CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Ginette, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, du 13 octobre 1995, qui, dans la procédure suivie contre Arwin Y... pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Ginette X..., agent de l'Etat, a été blessée, à l'âge de 56 ans, lors d'un accident dont Arwin Y... a été reconnu responsable ; qu'au terme d'une incapacité totale du 16 mars 1984, date de l'accident, au 26 janvier 1992, date de la consolidation, elle demeure atteinte d'une incapacité permanente de 70 % ;
En cet état :
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale, 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt affirmatif attaqué a fixé à 2 820 699, 41 francs le montant du préjudice soumis au recours de l'Etat et à 283 002 francs le montant du préjudice personnel de Ginette X... ;
" aux motifs que, selon la jurisprudence habituelle, la perte d'indemnité de professeur principal, celle d'indemnité d'heures supplémentaires et le préjudice économique dû à la perte des possibilités d'avancement faisaient partie du préjudice soumis au recours de l'Etat ;
" alors, d'une part, que le juge doit se déterminer d'après les circonstances particulières de la cause et non par voie de référence à des causes déjà jugées, qu'il ne peut viser exclusivement " la jurisprudence habituelle " pour soumettre la perte d'indemnité de professeur principal, celle d'indemnité d'heures supplémentaires et le préjudice économique dû à la perte des possibilités d'avancement au recours de l'Etat, sans assortir sa décision d'autre motif ;
" alors, d'autre part, que le recours subrogatoire de l'Etat aux droits de la victime ne s'applique qu'aux indemnités versées et maintenues à la victime après l'accident c'est-à-dire aux sommes qu'il a effectivement déboursées ; qu'en l'espèce Ginette X... n'a plus perçu, à compter de son accident, les 2 indemnités de professeur principal et d'heures supplémentaires et qu'elle ne percevra pas non plus la retraite à laquelle elle aurait pu prétendre ; qu'en conséquence le recours de l'Etat ne peut porter que sur les sommes qu'il a effectivement versées au titre du salaire de base de Ginette X... ; qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen " ;
Attendu qu'en comprenant dans l'assiette du recours du Trésor public l'ensemble des indemnités réparant l'atteinte à l'intégrité physique de Ginette X..., notamment au titre de son incapacité temporaire de travail, la cour d'appel, loin de violer les dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, en a fait l'exacte application ;
Qu'en effet les frais médicaux, l'incapacité temporaire de travail et l'incapacité permanente constituent les divers aspects d'un même préjudice et l'Etat, dont les prestations ont contribué à sa réparation, est fondé à réclamer, par subrogation aux droits de la victime, le remboursement de ses dépenses dans la seule limite de l'indemnité mise à la charge du tiers responsable selon le droit commun, à l'exclusion de la part de cette indemnité réparant des chefs de préjudice de caractère personnel qui, en raison de leur nature, ne se trouvent pas couverts par lesdites prestations ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 485 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné in solidum Arwin Y..., la société Avis et la compagnie Cigna France à payer à Ginette X... la somme de 812 095, 07 francs, en limitant à 70 000 francs le montant du préjudice d'agrément ;
" aux motifs que, compte tenu des éléments fournis au cours de la procédure, des conclusions de l'expert, des justifications présentées et des explications données aux débats, l'indemnité due à la victime devait être ainsi fixée ;
" alors que la réparation du préjudice de la victime doit être intégrale ; qu'il résultait du rapport de l'expert auquel la cour d'appel s'est expressément référée que la perte d'autonomie à se déplacer constituait un préjudice d'agrément dont l'importance était précisée par les conclusions de Ginette X... démontrant que cette dernière était dans l'impossibilité de mener une vie normale et ce, jusqu'à la fin des ses jours ; que la somme de 1 000 000 francs réclamée n'était donc pas excessive au regard de cette incapacité ; qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen " ;
Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 485, 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné in solidum Arwin Y..., la société Avis et la compagnie Cigna France à payer à Ginette X... la somme de 812 095, 07 francs, sans y inclure la réparation du préjudice moral et du préjudice sexuel ;
" aux motifs que compte tenu des éléments fournis au cours de la procédure, des conclusions de l'expert, des justifications présentées et des explications données aux débats, le préjudice moral et le préjudice sexuel n'étaient pas établis ;
" alors que la réparation du préjudice de la victime doit être intégrale ; que les conclusions rappelaient, s'agissant du préjudice moral, que l'existence du pretium doloris, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément suffisait à démontrer l'importance de ce préjudice moral qui, consistant en une perte de ses sentiments, ne pouvait être valablement contesté chez Ginette X... ; que s'agissant du préjudice sexuel, celle-ci avait été hospitalisée ou avait subi des opérations, directement ou en centre de rééducation, durant 7 années pendant lesquelles il était difficile d'envisager une quelconque activité sexuelle ; que pour l'avenir, si toute activité sexuelle ne se trouvait pas définitivement proscrite, elle allait se trouver à tout le moins considérablement réduite ; qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre mieux qu'elle l'a fait aux conclusions dont elle était saisie, a, d'une part, évalué, dans les limites des demandes des parties, l'indemnité réparant le préjudice d'agrément subi par Ginette X..., d'autre part, dit que les préjudices moral et sexuel invoqués par celle-ci n'étaient pas établis ;
D'où il suit que les moyens, qui ne tendent qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, de la valeur et de la portée des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Mais, sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré " la perte des privilèges d'avancement " non admise au titre du préjudice financier de Ginette X... ;
" aux motifs qu'il s'agissait d'un préjudice hypothétique ;
" alors que la réparation du préjudice direct et certain de la victime doit être intégrale, que la minoration de retraite de Ginette X... du fait de son absence d'avancement s'analyse comme la perte d'une chance puisque l'avancement au sein de la fonction publique étant quasi automatique, la probabilité de promotion de Ginette X... était réelle et sérieuse ; que l'accident dont elle a été victime a entraîné la disparition de cette probabilité ; qu'en conséquence la différence entre la retraite qu'elle touchera effectivement et celle qu'elle aurait dû toucher constitue un préjudice économique direct et certain soumis au principe de la réparation intégrale ; qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, devant la juridiction du second degré, appelée à liquider son préjudice corporel, Ginette X... a sollicité notamment l'indemnisation d'une perte de chance découlant d'un manque à gagner au titre de sa retraite, en fonction d'une élévation d'indice à laquelle elle " pouvait prétendre accéder " avant l'âge de 65 ans ; que, pour rejeter ce chef de demande, les juges se sont fondés sur le caractère " hypothétique " du préjudice lié à " la perte des privilèges d'avancement " ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans mieux s'en expliquer, et alors que l'élément de préjudice constitué par la perte d'une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet de l'infraction, de la probabilité d'un événement favorable encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 13 octobre 1995, mais en ses seules dispositions relatives à la réparation du préjudice découlant pour Ginette X... de l'atteinte à son intégrité physique, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier.