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25/03/1998 | FRANCE | N°97-81389

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 mars 1998, 97-81389


CASSATION sur les pourvois formés par :
- la Ligue pour la protection des oiseaux, la société pour la protection de la nature en Aunis et Saintonge, l'Union Centre Atlantique pour la protection de la nature et de l'environnement, parties civiles,
-le procureur général près la cour d'appel de Poitiers,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, du 9 janvier 1997, qui, dans la procédure suivie contre Claude X... et Ferdinand Y... pour infraction à la législation sur l'eau, a relaxé les prévenus et a débouté les parties civiles de leurs demandes.

LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoi...

CASSATION sur les pourvois formés par :
- la Ligue pour la protection des oiseaux, la société pour la protection de la nature en Aunis et Saintonge, l'Union Centre Atlantique pour la protection de la nature et de l'environnement, parties civiles,
-le procureur général près la cour d'appel de Poitiers,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, du 9 janvier 1997, qui, dans la procédure suivie contre Claude X... et Ferdinand Y... pour infraction à la législation sur l'eau, a relaxé les prévenus et a débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu que le 25 juillet 1995, la direction départementale de l'Agriculture a constaté que des travaux de nivellement avaient été réalisés, en l'absence de l'autorisation administrative imposée par l'article 10 de la loi du 3 janvier 1992, sur des parcelles de terre d'une superficie de 25 hectares situées en zone de protection spéciale, en zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique et en zone d'intérêt communautaire pour les oiseaux ; que l'enquête effectuée à la suite de ce constat a permis d'établir que l'arasement et le nivellement de ces terres constituant un " marais à bosses " appartenant à Ferdinand Y... et louées à Claude X... l'avaient été par ceux-ci en vue d'une mise en culture de blé ;
Attendu que, poursuivis devant le tribunal correctionnel sur le fondement des articles 1, 2, 8, 10, paragraphes II et III, 21, 23, 24 de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau, de l'article 1er du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature prise en application de l'article 10 de la loi susvisée et de l'article 4-1-0 de l'annexe dudit décret pour avoir, sans autorisation administrative, asséché une zone humide ou des marais d'une superficie supérieure à 10 000 m2, Ferdinand Y... et Claude X... ont été relaxés par le tribunal correctionnel aux motifs qu'il n'était pas établi que les terres concernées se trouvaient en zone humide ;
Que, sur appel de ce jugement, interjeté par le procureur de la République et par les parties civiles constituées en la cause, la cour d'appel, bien qu'elle eût estimé que les terrains litigieux étaient situés dans une " zone humide ", au sens des dispositions précitées, a confirmé le jugement de relaxe des deux prévenus ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour la Ligue de protection des oiseaux, la société pour l'Etude et la protection de la nature (SEPRONAS), et l'Union Centre Atlantique pour la Protection de la nature et de l'environnement, pris de la violation des articles 1, 2, 10, 23 et 24 de la loi n° 97-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, des articles 2 à 15 du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 et la rubrique numéro 4. 1. 0 de la nomenclature fixée par le décret n° 93-743 du 29 mars 1993, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé Ferdinand Y... et Claude X... poursuivis pour avoir, sans autorisation administrative, procédé à des travaux d'assèchement, d'imperméabilisation et remblais de zones humides ou de marais, la zone asséchée étant supérieure à 10 000 m2 et a, en conséquence, débouté les parties civiles de toutes leurs demandes ;
