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24/11/2000 | FRANCE | N°97-81554

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 novembre 2000, 97-81554


CHAMBRE MIXTE.
LA COUR,
Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Rouen, 17 février 1997) et des pièces de procédure qu'à l'issue d'une information ouverte sur plainte avec constitution de partie civile de M. X..., M. Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique, pour avoir déclaré au sujet de la partie civile au cours de l'émission de télévision " 7 sur 7 " diffusée le 2 février 1992 :
" ... Il faut tout de même

savoir qui est M. X..., et s'en souvenir... En Algérie, il a torturé... " ; que ...

CHAMBRE MIXTE.
LA COUR,
Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Rouen, 17 février 1997) et des pièces de procédure qu'à l'issue d'une information ouverte sur plainte avec constitution de partie civile de M. X..., M. Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique, pour avoir déclaré au sujet de la partie civile au cours de l'émission de télévision " 7 sur 7 " diffusée le 2 février 1992 :
" ... Il faut tout de même savoir qui est M. X..., et s'en souvenir... En Algérie, il a torturé... " ; que par jugement du 7 octobre 1993, le tribunal a écarté l'exception de bonne foi invoquée en défense et est entré en voie de condamnation ; qu'infirmant cette décision, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 22 juin 1994, relaxé le prévenu et débouté la partie civile de ses demandes ; que, statuant sur le pourvoi de M. X..., la Chambre criminelle a, par arrêt du 4 janvier 1996 visant la loi d'amnistie du 3 août 1995, cassé ce précédent arrêt en ses seules dispositions civiles et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Rouen ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que M. Y... ne s'était pas rendu responsable d'une diffamation à son égard et de l'avoir débouté de toutes ses demandes, alors, selon le moyen :
" 1° que la Cour n'a pu déduire la bonne foi de Y... de la croyance qu'il aurait pu avoir de la réalité du fait incriminé à partir de quelques extraits de presse qu'elle citait, sans rechercher, d'une part, si, comme l'avait constaté le jugement dont X... demandait confirmation, Y... qui avait séjourné en Algérie en qualité de fonctionnaire civil en 1958, chargé de transmettre aux autorités les plaintes déposées pour des faits relevant des missions de police, avait lui-même précisé n'avoir personnellement recueilli, ni à ce moment, ni ultérieurement d'informations relatives au comportement du lieutenant X... pendant son temps de service en Algérie, d'autre part, si Y... connaissait les nombreuses décisions de justice antérieures ayant démenti formellement l'accusation qu'il avait proférée contre la partie civile, enfin, si les déclarations prêtées à celle-ci n'étaient pas démenties par de très nombreux sachants et s'il n'en résultait pas que le fait pour le prévenu de connaître la fausseté des accusations qu'il proférait n'était pas exclusif de bonne foi ;
" 2° que la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose qu'elle a établi la légitimité du but poursuivi ; que cette légitimité ne pouvait se déduire du seul fait pour un homme politique de porter à la connaissance du public une accusation diffamatoire et erronée ;
" 3° que la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose l'absence d'animosité personnelle et que la Cour n'a pas constaté que le prévenu en ait rapporté la preuve, la violence de l'attaque comme le contenu de l'interview démontrant même le contraire ;
" 4° que la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose la prudence et la mesure dans l'expression ; que tel n'est pas le cas lorsque l'auteur de la diffamation accuse sans preuve son adversaire, même politique, de s'être livré à des actes de torture sous la forme lapidaire et sans nuance : "il a torturé", attitude agressive dénuée de prudence et de mesure, caractéristique de l'intention de nuire ;
" 5° qu'enfin, la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose que l'auteur de la diffamation démontre la qualité et le sérieux de l'enquête à laquelle il s'est préalablement livré, ce que le prévenu n'a pas démontré et ce que la Cour n'a pas constaté " ;
Mais attendu qu'au regard des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la protection de la réputation d'un homme politique doit être conciliée avec la libre discussion de son aptitude à exercer les fonctions pour lesquelles il se présente au suffrage des électeurs ; que, par suite, l'intention d'éclairer ceux-ci sur le comportement d'un candidat est un fait justificatif de bonne foi, lorsque les imputations, exprimées dans le contexte d'un débat politique, concernent l'activité publique de la personne mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée, et à condition que l'information n'ait pas été dénaturée ;
Que l'arrêt attaqué retient que M. Y... a eu accès à diverses sources d'information, telles que des articles des journaux " A... " et " B... " du 24 mai 1957 rapportant des propos de M. X... et la publication d'une interview de ce dernier dans le journal " C... " du 9 novembre 1962 au cours de laquelle il avait reconnu : " Je le sais, je n'ai rien à cacher. J'ai torturé parce qu'il fallait le faire. " ; qu'ayant ainsi relevé que M. X... avait lui-même déclaré avoir pratiqué la torture, la cour d'appel a pu en déduire que M. Y..., agissant dans le cadre d'une campagne électorale, avait poursuivi un but légitime en portant cette information à la connaissance des téléspectateurs ; qu'elle a, par ces motifs, caractérisé la bonne foi du prévenu et légalement justifié sa décision ;
Par ces motifs :
REJETTE le pourvoi.
MOYEN ANNEXE
Moyen produit par Me Pradon, avocat aux Conseils, pour M. X... ;
Violation des articles 23, 29 alinéa 1, 31 alinéa 1, 42, 43, 46, 47, 48 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
EN CE QUE, par l'arrêt attaqué, la Cour a infirmé le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 7 octobre 1993 en ses dispositions civiles, a dit que Y... ne s'était pas rendu responsable d'une diffamation à l'égard de X... et a débouté celui-ci de ses demandes, fins et conclusions,
