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13/11/2001 | FRANCE | N°01-81418

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 novembre 2001, 01-81418


REJET des pourvois formés par :
- X... Jean-Marie,
- Y... Oliviero,
- l'Association de défense contre l'incitation au suicide, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 18 janvier 2001, qui a condamné le premier à 10 000 francs d'amende avec sursis pour propagande ou publicité en faveur de moyens de se donner la mort, et, le deuxième, à 10 000 francs d'amende pour complicité de ce délit et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I. Sur les pourvois formés

par Oliviero Y... et par l'Association de défense contre l'incitation au suicide : ...

REJET des pourvois formés par :
- X... Jean-Marie,
- Y... Oliviero,
- l'Association de défense contre l'incitation au suicide, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 18 janvier 2001, qui a condamné le premier à 10 000 francs d'amende avec sursis pour propagande ou publicité en faveur de moyens de se donner la mort, et, le deuxième, à 10 000 francs d'amende pour complicité de ce délit et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I. Sur les pourvois formés par Oliviero Y... et par l'Association de défense contre l'incitation au suicide :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II. Sur le pourvoi formé par Jean-Marie X... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 223-14 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré établi le délit incriminé par l'article 223-14 du Code pénal interdisant la propagande ou la publicité quel qu'en soit le mode, en faveur de produits, d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort ;
" aux motifs que par son contenu et sa présentation, cet entrefilet ne constitue pas une simple information mais tend à inciter les lecteurs de la revue à se procurer l'ouvrage " Final Exit " ; qu'en effet :
" l'indication suivant laquelle l'ouvrage a été " censuré " en France information au demeurant inexacte car l'ouvrage a donné lieu non pas à une interdiction administrative mais à une condamnation judiciaire et interdit au moins de 18 ans en Australie met en évidence son caractère sulfureux ; elle ne peut qu'aviver la curiosité des lecteurs de Colors et leur insuffler le désir de prendre connaissance de l'ouvrage ;
" la communication des coordonnées précises de Hemlock Society, y compris son numéro de téléphone et des frais d'inscription, dispense les lecteurs de recherches fastidieuses et dissuasives ; la facilité avec laquelle l'association peut être contactée (par lettre ou par téléphone) ne peut qu'inciter à effectuer cette démarche ;
" de même, la communication des coordonnées du site internet où l'on peut localiser les associations pour la défense du droit à la mort contribue à aiguiser l'intérêt des lecteurs sur ce sujet ;
" enfin, la reproduction et la couverture de l'ouvrage sur laquelle titre " Final Exit " est imprimé en gros caractères noirs et rouges qui attire l'oeil et qui comporte la mention " pour une mort dans la dignité " ne peut que favoriser la vente du livre ; considérant que pour ces motifs, l'entrefilet litigieux constitue une " publicité " au sens de l'article 223-14 du Code pénal en faveur de l'ouvrage " Final Exit ", sans qu'il y ait lieu de rechercher si cette publicité résulte d'une initiative de " Colors " ou de l'éditeur de l'ouvrage ; que, par ailleurs, il est spécifié que l'ouvrage est un " guide du suicide " comportant " environ vingt moyens d'en finir avec l'existence " ; que deux procédés, l'asphyxie et l'overdose, sont expressément cités à titre d'exemple ; que cette publicité en faveur de l'ouvrage constitue en même temps une publicité pour les procédés de suicide qu'il décrit, même si deux d'entre eux seulement sont cités par " Colors ", puisque la motivation de celui qui acquiert l'ouvrage est nécessairement de s'informer sur les techniques de suicide ; que la publicité en faveur de l'ouvrage se confond avec la publicité en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort ; que les éléments constitutifs du délit défini par l'article 223-14 du Code pénal sont donc réunis ; que le jugement doit être infirmé ;
" alors que, d'une part, la publicité ou la propagande, qui impliquent nécessairement la volonté de promouvoir un bien ou un service en faisant ressortir les aspects attractifs, concernant dans le cadre de l'article 223-14 du Code pénal les moyens de se donner la mort, ne se trouvent pas caractérisées en l'état des énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué dont il ressort que l'entrefilet litigieux ne faisait que reproduire la couverture de l'ouvrage en cause dont il présentait le sujet, les obstacles rencontrés par sa diffusion en France avant que d'indiquer les moyens de se le procurer, ensemble d'éléments qui en l'absence de toute présentation incitative relève de la liberté d'information ;
" et alors que, d'autre part, l'article L. 223-14 du Code pénal, en interdisant la propagande et la publicité en faveur de produits, d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort, n'a entendu incriminer que la publicité directe, autrement dit celle consistant à vanter l'efficacité de tel ou tel procédé, et ne saurait, sauf à méconnaître le principe d'interprétation stricte de la loi pénale, s'appliquer à la diffusion par voie de presse d'une information présentant un ouvrage consacré aux moyens pouvant être utilisés pour se donner la mort, sans décrire ceux-ci, et fournissant des indications permettant de se procurer ledit ouvrage " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 223-14 et 223-15 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Marie X... coupable de propagande en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort ;
" aux motifs que si dans une lettre adressée le 2 octobre 1996 à Oliviero Y..., Jean-Marie X... reconnaissait à la revue " Colors " son " indépendance éditoriale ", il n'en demeure pas moins que le directeur de publication du Monde ne saurait échapper aux responsabilités qui lui incombent en application de la loi sur la presse, notamment en ce qui concerne le contrôle du contenu, dès lors qu'il a accepté la diffusion de la revue en annexe du quotidien ; que ce droit de contrôle figurait d'ailleurs dans la lettre du 2 octobre 1996 puisqu'il était spécifié que chaque numéro de " Colors " devait être présenté à Jean-Marie X... avant impression afin qu'il en prenne connaissance ; que cette présentation ne pouvait avoir d'autre objet que de permettre précisément l'existence d'un contrôle ; qu'en application de l'article 42 de la loi sur la presse, le directeur de la publication du Monde est l'auteur principal du délit même si celui-ci a été commis dans la revue " Colors " ; qu'Oliviero Y... en sa qualité à la fois de président du conseil d'administration de " Colors Magazine " et de directeur de la publication " Colors " est, au regard de la loi, le complice de cette infraction par fourniture de moyens ;
" alors que la responsabilité pénale de plein droit du directeur de publication telle que prévue par l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 applicable aux poursuites du chef du délit incriminé par l'article 223-14 du Code pénal ne peut être retenue qu'en cas de comportement fautif du co-auteur ou du complice, ce qui suppose que dans le cadre de l'infraction de publicité ou propagande en faveur de moyens permettant de se donner la mort, soit établi le caractère intentionnel consistant en la volonté de préconiser, autrement dit de recommander un ou plusieurs procédés donnés, de sorte qu'en l'absence de tout motif caractérisant une telle intention à l'encontre du directeur de publication de " Colors Magazine " dont la responsabilité pénale été retenue en qualité de complice, la déclaration de culpabilité prononcée à l'encontre de Jean-Marie X... en sa qualité de directeur de publication du Monde n'est pas légalement justifiée " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-7, 223-14 et 223-15 du Code pénal, 6 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a retenu la responsabilité pénale de Jean-Marie X... comme auteur principal du délit incriminé par l'article 223-14 du Code pénal à raison de sa qualité de directeur de publication ;
" aux motifs qu'il n'est pas contesté que le numéro 18 de la revue " Colors " a fait l'objet d'une diffusion en kiosque le 14 décembre 1996 sous la forme d'un supplément gratuit accompagnant l'édition du quotidien Le Monde datée des 15 et 16 décembre 1996 ; que la revue n'a fait l'objet d'aucune diffusion séparée ; que la revue et le journal apparaissent donc indissociables ; que si, dans une lettre adressée le 2 octobre 1996 à Oliviero Y..., Jean-Marie X... reconnaissait à la revue " Colors " son " indépendance éditoriale " il n'en demeure pas moins que le directeur de publication du Monde ne saurait échapper aux responsabilités qui lui incombent en application de la loi sur la presse, notamment en ce qui concerne le contrôle du contenu, dès lors qu'il a accepté la diffusion de la revue en annexe au quotidien ; que ce droit de contrôle figurait d'ailleurs dans la lettre du 2 octobre 1996 puisqu'il était spécifié que chaque numéro de " Colors " devait être présenté à Jean-Marie X... avant impression afin qu'il en prenne connaissance ; que cette présentation ne pouvait avoir d'autre objet que de permettre précisément l'exercice d'un contrôle ; qu'en application de l'article 42 de la loi sur la presse, le directeur de la publication du Monde est l'auteur principal du délit même si celui-ci a été commis dans la revue " Colors " ; qu'Oliviero Y..., en sa qualité à la fois de président du conseil d'administration de " Colors Magazine " et de directeur de la publication de " Colors " est, au regard de la loi, le complice de cette infraction par fourniture de moyens ;
" alors que la circonstance que Jean-Marie X..., directeur de publication du Monde, ait donné son accord pour une diffusion simultanée de ce quotidien avec la revue " Colors " ne pouvait en aucune manière, eu égard aux dispositions de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881, permettre à la Cour de lui attribuer cette même qualité en ce qui concerne la revue " Colors ", dotée de son propre directeur de publication dûment identifié puisque également poursuivi et dont Jean-Marie X... n'était par conséquent que le simple distributeur de sorte qu'en l'état de la prévention fondée sur la publicité donnée à un ouvrage consacré aux moyens de se donner la mort, le directeur de publication du journal " Colors " ne pouvait être poursuivi qu'en qualité de complice de l'auteur de l'ouvrage, aucune déclaration de culpabilité ne pouvant en revanche être prononcée à l'encontre de Jean-Marie X... qui, en acceptant de distribuer la revue " Colors " n'avait fait que prêter son concours au directeur de publication de " Colors ", la complicité de complicité n'étant en effet pas punissable " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, dans la revue " Colors ", diffusée 14 décembre 1996 sous la forme d'un supplément gratuit du journal Le Monde daté des 15 et 16 décembre 1996, a été publié un entrefilet présentant l'ouvrage de Derek Z... intitulé " Exit Final " ; qu'à la suite de ces faits, Jean-Marie X..., directeur de la publication du journal Le Monde et Oliviero Y..., président de la société " Colors Magazine ", éditrice de la revue " Colors ", ont été cités devant le tribunal correctionnel, le premier, sur le fondement des articles 223-14 à 223-17 du Code pénal, pour avoir fait de la propagande ou de la publicité en faveur de produits, objets ou de méthodes préconisés comme moyen de se donner la mort et, le second, pour complicité de ce délit ;
Attendu que, pour retenir la culpabilité de Jean-Marie X..., la cour d'appel relève qu'après avoir présenté l'ouvrage de Derek Z... comme un " guide du suicide " préconisant environ vingt méthodes pour se donner la mort dont " l'asphyxie et l'overdose ", l'entrefilet incriminé précise que, " censuré " en France et interdit au moins de 18 ans en Australie, cet ouvrage peut être obtenu en adhérant à une association américaine faisant campagne pour la " légalisation du suicide assisté " ; que les juges constatent encore que les coordonnées de cette association sont fournies ainsi que le montant des frais d'inscription et qu'est en outre communiquée l'adresse d'un site internet permettant de localiser l'association la plus proche ayant pour objet la défense du droit à la mort ; qu'ils retiennent enfin que l'entrefilet est illustré par la reproduction en couleurs de la couverture de l'ouvrage " Exit Final ", comportant le sous-titre " Pour une mort dans la dignité " et la précision " préface d'Hubert A... " ; qu'après avoir analysé cet ensemble d'éléments, les juges concluent que le texte incriminé constitue une publicité, au sens de l'article 223-14 précité, en faveur des " procédés de suicide " décrits par l'ouvrage de Derek Z... même si seulement deux de ces procédés sont cités ;
Que, pour imputer le délit à Jean-Marie X... en qualité de directeur la publication du journal Le Monde sur le fondement des articles 223-15 du Code pénal et 42 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel retient que la revue " Colors " n'a été diffusée que sous la forme d'un supplément gratuit du journal précité et qu'elle était donc " indissociable " de celui-ci ; qu'elle relève encore que chaque numéro de cette revue était présenté au prévenu afin de lui permettre d'en contrôler le contenu ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs d'où il résulte que la revue " Colors " était intégrée à l'édition concernée du journal Le Monde et dès lors que, le prévenu n'ayant ni établi ni même allégué l'existence de circonstances indépendantes de sa volonté l'ayant mis dans l'impossibilité de s'acquitter du devoir de surveillance et de contrôle que lui imposaient ses fonctions de directeur de la publication, l'autorisation de publier le texte incriminé donnée par lui, caractérisait à son encontre l'élément intentionnel du délit reproché, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 01-81418
Date de la décision : 13/11/2001
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