" aux motifs que les terrains litigieux doivent être considérés comme situés dans une zone humide ; que, lors de l'intervention initiale de la direction départementale de l'Agriculture le 25 juillet 1995, l'ingénieur des travaux ruraux précisait qu'il s'agissait du nivellement d'un marais à bosses sans modification de la maille hydraulique ; que, dans son rapport daté du 27 septembre 1995, M. Z... a précisé que, dans le cas où le fossé supprimé ne serait pas remplacé par des fossés redonnant l'équivalent en volume d'eau à la zone en litige, cela correspondrait à un assèchement effectif de la zone notamment en période estivale ; or, le nouveau fossé projeté par Ferdinand Y... a été réalisé et fait une section d'environ 3, 10 mètres sur 1, 60 mètre de profondeur, permettant une circulation d'une quantité d'eau au moins égale à celle qui existait avant la réalisation des travaux ; que, dans ces conditions, il n'est nullement établi que la maille hydraulique des terres concernées a été modifiée et qu'il y ait eu un assèchement effectif ; qu'il résulte, en définitive, que les opérations réalisées, bien que concernant une zone humide, ne peuvent être considérées comme des travaux d'assèchement, ou d'imperméabilisation ou de remblais au sens de l'article 4. 1. 0 du décret du 29 mars 1993 et qu'ils n'étaient donc pas soumis à autorisation bien que portant sur une superficie supérieure à 10 000 m2 ;
" alors, d'une part, qu'une opération d'assèchement d'une zone humide au sens de la rubrique 4. 1. 0 de la nomenclature est soumise à autorisation indépendamment de la réalisation de toute mesure compensatoire telle que la réalisation d'un nouveau fossé pour remplacer celui supprimé pour maintenir la circulation d'une même quantité d'eau après les travaux ; que l'application de l'article 10 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau et du décret n° 93-9743 du 29 mars 1993 n'est nullement subordonnée à cette condition ajoutée à tort au texte d'incrimination par les juges du fond ;
" alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 3 janvier 1992, on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée saumâtre de façon permanente ou temporaire, la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ; que, dès lors, la qualification d'assèchement d'une zone humide ne saurait se limiter au regard tant de l'article 2 de la loi du 3 janvier 1992 que de la rubrique numéro 4. 1. 0 de la nomenclature annexée au décret n° 93-743 du 29 mars 1993 uniquement à l'absence de modification du maillage hydraulique par les fossés ; qu'au contraire, après avoir constaté que les travaux ont été réalisés dans une zone humide caractérisée par l'inondation, du fait des pluies hivernales ou printanières, de tous les jas par une épaisseur d'eau variant de quelques centimètres à plusieurs dizaines de centimètres, ces jas communiquant avec les fossés du pourtour dont ils constituent des prolongements indispensables aux frayères de poissons et de batraciens, la flore reflétant parfaitement le degré d'inondabilité des jas du fait de la présence dominante des plantes hygrophiles, les juges du fond devaient rechercher en fonction des éléments légaux définissant la zone humide s'il y avait assèchement par disparition du caractère inondable et des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ; qu'en s'abstenant d'y procéder tout en observant que les travaux ont consisté en un nivellement des bosses existantes vers les parties de plus basse altitude (les jas), les juges du fond ont insuffisamment motivé leur décision et méconnu les articles 2 et 10 de la loi du 3 janvier 1992 ;
" alors, enfin, que ce n'est pas en fonction de l'étendue des travaux incriminés mais de l'étendue de l'assèchement en résultant que s'applique la nécessité d'obtenir une autorisation fixée par la rubrique 4. 1. 0 de la nomenclature annexée au décret n° 93-743 du 29 mars 1993 ; qu'en se référant exclusivement à la surface des travaux sans prendre en compte l'étendue de leurs effets, les juges du fond ont violé l'article 10 de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour la Ligue de protection des oiseaux, la société pour l'Etude et la protection de la nature (SEPRONAS), et pour l'Union Centre Atlantique pour la protection de la nature et de l'environnement, pris de la violation des articles 1, 2, 10, 23 et 24 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, des articles 2 à 15 du décret n° 93-742 du 29 mars 1993 et la rubrique n° 4. 1. 0 de la nomenclature fixée par le décret n° 93-743 du 29 mars 1993, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé Ferdinand Y... et Claude X... poursuivis pour avoir, sans autorisation administrative, procédé à des travaux d'assèchement, d'imperméabilisation et remblais de zone humide ou de marais, la zone asséchée étant supérieure à 10 000 m2 et a, en conséquence, débouté les parties civiles de toutes leurs demandes ;
" aux motifs que, dans son rapport, M. Z... a précisé que, dans le cas où le fossé supprimé ne serait pas remplacé par des fossés redonnant l'équivalent en volume d'eau à la zone en litige, cela correspondrait à un assèchement effectif de la zone en période estivale ; or, le nouveau fossé projeté par Ferdinand Y..., ayant été réalisé et faisant une section d'environ 3, 10 mètres sur 1, 60 mètre de profondeur, permettait une circulation d'une quantité d'eau au moins égale à celle qui existait avant la réalisation des travaux ; que, dans ces conditions, il n'est nullement établi que la maille hydraulique des terres concernées a été modifiée et qu'il y ait eu un assèchement effectif ;
" alors que la soumission des travaux incriminés à la nomenclature des installations, ouvrages, travaux ou aménagements fixée par le décret n° 93-743 du 29 mars 1993 doit être interprétée en fonction des objectifs de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau et plus précisément en fonction des dangers qu'ils présentent et de la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques ; qu'en effet, une opération d'assèchement se caractérise par son résultat, à savoir, soit l'impossibilité temporaire ou définitive pour les eaux d'irriguer un espace jusqu'alors accessible, soit une baisse de toit piézométrique de la nappe phréatique dans le cas présent affleurante ; que le fait d'ouvrir un nouveau fossé en remplacement d'un fossé supprimé n'exclut aucunement une opération d'assèchement ; qu'en effet, le nouveau fossé se traduit par un rabattement du toit piézométrique de la nappe phréatique du fait de l'accélération de l'évacuation des eaux par la pente ainsi créée ; qu'ainsi, au regard de la conception de l'assèchement qu'elle a retenue, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 10 et 23 de la loi du 3 janvier 1992, sur l'eau, et les dispositions du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 " ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé par le procureur général près la cour d'appel de Poitiers, pris de la violation des articles 2, 10, 23 et 24 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, de l'article 1er et de la rubrique 4. 1. 0 de l'annexe du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration, des articles 485, 512, 591, 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut, insuffisance, contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement relaxant Ferdinand Y... et Claude X..., poursuivis pour avoir réalisé des travaux d'assèchement d'une zone humide ou d'un marais sans l'autorisation prévue par l'article 10 de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau ;
" au motif que les travaux réalisés ne peuvent être considérés comme des travaux d'assèchement ou d'imperméabilisation ou de remblai au sens de la rubrique 4. 1. 0 de l'annexe du décret n° 93-7423 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration en application de l'article 10 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau ;
" alors que l'article 10, paragraphes I, II et III de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau, soumet à autorisation les installations, ouvrages, travaux et activités, en fonction, pour se limiter aux seuls aspects applicables au cas d'espèce, de leurs effets sur le niveau ou le mode d'écoulement des eaux, y compris de ruissellement ou stagnantes, de la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques ainsi que du fait qu'ils sont susceptibles de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau ou de porter atteinte gravement à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique ; que la rubrique 4. 1. 0 de la nomenclature définit les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation en fonction de la superficie de l'assèchement d'une zone humide ou d'un marais, égale ou supérieure à 10 000 m2, indépendamment du fait que cet assèchement résulte d'une imperméabilisation, de remblais ou de toute autre forme d'activités ou de travaux entraînant assèchement ; que l'arrêt a méconnu ces dispositions relatives au champ d'application du régime d'autorisation édicté par la loi sur l'eau, en motivant la relaxe prononcée en fonction d'une analyse de la seule nature des travaux réalisés et non de la superficie de l'effet d'assèchement qui en résulterait ; que l'arrêt a d'autant plus méconnu ces dispositions qu'il se réfère à l'objectif recherché par les travaux réalisés qui est juridiquement étranger aux effets d'assèchement sur une zone humide ou un marais, au sens de la rubrique 4. 1. 0 " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé par le procureur général près la cour d'appel de Poitiers, pris de la violation des articles 2, 10, 23 et 24 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, de l'article 1er et de la rubrique 4. 1. 0 de l'annexe du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration, des articles 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut, insuffisance, contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué affirme qu'il n'y a pas eu assèchement effectif au sens de la rubrique 4. 1. 0 de la nomenclature, au motif qu'il s'agit du nivellement d'un marais à bosses sans modification de la maille hydraulique (les fossés), du fait que la suppression d'un fossé dans la zone en litige y a été compensée par la création d'un autre fossé permettant la circulation d'une quantité d'eau au moins égale à celle qui existait avant la réalisation des travaux ;
" alors que, d'une part, le seuil du régime d'autorisation prévu par la rubrique 4. 1. 0 est constitué par la superficie de la zone effectivement asséchée et non la superficie de la zone de réalisation des travaux, à laquelle se réfère l'arrêt attaqué qui peut déborder sensiblement de la zone asséchée ;
" d'autre part, que la compensation de l'assèchement d'un élément de la zone humide, dans le cas d'espèce, un fossé par la création en un autre endroit d'un élément équivalent, peut constituer une mesure compensatoire, mais est sans incidence sur la surface de la zone asséchée au sens de la rubrique 4. 1. 0 ;
" enfin, que la qualification juridique faite par l'arrêt en ce qui concerne l'assèchement ne pouvait se limiter au regard de la rubrique 4. 1. 0 au seul maillage hydraulique par les fossés alors que la définition de la zone humide donnée par l'article 2 de la loi sur l'eau comprend les terrains habituellement inondés ou gorgés d'eau de façon permanente ou temporaire, la végétation quand elle existe y étant dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année et que l'arrêt constate parallèlement que les travaux ont été réalisés dans une zone humide caractérisée par l'inondation, du fait des pluies hivernales ou printanières de tous les jas (anciens oeillets, c'est-à-dire bassins datant de l'époque où il s'agissait d'un marais salant) par une épaisseur d'eau variant de quelques centimètres à plusieurs dizaines de centimètres, ces jas communiquant avec les fossés du pourtour dont ils constituent des prolongements indispensables aux frayères de poissons et de batraciens, la flore reflétant, en outre, parfaitement le degré d'inondabilité des jas du fait de la présence dominante de plante hygrophiles ; qu'en ne prenant en compte qu'une partie des éléments légaux définissant une zone humide et en s'abstenant de rechercher s'il n'y avait pas assèchement, par disparition du caractère inondable et de la végétation caractéristique des jas, parties de la zone reconnues par l'arrêt comme constituées de terrains habituellement inondés de façon temporaire et caractérisés par une végétation hygrophile pendant au moins une partie de l'année, tout en ayant constaté que les travaux ont consisté à niveler, par simple grattage, les bosses existantes vers les parties de plus basse altitude (les jas), l'arrêt a méconnu les articles 2 et 10 de la loi, n'est pas suffisamment motivé et est entaché de contradiction " ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour la Ligue de protection des oiseaux, la société pour l'Etude et la protection de la nature (SEPRONAS), et pour l'Union Centre Atlantique pour la protection de la nature et de l'environnement, pris de la violation des articles 1, 2, 10, 23 et 24 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, des articles 2 à 15 du décret n° 93-742 du 29 mars 1993 et la rubrique n° 4. 1. 0 de la nomenclature fixée par le décret n° 93-743 du 29 mars 1993, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé Ferdinand Y... et Claude X... poursuivis pour avoir, sans autorisation administrative, procédé à des travaux d'assèchement, d'imperméabilisation et remblais de zone humide ou de marais, la zone asséchée étant supérieure à 10 000 m2 et a, en conséquence, débouté les parties civiles de toutes leurs demandes ;
" aux motifs que le mot " remblai " vient de " remblayer " lui-même produit de " embluer " ancienne variante de " emblaver ", c'est-à-dire ensemencer en blé, ce qui correspond curieusement à l'opération réalisée en l'espèce alors que le mot a perdu tout rapport autre qu'historique avec " blé " et qu'il exprime l'action d'apporter des terres, des gravois pour combler un creux ou exhausser un terrain ; que le déverbal " remblai " de nos jours a deux sens : il sert d'abord de substantif d'action et, dans cet emploi, il a été remplacé par " remblayage ", dans sa deuxième acception, il a pris le sens concret de la masse de matière rapportée pour remblayer ; que, sous sa forme actuelle ou historique, le " remblai " suppose un apport de matière extérieure ; qu'en l'espèce, les travaux ont consisté à niveler, par simple grattage, les bosses existantes vers les parties de plus basse altitude (les jas) riveraines de ces bosses, sans aucun apport de terre ou de matériau d'une zone extérieure " : le nivellement ayant eu pour objectif la mise en oeuvre des façons culturelles modernes et non l'élévation du niveau de la zone pour la mettre hors d'eau en saison humide ; que les opérations réalisées, bien que concernant une zone humide, ne peuvent être considérées comme des travaux d'assèchement, d'imperméabilisation ou de remblais au sens de l'article 4. 1. 0 du décret du 29 mars 1993 et qu'ils n'étaient donc pas soumis à autorisation bien que portant sur une superficie supérieure à 10 000 m2 ;
" alors, d'une part, que l'opération de remblais n'exige pas un apport de matières extérieures à la zone humide ou qu'il provienne d'une autre parcelle ; qu'il suffit que l'apport de matières soit extérieur à l'assiette de la cavité humide comblée ; que, ce faisant, les juges du fond ont ajouté une condition nouvelle à la définition du remblai d'une zone humide au sens de la rubrique n° 4. 1. 0 de la nomenclature fixée par le décret n° 93-743 du 29 mars 1993 ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, qu'après avoir constaté que l'opération de remblai de zone humide supposait l'apport de matière extérieure, les juges du second degré ne pouvaient, sans se contredire, estimer que les travaux de nivellement par simple grattage de bosses existantes vers les parties de plus basse altitude ne constituaient pas une opération d'apport de terre extérieure à l'assiette de zone humide recouverte par les matériaux consécutifs à l'arasement des bosses ; qu'ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;
" alors, ensuite, que le mode d'apport des matériaux de remblais importe peu ; qu'une opération de nivellement des bosses impliquant un déplacement de terres en direction d'un espace humide où elles étaient absentes suffit à caractériser une opération de remblais de zone humide ; qu'en ajoutant une condition non prévue à l'incrimination de remblais d'une zone humide sans autorisation, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 10 et 23 de la loi du 3 janvier 1992 ainsi que la rubrique n° 4. 1. 0 de la nomenclature fixée par le décret n° 93-743 du 29 mars 1993 ;
" alors, enfin, que l'article 10 de la loi du 3 janvier 1992 soumet à autorisation préalable les installations, ouvrages, travaux et installations parce qu'ils entraînent une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, des dépôts directs ou indirects, même non polluants (article 10- I), parce qu'ils ont des effets graves sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques (article 10- II), ou parce qu'ils sont susceptibles de nuire au libre écoulement des eaux ou de porter atteinte gravement à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique (article 10- III) ; que le premier principe d'une gestion équilibrée des eaux impose selon l'article 2 de la loi de 1992 de préserver les écosystèmes aquatiques, les sites et les zones humides ; que la rubrique n° 4. 1. 0 comprise dans la première partie de la nomenclature annexée au décret n° 93-743 du 29 mars 1993 intitulée " milieux aquatiques en général " doit être interprétée en fonction des objectifs et des principes énoncés par les articles 2 et 10 de la loi du 3 janvier 1992 en tenant compte de tous les dangers présentés par l'opération critiquée et de la gravité de ses effets sur les intérêts protégés par une gestion équilibrée des eaux ; que le nivellement des bosses pour combler des " jas " et des fossés a pour effet de bloquer le mode d'écoulement des eaux du fait des tassements de terre et de porter gravement atteinte à la qualité et à la diversité de la zone humide ; qu'en se référant à une approche sémantique et un objectif étranger à la loi de 1992 tel que la mise en oeuvre de façons culturales modernes et aucunement aux objectifs et principes légaux précités, la cour d'appel a violé les articles 2, 10 et 23 de la loi du 3 janvier 1992 ainsi que le décret n° 93-743 du 29 mars 1993 en sa rubrique 4. 1. 0 " ;
