CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Christian,
- le GAEC X... Père et Fils,
- la SARL Winexport X...,
- X... Joseph,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 1995, qui, pour falsification de boissons, mise en vente de boissons falsifiées et tromperie sur l'appellation d'origine, a condamné Christian X... à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 250 000 francs d'amende, ordonné la publication de la décision et prononcé sur les réparations civiles, et qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, a condamné Christian X..., Joseph X..., le GAEC X... Père et Fils et la SARL Winexport X... à des pénalités fiscales.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 215-16 du Code de la consommation :
" en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de nullité de la procédure tirée de la nullité de l'avis rendu par M. A..., désigné par le tribunal du fait du désaccord ayant existé entre M. Y... et M. B... ;
" aux motifs que la communication à M. A..., directeur du laboratoire de l'Admininistration, du rapport de l'expert privé M. Z..., intervenue hors de la procédure, n'était pas de nature à entacher d'irrégularité l'avis donné par M. A..., dès lors que la pièce en cause avait été régulièrement versée aux débats lors de l'audience à la suite de laquelle l'avis litigieux avait été sollicité ; que M. A... avait, surabondamment, discuté les appréciations de M. Z... ; que les textes ne conféraient pas de limites sur la nature, le contenu et la forme des observations sollicitées ;
" alors que le laboratoire de l'Administration, amené à donner son avis en cas de désaccord entre les experts chargés d'analyser les échantillons de vin prélevés en vue de déceler une éventuelle fraude, ne doit exclusivement avoir connaissance que du rapport d'expertise et ne peut, sans porter atteinte aux droits de la défense, émettre des appréciations critiques sur le dossier constitué par le prévenu pour sa défense " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que des échantillons de vin appartenant à la société Winexport, dirigée par Christian X..., ont été analysés par le laboratoire de la Répression des fraudes, puis qu'une expertise contradictoire a été mise en oeuvre dans les conditions prévues par l'article L. 215-12 du Code de la consommation et confiée à deux experts qui ont déposé un rapport commun ; qu'invités par le juge d'instruction à préciser leurs conclusions ces experts ont fait état d'opinions divergentes ; que le tribunal correctionnel a ordonné la communication du rapport d'expertise et des documents l'accompagnant au laboratoire de l'Administration et sollicité son avis, dans les conditions prévues par l'article L. 215-16 du Code précité ;
Que le prévenu, invoquant la nullité de cet avis, a prétendu que le texte précité ne permettrait de communiquer au laboratoire que la seule expertise judiciaire, à l'exclusion de toute autre pièce de procédure, et soutenu qu'en l'espèce la communication au directeur dudit laboratoire, qui l'a critiqué, d'un rapport d'analyse technique versé aux débats par la défense aurait porté atteinte à ses intérêts ;
Que, pour écarter l'exception, la cour d'appel énonce que l'avis du laboratoire de l'Administration a été régulièrement demandé et obtenu, et qu'il n'importe qu'il contienne un commentaire surabondant du rapport technique versé par la défense ; que les juges ajoutent que cet avis a été soumis au débat contradictoire, la défense ayant produit un nouveau rapport technique pour y répondre ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que le laboratoire de l'Administration, saisi dans les conditions de l'article L. 215-16 du Code de la consommation, peut recevoir communication de toute pièce de la procédure, et que son avis est soumis au débat contradictoire, l'arrêt attaqué n'a pas encouru le grief allégué ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 213-3 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Christian X... coupable de falsification de boissons alcooliques par ajout d'eau et de sucre dans des proportions interdites par la loi et de mise en vente de telles boissons ;
" aux motifs que la fraude par mouillage avait été formellement confirmée par les résultats de l'expertise contradictoire, qui avait aussi établi la surchaptalisation ; que l'expert B... ne pouvait sérieusement conclure à un défaut de fiabilité des méthodes isotopiques ; que le laboratoire de l'Administration et le laboratoire Eurofins avaient démontré la non-conformité des vins à raison d'un mouillage important sur les mêmes échantillons ; que l'expert, M. Z..., mandaté par les parties, s'abstenait de critiquer l'analyse particulièrement charpentée de ses confrères et avait admis n'avoir aucune expérience en ce domaine ; que le mouillage et la surchaptalisation des vins étaient établis ;
" alors, d'une part, que le délit de falsification de boissons par mouillage et chaptalisation suppose l'ajout d'eau et de sucre dans des proportions interdites par la loi ; qu'en s'étant fondée sur les rapports d'expertise, lesquels ne peuvent apprécier la culpabilité du prévenu en droit sans expliquer dans quelle mesure les ajouts reprochés à Christian X... n'étaient pas conformes à la législation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" alors, d'autre part, que le rapport d'expertise de M. Y... et de M. B... avait conclu que les éléments des résultats n'étaient pas significatifs d'une adultération et que les analyses pratiquées par le laboratoire Eurofins avaient mis en évidence un sucrage du vin dans la limite autorisée par la législation ; qu'en considérant que cette expertise avait formellement confirmé la fraude par mouillage et surchaptalisation, la cour d'appel en a dénaturé les termes ;
" alors, enfin, qu'en n'ayant pas répondu aux critiques circonstanciées formulées par M. Z..., expert en oenologie, et reprises par le prévenu, en raison du fait que cet expert aurait admis n'avoir aucune expérience en ce domaine et en dépit du fait que M. B..., dans une lettre postérieure au rapport d'expertise, avait émis les mêmes critiques sur les méthodes d'analyse utilisées, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs " ;
Attendu que, pour déclarer Christian X... coupable des infractions de falsification de boissons, mise en vente de boissons falsifiées et tromperie sur l'origine de marchandises offertes à la vente, la cour d'appel énonce que le prévenu a ajouté de l'eau et des sucres dans des proportions irrégulières à du vin de Champagne qu'il a fabriqué et mis en vente ; qu'elle ajoute que le mouillage est établi tant par l'analyse du laboratoire de l'Administration que par l'expertise judiciaire contradictoire, laquelle, plus approfondie, a également révélé une surchaptalisation ;
Que les juges relèvent que l'auteur du rapport technique produit par la défense est dénué de toute expérience dans le domaine considéré, et se borne à se référer à des ouvrages antérieurs au développement des techniques actuelles d'analyse ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, répondant aux chefs péremptoires des conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui remet en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur des éléments de preuve soumis au débat contradictoire, doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 4, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt a condamné Christian X... à verser à chacune des parties civiles, c'est-à-dire l'INAO, le SGV et le CIVC, la somme de 30 000 francs de dommages et intérêts ;
" aux motifs que la Cour disposait des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 30 000 francs, pour chaque partie civile, le montant de l'indemnité destinée à compenser le préjudice subi ;
" alors que l'action civile en réparation du préjudice découlant d'une infraction n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction poursuivie ; que la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le préjudice personnel subi par les différents groupements, n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu que, pour allouer des dommages-intérêts au Syndicat général des vignerons de Champagne, au Comité interprofessionnel du vin de Champagne et à l'Institut national des appellations d'origine, constitués parties civiles, la juridiction du second degré énonce que les faits de fraude et de falsification de vin de champagne commis par Christian X... ont directement porté atteinte aux intérêts que les parties civiles représentent et dont elles ont la charge ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant d'une appréciation souveraine, et dès lors que l'article 2 de la loi du 5 août 1908 permet aux syndicats agricoles et viticoles d'exercer les droits reconnus à la partie civile dans les poursuites intentées pour fraude et falsification, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;
Mais sur le moyen de cassation relevé d'office, et pris de la violation des articles 593 du Code de procédure pénale, 401, 403, 404, 408, 438, 439, 443 à 446, 1791 du Code général des impôts :
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, selon l'article 1791 du Code général des impôts, et sous réserve des dispositions spéciales prévues par ce Code, toute infraction aux dispositions sur les contributions indirectes est punie d'une amende de 100 à 5 000 francs, d'une pénalité dont le montant est compris entre 1 et 3 fois celui des droits fraudés ou compromis et de la confiscation des objets saisis en contravention ; que la confiscation ne peut être prononcée qu'une seule fois pour un même objet de fraude, même si plusieurs infractions ont été relevées ; qu'un même fait ne peut donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité ;
Attendu que l'Administration a cité la société Winexport et son gérant Christian X..., le GAEC X... Père et Fils et son gérant Joseph X... pour plusieurs infractions à la législation sur les contributions indirectes, à la suite du mouillage et du sucrage irréguliers de 92 739 bouteilles de vin mousseux d'une valeur totale de 4 636 950 francs ;
Attendu que, d'une part, la cour d'appel, pour circulation de vins sous le couvert de trois titres de mouvement inapplicables, a condamné solidairement tous les prévenus au paiement de 3 amendes de 100 francs et de 3 pénalités de 4 636 950 francs, égales chacune à la valeur de la marchandise de fraude ;
Que, d'autre part, la juridiction du second degré a condamné, par ailleurs, le GAEC X... Père et Fils et Joseph X..., son gérant, pour fabrication de dilution alcoolique sans déclaration, à une amende de 100 francs, à une pénalité de 814 828 francs égale au montant des droits fraudés, et à une somme de 4 636 950 francs représentant la valeur de confiscation des bouteilles ; que les 2 mêmes prévenus, pour infraction aux dispositions concernant les sorties de vins de propriété et les mesures prises pour l'amélioration de la qualité des vins, ont été condamnés à une amende de 100 francs, à une pénalité de 4 636 950 francs, les juges ordonnant la confiscation des bouteilles en vue de leur envoi en distillerie ;
Qu'en outre la cour d'appel a condamné la société Winexport, propriétaire des bouteilles, et son gérant Christian X..., solidairement, pour détention d'alcool sans déclaration, au paiement d'une amende de 100 francs et d'une pénalité de 4 636 950 francs ; qu'elle a prononcé les mêmes peines à l'encontre de ces 2 mêmes prévenus, en répression de l'infraction de fausse déclaration de stock de vin ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans caractériser la participation de chaque prévenu à chacune des infractions dont il a été reconnu coupable, sans justifier le montant des différentes pénalités proportionnelles infligées, en appliquant cumulativement aux mêmes faits poursuivis la législation concernant les vins et celle relative aux alcools, et alors que la condamnation à la confiscation, prononcée en nature, ne pouvait être prononcée en outre en valeur, la cour d'appel, qui n'a pas respecté les principes rappelés ci-dessus, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de contrôler la régularité de sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Reims, en date du 14 décembre 1995, en ses seules dispositions fiscales, toutes autres dispositions de l'arrêt demeurant expressément maintenues ;
Et, pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.