AUX MOTIFS QUE si les propos tenus par Y... le 2 février 1992 :
" il est allé ensuite en Algérie, il a torturé ", à l'encontre de X... lors de l'émission télévisée " 7 sur 7 " sont de nature diffamatoire puisque susceptibles de porter atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile, et si ces imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec l'intention de nuire, le prévenu invoque sa bonne foi et fournit divers éléments tendant à prouver la réalité du propos tenu ; qu'à cet égard, il y a lieu de relever que : Y... dont l'activité politique remonte à 1950 tout comme la partie civile a eu, depuis cette époque, accès à diverses sources d'information fournies au dossier et qui ont pu légitimement lui faire croire à la réalité du fait incriminé. Ainsi les articles des journaux " A... " et " B... " du 24 mai 1957 rapportant des propos de X..., un extrait d'une interview de ce dernier dans le journal " C... " du 9 novembre 1962 dans lequel X... déclare : " Je le sais, je n'ai rien à cacher. J'ai torturé parce qu'il fallait le faire ". Ainsi encore les rapports d'avril 1957 du commissaire principal D... ; - Y... agissant dans le cadre du débat politique et d'une campagne électorale essentielle pour l'avenir du pays, a poursuivi un but légitime et sérieux en informant les téléspectateurs de faits gravement attentatoires à la morale publique, cette volonté constituant en soi une raison suffisante et déterminante pour que l'information soit fournie publiquement " ; " qu'il ne peut donc être considéré que Y... ait été animé par l'intention de nuire à la partie civile en tenant le propos en cause, mais au contraire qu'il a rempli de bonne foi son rôle d'homme politique en cherchant à éclairer les électeurs " ; qu'il " sera en conséquence dit que le prévenu ne s'est pas rendu responsable d'une diffamation à l'égard de la partie civile ".
ALORS QUE D'UNE PART, la Cour n'a pu déduire la bonne foi de Y... de la croyance qu'il aurait pu avoir de la réalité du fait incriminé à partir des quelques extraits de presse qu'elle citait, sans rechercher si, comme l'avait constaté le jugement dont X... demandait confirmation, d'une part Y... qui avait séjourné en Algérie en qualité de " fonctionnaire civil " en 1958, chargé de transmettre aux autorités les plaintes déposées pour des faits relevant des missions de police, avait lui-même précisé " n'avoir personnellement recueilli ni à ce moment, ni ultérieurement d'informations relatives au comportement du lieutenant X... pendant son temps de service en Algérie ", d'autre part, Y... connaissait les nombreuses décisions de justice antérieures ayant démenti formellement l'accusation qu'il avait proférée contre la partie civile, d'autre part les déclarations prêtées à celle-ci n'étaient pas démenties par de très nombreux sachants, et s'il n'en résultait pas que le fait pour le prévenu, de connaître la fausseté des accusations qu'il proférait n'était pas exclusif de bonne foi,
ALORS QUE D'AUTRE PART, la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose qu'elle a établi la légitimité du but poursuivi, que cette légitimité ne pouvait se déduire du seul fait pour un homme politique de porter à la connaissance du public une accusation diffamatoire et erronée, alors que d'autre part la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose l'absence d'animosité personnelle et que la Cour n'a pas constaté que le prévenu en ait rapporté la preuve, la violence de l'attaque comme le contenu de l'interview démontrant même le contraire,
ALORS QUE D'AUTRE PART, la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose la prudence et la mesure dans l'expression, que tel n'est pas le cas lorsque l'auteur de la diffamation accuse sans preuve son adversaire, même politique, de s'être livré à des actes de torture sous la forme lapidaire et sans nuance : " il a torturé ", attitude agressive dénuée de prudence et de mesure, caractéristique de l'intention de nuire,
ALORS QU'ENFIN la bonne foi de la personne prévenue de diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique suppose que l'auteur de la diffamation démontre la qualité et le sérieux de l'enquête, à laquelle il s'est préalablement livré, ce que le prévenu n'a pas démontré et ce que la Cour n'a pas constaté.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - Liberté d'expression - Exercice - Limite - Portée.

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Intention d'éclairer les électeurs - Période électorale

Au regard des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la protection de la réputation d'un homme politique doit être conciliée avec la libre discussion de son aptitude à exercer les fonctions pour lesquelles il se présente au suffrage des électeurs. Par suite, l'intention d'éclairer ceux-ci sur le comportement d'un candidat est un fait justificatif de bonne foi, lorsque les imputations, exprimées dans le contexte d'un débat politique, concernent l'activité publique de la personne mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée, et à condition que l'information n'ait pas été dénaturée. .


Références :

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen (chambre correctionnelle), 17 février 1997


Publications
Proposition de citation: Cass. Crim., 24 nov. 2000, pourvoi n°97-81554, Bull. crim. criminel 2000 N° 354 p. 1043
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2000 N° 354 p. 1043
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Composition du Tribunal
Président : Premier président : M. Canivet
Avocat général : Avocat général : M. Lucas.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guérin, assisté de M. Dufour, greffier en chef.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, M. Pradon.

Origine de la décision
Formation : Chambre criminelle
Date de la décision : 24/11/2000
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 97-81554
Numéro NOR : JURITEXT000007071152 ?
Numéro d'affaire : 97-81554
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2000-11-24;97.81554 ?
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