Et sur le troisième moyen de cassation, proposé par le procureur général près la cour d'appel de Poitiers, pris de la violation des articles 2, 10, 23 et 24 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, de l'article 1er et de la rubrique 4. 1. 0 de l'annexe du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 relatif à la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration, des articles 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, défaut, insuffisance, contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué s'est abstenu, pour dire que les faits, objet de la poursuite, ne constituaient pas un assèchement de la zone humide ou du marais, au sens de la rubrique 4. 1. 0, de rechercher le sens et la portée des dispositions de cette rubrique au regard de l'article 10 de la loi du 3 janvier 1992 et de son article 2 définissant l'objet de la loi qui en constituent le fondement légal, mais en a recherché le sens et la portée à partir de considérations étrangères au texte et à l'objet de la loi sur l'eau ;
" alors que, d'une part, l'arrêt, après avoir constaté que les travaux ont consisté à niveler par simple grattage les bosses existantes vers les parties de basse altitude (les jas) dont il reconnaît, par ailleurs, le caractère périodiquement inondable du fait des pluies hivernales et printanières avec la présence d'une épaisseur d'eau de quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres en communication avec les fossés du pourtour, aurait dû rechercher si l'apport de terre dans les jas ne constituait pas un assèchement, un remblai par dépôt direct ou indirect ou par modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, éléments juridiques en fonction desquels les travaux ou activités sont soumis à autorisation en application du I de l'article 10 de la loi sur l'eau, que cet article 10- I n'exige pas que les dépôts directs ou indirects ou que les travaux ou activités qui modifient le niveau ou le mode d'écoulement des eaux soient les conséquences d'apports de matériaux extérieurs à la zone de réalisation ou activités ; qu'en considérant qu'il n'y avait assèchement par remblais au sens de la rubrique 4. 1. 0 que s'il y avait apport de matériaux extérieurs à la zone de réalisation des travaux, condition non prévue par la loi et non imposée par la rédaction de la rubrique 4. 1. 0, l'arrêt méconnaît l'article 10- I de la loi sur l'eau et le décret n° 93-743 du 29 mars 1993, n'est pas suffisamment motivé et ne permet pas à la Cour de Cassation d'exerce son contrôle ;
" alors, d'autre part, que les installations, ouvrages, travaux ou activités sont soumis à un régime d'autorisation parce qu'ils entraînent une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, des dépôts directs ou indirects même non polluants (article 10- I) parce qu'ils ont des effets graves sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques (article 10- II) ou parce qu'ils sont susceptibles de nuire au libre écoulement des eaux ou de porter atteinte gravement à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique (article 10- III) ; que le régime d'autorisation institué par l'article 10 de la loi sur l'eau a pour finalité de fixer les prescriptions nécessaires à la protection des principes mentionnés à l'article 2 de la loi sur l'eau (article 10- III), l'autorisation pouvant être refusée ou retirée en cas de menace majeure pour le milieu aquatique et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur conservation (article 10- IV) ; que le premier des quatre principes énoncés à l'article 2 de la loi sur l'eau qui en définit l'objet est la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; que la rubrique 4. 1. 0 est la première de la partie de la nomenclature dénommée " milieux aquatiques en général " ; que l'arrêt ne pouvait donc, sans méconnaître les articles 2 et 10 de la loi sur l'eau et le décret n° 93-742 du 29 mars 1993, refuser la qualification d'assèchement au sein de la rubrique 4. 1. 0 à partir d'une approche sémantique ou de l'objectif poursuivi par les travaux alors que les articles 2 et 10 de la loi constituent le fondement législatif auquel la Cour était tenue de se référer pour rechercher si les éléments de fait dont elle disposait devaient ou non être qualifiés d'assèchement au sens de cette rubrique ; qu'en l'absence de toute prise en compte de l'objet de la loi et de la finalité du régime d'autorisation institué par l'article 10 de la loi, l'arrêt a violé les articles 2 et 10 de la loi sur l'eau, le décret n° 93-742 du 29 mars 1993, n'est pas suffisamment motivé et ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivalent à leur absence ;