MISE EN DANGER DE LA PERSONNE - Provocation au suicide - Propagande ou publicité en faveur de moyens de se donner la mort - Eléments constitutifs - Eléments matériels.

Caractérise, à l'encontre du directeur de publication d'un journal, le délit de propagande ou de publicité en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyen de se donner la mort, prévu et réprimé par l'article 223-14 du Code pénal, la cour d'appel qui constate qu'a été publié dans le journal concerné un entrefilet consacré à un livre présenté comme un " guide du suicide " préconisant environ vingt méthodes pour se donner la mort dont " l'asphyxie et l'overdose ", le texte incriminé précisant les moyens de se procurer cet ouvrage, prétendument " censuré " en France, et communiquant l'adresse d'un site internet permettant de localiser l'association la plus proche ayant pour objet la défense du droit à la mort. Il résulte en effet de ces constatations que le texte incriminé constitue une publicité en faveur des " procédés de suicide " décrits dans l'ouvrage, même si seulement deux d'entre eux y sont cités. .


Références :

Code pénal 223-14

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 18 janvier 2001


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 nov. 2001, pourvoi n°01-81418, Bull. crim. criminel 2001 N° 234 p. 756
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2001 N° 234 p. 756

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Cotte
Avocat général : Avocat général : Mme Fromont.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Desportes.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2001:01.81418
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