AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris,12 décembre 2000), que par décision n° 00-D-22 du16 juin 2000, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a infligé, notamment à la société Domoservices maintenance, venant aux droits de la société Domoservices Ouest, une sanction pécuniaire en raison d'ententes constatées à l'occasion de la passation de marchés d'entretien des installations individuelles de chauffage et de production d'eau chaude situées dans des immeubles de logements collectifs de Normandie et de Bretagne ; que cette société a formé un recours contre cette décision lequel a été rejeté ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la société Domoservices maintenance fait grief à l'arrêt d'avoir jugé que la société Domoservices Ouest avait enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et d'avoir prononcé une amende à son encontre, alors, selon le moyen :
1 ) que selon l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement ; qu'il en résulte que les juges du fond doivent organiser des débats permettant aux parties de faire valoir publiquement leurs demandes et leurs moyens si bien qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2 ) que selon l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, que le caractère public du procès suppose nécessairement que le jugement soit également lu publiquement, si bien qu'en statuant de la sorte dès lors que l'absence de prononcé public de la décision du Conseil de la concurrence contrevient aux exigences de ce texte, la cour d'appel a encore méconnu l'article précité ;
3 ) que le droit à un procès équitable suppose l'égalité des armes entre les parties, et doit permettre à la partie accusée de bénéficier, pour faire valoir sa défense d'un délai au moins équivalent à celui dont dispose l'accusation pour préparer son dossier, soit des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, si bien qu'en statuant de la sorte alors que la société Domoservices n'avait disposé que d'un délai de 2 mois pour faire valoir ses observations alors que le rapporteur avait quant à lui bénéficié d'un délai illimité et en l'occurrence supérieur à deux ans, les juges du fond ont encore violé l'article 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4 ) que selon l'article 6-3 a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a droit notamment à être informé dans le plus court délai et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; qu'en l'espèce, le Conseil de la concurrence a été saisi le 28 août 1996 de faits remontant à l'année 1995 ; que la société Domoservices n'a été informée des accusations portées contre elle que par la notification des griefs le 12 juillet 1999, si bien qu'en s'abstenant de rechercher si ce délai n'était pas excessif compte tenu du temps écoulé ainsi que le préjudice qui en était résulté pour la société Domoservices, faute pour elle d'avoir disposé d'un temps suffisant pour y répondre au regard du délai dont avait pour sa part disposé le Conseil de la concurrence, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte précité ;
5 ) que la signature d'un acte administratif par son auteur est une formalité substantielle dont l'absence est constitutive d'un vice de forme affectant sa régularité, que si l'article 18 du décret du 29 décembre 1986 dispose que la notification des griefs retenus par le rapporteur et du rapport sont faites par le Président, il n'en reste pas moins que le rapporteur doit apposer sa signature, en tant que rédacteur sur cet acte, si bien qu'en statuant de la sorte tout en constatant que la notification des griefs n'avait pas été signée, la cour d'appel a violé l'article précité ainsi que l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, en premier lieu, que le fait que les débats devant le Conseil, en application de l'article 25 alinéa 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 463-7 alinéa 1er du Code de commerce, ainsi que le prononcé de la décision de celui-ci, ne soit pas public, ne saurait faire grief aux parties intéressées dès lors que les décisions prises par le Conseil subissent a posteriori le contrôle effectif d'un organe judiciaire offrant toutes les garanties d'un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ; qu'il s'en suit que l'arrêt n'encourt pas les griefs des deux premières branches du moyen ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant estimé que la société Domoservices ne démontrait pas en quoi le délai de deux mois pour répondre à la notification des griefs et à la notification du rapport, conforme à l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 463-2 du Code de commerce aurait été insuffisant pour lui permettre de réunir les éléments au soutien de sa défense, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt énonce justement qu'à supposer les délais de la procédure excessifs au regard de la complexité de l'affaire, la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi ; que l'arrêt relève en outre que les difficultés alléguées dues à des causes internes aux deux sociétés tenant aux changements intervenus dans leurs directions respectives par suite de leur fusion, sont sans lien avec le déroulement de l'instruction et de la procédure suivie devant le Conseil ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, dont il ressort que la société Domoservices maintenance ne démontrait pas avoir subi un préjudice du fait de la durée de la procédure, la cour d'appel a statué à bon droit ;
Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant relevé qu'il n'existe aucune ambiguïté sur l'auteur de la notification des griefs et du rapport dont le nom est expressément indiqué en page de couverture et s'étant ainsi assurée de l'identité de l'auteur des actes de la procédure, la cour d'appel a pu écarter le moyen tiré du défaut de signature de ces actes ;
Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Domoservices maintenance fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'en l'absence de toute définition légale et réglementaire d'un seuil de sensibilité, il appartient aux juges du fond de vérifier dans chaque espèce par des motifs propres et circonstanciés si l'effet potentiel ou avéré des pratiques alléguées est de nature à restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché concerné, si bien qu'en statuant de la sorte pour les quatre marchés incriminés sans apprécier l'existence des parts de marché et l'impact réel sur le jeu de la concurrence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le Conseil avait recherché pour chaque marché concerné l'effet sensible sur la concurrence des pratiques reprochées, et estimé que celles-ci étaient destinées à tromper le maître d'ouvrage sur l'étendue de la concurrence et à faire obstacle à la libre fixation des prix et à l'indépendance des offres, qu'elles avaient nécessairement pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, peu important que les échanges d'informations aient concerné l'ensemble de chaque marché ou seulement quelques lots, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Domoservices maintenance fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 ) que dans ses conclusions claires et précises signifiées devant la cour d'appel, la société Domoservices maintenance faisant valoir que les faits incriminés concernaient exclusivement la société Domoservices ouest, SNC, laquelle avait fusionné en 1996 avec la société Domoservices maintenance de sorte qu'il était anormal de calculer le montant de l'amende en tenant compte du chiffre d'affaires de la société Domoservice maintenance au jour où le Conseil de la concurrence statuait dans la mesure où la fusion intervenue augmentait de façon artificielle la base de référence et revenait à la pénaliser gravement, surtout au regard des autres entreprises, si bien qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que les sanctions pécuniaires que le juge peut prononcer à l'encontre d'une société sur le fondement d'une méconnaissance de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie du marché pertinent et à la situation individuelle de l'entreprise sanctionnée ; ces sanctions doivent en outre, être déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée et de façon motivée pour chaque sanction ; de sorte qu'en l'espèce, en se bornant à faire état d'éléments généraux d'appréciation pour fixer la sanction pécuniaire, la cour d'appel, qui n'a pas suffisamment caractérisé le rapport de proportionnalité entre la sanction prononcée contre la société Domoservices et les critères précités, a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, d'une part, que dès lors qu'il n'était pas contesté qu'à la suite de la fusion dont elle se prévalait, la société Domoservices maintenance avait assuré la continuité juridique et économique de la société Domoservices Ouest, ce dont il résultait que l'assiette de la sanction devait légalement être déterminée par son seul chiffre d'affaires, la cour d'appel qui a constaté que le Conseil, après avoir examiné la situation de la société Domoservices maintenance en fonction de son chiffre d'affaires, avait fixé le montant de la sanction pécuniaire en faisant l'exacte application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a répondu aux conclusions prétendument omises ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que le Conseil avait justement apprécié la gravité des faits en tenant compte de la spécificité des marchés, de leur montant total, de leur durée, du nombre important de logements concernés et de charges pesant sur les organismes gestionnaires des HLM et constaté que la société Domoservices maintenance a pris l'initiative de certaines pratiques sanctionnées et qu'elle ne démontre pas, au jour où la cour d'appel statue qu'elle n'est pas en mesure de régler l'amende prononcée, la cour d'appel a procédé à l'analyse de la situation propre à la société Domoservices maintenance et a ainsi légalement justifié sa décision ;
Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches :
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Domoservices aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Domoservices maintenance à payer au ministre de l'Economie et des Finances la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par Mme Garnier, conseiller le plus ancien qui en a délibéré, en remplacement du président, en l'audience publique du vingt-huit janvier deux mille trois.