Attendu que, pour relaxer Claude X... et Ferdinand Y... du chef d'assèchement non autorisé d'une zone humide, les juges du second degré se bornent à énoncer qu'en l'état de la réalisation par les prévenus, dans la zone incriminée, d'un fossé permettant une circulation d'eau d'une quantité au moins égale à celle qui existait avant la réalisation des travaux, il n'est pas établi que la maille hydraulique des terres concernées ait été modifiée, ni qu'il y ait eu un assèchement effectif, les opérations réalisées, bien que concernant une zone humide, ne pouvant être considérées comme des travaux d'assèchement, d'imperméabilisation ou de remblai, au sens de l'article 4. 1. 0 précité de la nomenclature annexée au décret du 29 mars 1993 et n'étant, dès lors, pas soumis à autorisation ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs insuffisants et contradictoires, alors que l'assèchement d'une zone humide, au sens de la rubrique précitée de la nomenclature, est soumise à autorisation indépendamment de toute mesure compensatoire et que les travaux réalisés, consistant en arasement des parties hautes et en comblement des parties basses du " marais à bosses ", modifiaient nécessairement le niveau ou le mode d'écoulement des eaux, ce qui suffisait à rendre obligatoire l'autorisation imposée par l'article 10- I de la loi du 3 janvier 1992, la cour d'appel, qui, de surcroît, n'a pas recherché si les travaux susévoqués, dont la finalité consistait à mettre en culture de blé une zone jusqu'alors temporairement inondable, n'étaient pas de nature à porter gravement atteinte à cet écosystème protégé, en violation du paragraphe II de ce même texte, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Que la cassation est, dès lors, encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, en date du 9 janvier 1997, et pour qu'il soit, à nouveau, jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 97-81389
Date de la décision : 25/03/1998
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT - Protection de la faune et de la flore - Zone de protection spéciale, d'intérêt écologique et d'intérêt communautaire pour les oiseaux - Travaux d'assèchement, d'imperméabilisation ou de remblais réalisés dans une zone humide ou de marais - Nivellement des creux et des bosses entraînant une modification du niveau et du mode d'écoulement des eaux - Autorisation préalable nécessaire en application des dispositions de l'article 10 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, et de l'article 4-1-0 de la nomenclature annexée au décret d'application du 29 mars 1993.

Les travaux d'arasement des parties hautes et de comblement des parties basses d'un " marais à bosses ", même sans apport de terre extérieure, qui modifient nécessairement le niveau ou le mode d'écoulement des eaux d'une zone humide, incluse dans une zone de protection spéciale, d'intérêt écologique et communautaire pour les oiseaux, constituent des travaux d'assèchement d'une zone humide, au sens de l'article 4-1-0 de la nomenclature annexée au décret du 29 mars 1993, soumis à autorisation en application de l'article 10 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, indépendamment de toute mesure compensatoire. Encourt, dès lors, la censure l'arrêt qui, pour relaxer les prévenus poursuivis pour avoir, sans autorisation administrative, asséché une zone humide ou de marais en procédant au nivellement des creux et des bosses de cette zone, d'une superficie supérieure à 10 000 m2, en vue de la transformer en terre à blé, se borne à énoncer, sans avoir, de surcroît, recherché si les travaux entrepris étaient de nature à porter atteinte à un écosystème protégé, qu'en l'état de la réalisation d'un fossé permettant la circulation d'une quantité d'eau au moins égale à celle qui existait avant la réalisation des travaux incriminés, il n'est pas établi que la maille hydraulique des terres concernées ait été modifiée ni qu'il y ait eu un assèchement effectif.


Références :

Décret 93-743 du 29 mars 1993
Loi du 03 janvier 1992

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 09 janvier 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 25 mar. 1998, pourvoi n°97-81389, Bull. crim. criminel 1998 N° 112 p. 287
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1998 N° 112 p. 287

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Roman, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Amiel.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Grapinet.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Peignot et Garreau, M. Brouchot.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:97.81389
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