de Ghislaine A... et de l'avoir, en conséquence, condamné à une amende délictuelle de 2 000 euros avec sursis ;
"aux motifs que l'usager des deux attestations litigieuses ne conteste pas qu'elles ont, d'une façon ou d'une autre, été remplies sous sa dictée, selon des termes par lui choisis ; qu'il a versé aux débats ces attestations à la procédure civile initiée contre Ghislaine A... afin de convaincre le tribunal faute de documents contractuels démontrant un prêt entre les parties, tels que, par exemple, une reconnaissance de dette, indiquant que la somme de 230 000 francs avait été prêtée et non donnée à Ghislaine A... pour l'achat d'un terrain alors que le couple vivait en concubinage et avait un enfant ; que le tribunal pouvait fort bien, à l'examen de ces attestations et au regard de la jurisprudence qui admet que les personnes liées par des liens particuliers de famille ou d'affection peuvent, pour un prêt, ne s'être pas consenti de reconnaissance de dette, déterminer sa décision ; qu'en effet, les deux attestations, en dépit de leur maladresse et de l'imprécision de l'une d'entre elles, indiquent clairement que la somme de 230 000 francs était destinée à être prêtée à Ghislaine A... ; que cependant René X... ne fait aucunement la preuve d'un prêt ;
que ses déclarations contradictoires au civil, sur l'absence de reconnaissance de dette, au pénal, sur l'existence d'une telle pièce qui aurait disparu, la rétractation de Nicole Y..., l'existence d'un modèle pour que les attestations soient identiques alors qu'il est démontré par l'information qu'André Z... ne connaissait ni le montant du prêt ni la banque prêteuse, l'illogisme de l'existence d'un prêt relais au nom de Ghislaine A... si ce n'est pour permettre d'assurer l'avenir de celle-ci et de son enfant sans souci de remboursement, tous ces éléments démontrent suffisamment l'inexistence d'un prêt dont, pourtant, les attestations litigieuses mentionnent faussement l'existence, attestations destinées à influer sur la décision du tribunal civil et à priver Ghislaine A... de son terrain ; que le délit d'usage d'attestations inexactes est constitué ;
"alors que, d'une part, ne rentre pas dans les prévisions de l'article 441-7 du Code pénal le document écrit qui ne contient aucune affirmation de faits matériels présentés comme indiscutables ; qu'en l'espèce, les attestations produites faisaient état de ce que "la somme de 230 000 francs empruntée par René X... auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Brie était destinée à être prêtée à Ghislaine A... afin de permettre à cette dernière d'acquérir le terrain situé ..." ; que ces documents se bornaient donc à attester que la somme empruntée par René X... "était destinée à être prêtée à Ghislaine A..." mais ne constataient nullement que cette somme avait réellement été prêtée par le prévenu à sa compagne, à charge pour celle-ci de rembourser le prêt consenti ; qu'en affirmant, cependant que les attestations litigieuses mentionnent faussement l'existence d'un prêt effectivement consenti à Ghislaine A... et constituent donc des attestations inexactes, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;
"alors que, d'autre part, doit être déclaré nul l'arrêt qui ne contient pas de motifs, la contradiction de motifs équivalant au défaut de motifs ; que la cour d'appel qui a constaté que les attestations litigieuses "indiquent clairement que la somme de 230 000 francs était destinée à être prêtée à Ghislaine A..." tout en affirmant qu'elles mentionnent l'existence d'un prêt, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé les dispositions susvisées" ;
Vu les articles 441-7 et 111-4 du Code pénal ;
Attendu que les dispositions de l'article 441-7 précité ne s'appliquent qu'aux certificats ou attestations faisant état de faits matériellement inexacts ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que René X... a produit, au soutien de l'action en remboursement d'un prêt qu'il a exercée devant le tribunal de grande instance contre son ancienne compagne, Ghislaine A..., deux attestations aux termes desquelles André Z... et Nicole Y... déclaraient que la somme de 230 000 francs qu'il avait empruntée à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Brie était destinée à être prêtée à celle-ci afin de lui permettre d'acquérir un terrain ; que le tribunal correctionnel a déclaré André Z..., Nicole Y... et René X... coupables, les deux premiers d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts, le troisième d'usage desdites attestations ; que René X... a, seul, interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement à son égard, les juges du second degré relèvent que l'appelant a reconnu avoir dicté à leurs signataires les termes identiques des deux attestations et les avoir versées aux débats de la juridiction civile afin de la convaincre de l'existence d'un prêt qu'il ne pouvait établir par la production d'une reconnaissance de dette ;
Mais attendu qu'en se prononçant ainsi, alors que les attestations qui se bornaient à faire état d'un projet de prêt ne contenaient aucune affirmation de faits matériels inexacts, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 4 juillet 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Roman, Palisse, Le Corroller, Béraudo conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Beaudonnet, Gailly, Salmeron conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;