AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze février deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller FARGE, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'assises de PARIS, en date du 1er mars 2002, qui, pour meurtre, l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la Cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 331, alinéa 4, et 332, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, 6.1 et 6.3b) de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble violation des droits de la défense ;
"en ce qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'à l'audience du 27 février 2002 au matin, le témoin Christian Y... a commencé sa déposition, puis a été interrompu par le président qui lui a posé des questions, après quoi la séance a été levée et ce n'est que l'après-midi, après une interruption de 1 heure 20, que le témoin a pu poursuivre sa déposition, après quoi il a été à nouveau posé des questions ;
"alors que les dispositions de l'article 331, alinéa 4, selon lesquelles les témoins ne sont pas interrompus dans leur déposition sont un élément essentiel du procès équitable ; que la prohibition des interruptions ne reçoit exceptions que dans trois cas, d'une part, lorsque le témoin n'est en état de déposer ni sur les faits reprochés à l'accusé, ni sur sa personnalité, d'autre part, lorsque la déposition du témoin comporte des déclarations qui compromettent la dignité des débats, enfin, lorsqu'au cours de la déposition, il apparaît nécessaire de présenter au témoin des documents ou des pièces à conviction ; qu'il résulte du procès-verbal des débats que l'interruption de l'audition du témoin Y... n'a eu pour seul motif que l'arrivée de l'heure du déjeuner, arbitrairement fixée par le président à 13 h 25, et qu'en cet état l'interruption de sa déposition constitue une violation caractérisée des textes susvisés ;
"alors qu'il résulte des dispositions de l'article 332, alinéa 1er, du Code de procédure pénale que le président doit impérativement attendre la fin de la déposition du témoin pour lui poser des questions et qu'en posant des questions au témoin Y... avant la fin de sa déposition, le président a méconnu le texte susvisé ;
"alors que le fait de poser des questions au témoin avant la fin de sa déposition porte nécessairement atteinte aux intérêts de la défense dans la mesure où les questions posées au témoin sont de nature à influencer la suite de sa déposition et à faire ainsi obstacle à la manifestation de la vérité ;
"alors qu'il résulte des dispositions de l'article 6.3b) de la Convention européenne des droits de l'homme que tous les témoins, aussi bien à charge qu'à décharge, doivent être entendus dans les mêmes conditions et qu'en réservant un sort particulier à l'audition du témoin Y..., interrompue sans motif sérieux, le président de la cour d'assises a fait de son pouvoir discrétionnaire un usage abusif et porté, ce faisant, atteinte aux droits de la défense" ;
Vu l'article 331, alinéa 4, du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, sous réserve des dispositions de l'article 309, les témoins ne sont pas interrompus dans leur déposition ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats que le président a suspendu l'audience, à 13h25, après l'audition du témoin Christian Y..., auquel des questions ont été posées ; que, lors de la reprise de l'audience, à 14h45, le témoin a poursuivi son audition, et qu'ensuite des questions lui ont été posées ;
Attendu qu'ainsi, la déposition du témoin faite avant la suspension d'audience ayant été interrompue lorsque des questions lui ont été posées par les parties, le texte susvisé a été méconnu ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen proposé,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité de la cour d'assises de Paris, en date du 1er mars 2002, ensemble la déclaration de la Cour et du jury et les débats qui l'ont précédée ;
CASSE et ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt du même jour par lequel la Cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises du Loiret, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Farge conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup conseillers de la chambre, M. Sassoust, Mme Caron, M. Lemoine conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;