AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux avocats :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mai 2000), que M. Guy X..., MM. Y... et Alain X... et Mme Catherine Z... (consorts X...) sont respectivement usufruitier et copropriétaires d'un appartement dans l'immeuble du 172 boulevard Montparnasse à Paris, donnant droit à la jouissance particulière d'un jardin ; que la société des Usines Chimiques Rhône Poulenc, lors de l'édification, en 1959, d'un immeuble voisin, sis 26 avenue de l'Observatoire, a posé à cette occasion des verres "cathédrale" sur toutes les fenêtres dudit ouvrage, pour limiter les nuisances engendrées par cette construction et l'atteinte à la vie privée en découlant pour ses voisins ; que cette obturation des vues directes par un verre dormant a donné lieu à un "protocole d'accord" signé le 31 juillet 1959 entre la société et M. X... et bénéficiant tant à ce dernier qu'"aux propriétaires de l'immeuble du 172 boulevard Montparnasse s'ils le désirent" ; que les consorts X... ont assigné, au possessoire, Electricité de France (EDF), qui avait
acquis l'immeuble du 26 avenue de l'Observatoire, pour obtenir le rétablissement des verres "cathédrale" de l'ensemble des fenêtres que cet établissement avait supprimés et le paiement de dommages-intérêts ;
Attendu qu'EDF fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :
1 / qu'en statuant ainsi, alors que les servitudes établies par le fait de l'homme ne sont opposables aux acquéreurs que si elles sont mentionnées dans leur titre de propriété ou si elles ont fait l'objet d'une publicité foncière conformément aux articles 28 et 30-1 du décret du 4 janvier 1955, la cour d'appel a violé lesdits textes ;
2 / qu'ainsi que l'a fait valoir EDF, il ne peut être opposée à EDF une acceptation tacite de sa part de l'existence d'une servitude grevant son fonds résultant de la convention conclue par son auteur en 1959, la reconnaissance implicite de cette convention étant inopérante en tant qu'elle porte sur un acte juridique, en quoi la cour d'appel a violé les articles 690 et 1355 du Code civil ;
3 / qu'ainsi que l'a démontré également EDF, la période antérieure à la vente du fonds à EDF, en 1979, ne peut être prise en considération au titre de la possession de trente ans, parce que régie par un acte juridique dont la teneur est précisément inopposable à EDF ;
qu'en opposant à EDF une possession de trente ans à compter du protocole conclu avec son auteur en 1959, non mentionné dans l'acte de vente à EDF, ni publié, les juges d'appel ont encore violé l'article 690 du Code civil ;
Mais attendu que les servitudes apparentes et continues peuvent donner lieu aux actions possessoires, lesquelles, en vertu de l'article 1264 du nouveau Code de procédure civile, sont ouvertes dans l'année du trouble à ceux qui, paisiblement, possédent ou détiennent depuis au moins un an ; que la cour d'appel ayant relevé que la restriction à l'utilisation d'ouvertures ordinaires que constituait la pose de verres dormants tels que les verres "cathédrale" s'analysait en une servitude établie par le fait de l'homme, continue et apparente, que le "protocole" avait toujours été respecté depuis sa conclusion, ensuite par EDF, après son acquisition en 1979, et notamment à l'occasion d'une infraction à la convention en 1983, immédiatement réparée, de même que par le maintien volontaire d'un ouvrage obturant la vue sur le mur mitoyen en 1995, et ce, jusqu'au trouble apporté par EDF en 1996 en procédant au remplacement de la totalité des verres sur cinq étages, l'arrêt qui, abstraction faite de motifs surabondants, a retenu que la protection de la possession était légitimement revendiquée par les consorts X..., se trouve légalement justifié ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'EDF aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne l'EDF à payer aux consorts X..., ensemble, la somme de 1 900 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille deux.