CASSATION sur le pourvoi formé par :
- Y... Antoine, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 1997, qui, dans la procédure suivie contre Rosaria C... pour délit de violences, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1351 et 1382 du Code civil, 2, 4, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile, Antoine Y..., de sa demande en réparation de son incapacité partielle résultant de l'atteinte visuelle ;
" aux motifs qu'il résulte du rapport d'expertise médicale du docteur A..., en date du 25 novembre 1996 qu'Antoine Y..., victime d'un traumatisme crânien le 25 mai 1991, présente une hémaniopsie latérale homonyme gauche avec, à l'oeil droit, amputation partielle des quadrants gauches avec nette épargne maculaire et, à l'oeil gauche, amputation des quadrants gauches avec épargne maculaire incomplète qui correspond à une atteinte distale des voies optiques en arrière des corps genouillers externes droits ; que l'expert ajoute qu'il n'y a pas concordance nette entre les lésions initiales constatées et les lésions provoquant habituellement un déficit aussi important ; que les examens ophtalmologiques, neurologiques et radiologiques n'ont pas trouvé de lésion objective expliquant cette atteinte visuelle ; que le docteur Z..., neurologue désigné en qualité de sapiteur par la Cour, a précisé qu'aucun document porté à sa connaissance ne permet d'affirmer l'existence d'une lésion récente directement imputable au traumatisme du 25 mai 1991 ; que le certificat médical du docteur B..., antérieur à l'altercation, qui se limite dans un formulaire administratif à se prononcer sur l'acuité visuelle, ne permet pas d'affirmer l'intégrité des voies optiques antérieurement au 25 mai 1991 ; que les constatations claires de l'expertise du docteur A... qui ne peut affirmer que les troubles visuels sont en relation directe et certaine avec le traumatisme crânien du 25 mai 1991 lesquelles sont intervenues après des investigations et des examens particulièrement complets et à la suite desquels Antoine Y... n'a pas sollicité de nouvelle expertise, sont sans ambiguïté et doivent être adoptées par la Cour ; qu'elles ne sont pas formellement en contradiction avec celles développées par le docteur B... le 1er juin 1993, lequel ne s'est pas non plus prononcé avec certitude sur l'origine de l'atteinte visuelle ; que l'atteinte visuelle qui n'est pas en relation directe et certaine avec le traumatisme du 25 mai 1991 ne peut faire l'objet d'une réparation civile au titre de l'incapacité permanente partielle (arrêt, p. 4 et 5) ;
" alors, d'une part, que, statuant sur la seule évaluation du dommage éprouvé par la victime, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée par son précédent arrêt du 27 octobre 1994, écarter le principe de la réparation de l'incapacité permanente partielle liée à l'atteinte visuelle, définitivement consacré par ladite décision ;
" alors, d'autre part et en toute hypothèse, que si les juges apprécient souverainement le préjudice découlant d'une infraction, il en est autrement lorsque cette appréciation est déduite de motifs erronés ; qu'en écartant la réparation de l'atteinte visuelle subie par Antoine Y... par le motif que le docteur B..., le 1er juin 1993, ne se serait pas prononcé avec certitude sur l'origine de cette atteinte quand celui-ci concluait dans son rapport que le traumatisme d'Antoine Y... en date du 25 mai 1991 avait entraîné des troubles de la vision avec lésion du nerf optique de l'oeil gauche et des voies optiques, que ces lésions étaient responsables de l'amputation de son champ visuel binoculaire et que les troubles visuels en résultant étaient définitifs et inaméliorables, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 4, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile, Antoine Y..., de sa demande en réparation de son préjudice d'agrément, évalué à 100 000 francs ;
" aux motifs qu'en l'absence de préjudice d'agrément, seul le pretium doloris qualifié de léger par l'expert à la suite des blessures subies doit être indemnisé par une somme de 10 000 francs, soit 3 333, 33 francs à la charge de Rosaria C... (arrêt attaqué, p. 5, avant dernier alinéa) ;
" alors que, dans ses conclusions après expertise, Antoine Y... avait exposé que la perte de vision constituait un handicap et une gêne plus importante que s'il avait été borgne ; qu'il ne disposait plus d'aucune autonomie dans la conduite d'une automobile, la lecture et le travail sur l'informatique étant devenus par ailleurs très pénibles ; de sorte qu'en concluant péremptoirement, sans autrement s'en expliquer, à l'absence de préjudice d'agrément, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un véritable défaut de motifs " ;
Vu les articles 1351 et 1382 du Code civil ;
Attendu qu'une juridiction statuant sur la seule évaluation du dommage éprouvé par la victime d'une infraction, dommage dont l'existence a été constatée par une décision antérieure devenue définitive, ne peut, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, écarter, même partiellement, le principe de sa réparation ;
Attendu que, statuant par l'arrêt attaqué sur l'évaluation du préjudice subi par Antoine Y..., blessé au cours d'une rixe survenue le 25 mai 1991 et dont Rosaria C... a été déclarée partiellement responsable, la juridiction du second degré, qui avait, par arrêt du 27 octobre 1997, constaté l'existence d'une lésion du nerf optique entraînant une incapacité permanente partielle de 25 %, avait évoqué sur " les montants du préjudice " et ordonné une nouvelle expertise médicale, a, d'une part, évalué les indemnités réparant le préjudice résultant tant des frais médicaux, de l'incapacité temporaire que du pretium doloris subi par Antoine Y..., d'autre part, rejeté, comme non justifiées, les demandes tendant à la réparation de l'incapacité permanente partielle, en retenant que le trouble visuel invoqué n'était pas en relation directe et certaine avec le traumatisme subi le 25 mai 1991 et écarté les demandes tendant à la réparation des préjudices esthétique et d'agrément, jugés inexistants ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la partie civile se prévalait de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 27 octobre 1994, devenu définitif, la cour d'appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 5 septembre 1997, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy.