CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Patrice,
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal de ses enfants mineurs Justine, Charlotte et Alexandre X..., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 20e chambre, en date du 20 juin 1995, qui, pour dans la procédure suivie contre Eric Y... notamment pour homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu que, se prononçant sur l'indemnisation des préjudices ayant résulté pour Patrice X... et ses enfants mineurs, parties civiles, du décès de Josette X..., leur épouse et mère, survenu au cours d'un accident de la circulation dont Eric Y..., poursuivi notamment pour homicide involontaire, a été déclaré entièrement responsable, la cour d'appel a, par arrêt préparatoire du 17 novembre 1994, enjoint à l'organisme de sécurité sociale de la victime de faire connaître au Fonds de garantie automobile, intervenant à l'instance, le montant des prestations servies aux ayants droit de son assurée ;
Que, par l'arrêt attaqué, du 20 juin 1995, la juridiction du second degré a liquidé les préjudices économiques et matériels subis par ces derniers ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, ensemble violation du principe de la réparation intégrale du préjudice :
" en ce que l'arrêt attaqué a limité à 296 910 francs le préjudice économique de Patrice X... résultant du décès accidentel de sa femme à l'âge de 35 ans et a refusé de réparer le préjudice constitué par les prestations quotidiennes fournies par Josette X... pour l'entretien et l'éducation de ses enfants ;
" aux motifs que le salaire annuel de Josette X... était de 95 000 francs et celui de Patrice X... de 119 755 francs ; que les ressources globales du ménage, en tenant compte du délai écoulé depuis l'accident et de la perte de chance d'une augmentation régulière de salaires à laquelle pouvaient prétendre les 2 époux, s'établissaient à 230 000 francs ; que Josette X... qui exerçait un emploi salarié ne se consacrait pas aux tâches du foyer et que son absence est sans répercussion appréciable sur sa famille de ce chef ; qu'en fonction du salaire de Patrice X... la disparition de son épouse engendre une diminution annuelle de 44 294 francs ;
" alors, d'une part, que l'épouse et mère, même lorsqu'elle exerce une activité, salariée, se consacre aussi, sauf preuve contraire qui n'est pas rapportée en l'espèce, aux tâches du foyer et à l'éducation de ses enfants ; qu'en affirmant, sans la moindre justification, pour refuser de réparer le préjudice résultant de la disparition de la mère au foyer, que cette absence était sans répercussion appréciable sur sa famille, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
" alors, d'autre part, que la réparation du préjudice doit être intégrale ; que, dans ses conclusions, Patrice X... avait fait valoir que, à la date de son décès à l'âge de 35 ans, sa femme percevait un salaire mensuel de 8 500 francs et annuel de 101 867,96 francs sur 13 mois, et que ce salaire aurait progressé de 39 % jusqu'à l'âge de la retraite à 65 ans (concl. p. 3,§ 7 à 9), en tenant compte des seules augmentations dues à l'ancienneté ; qu'en retenant, en contradiction avec les éléments établis par le dossier, que le salaire annuel de Josette X... était de 95 000 francs à la date de son décès et en ne s'expliquant pas sur le taux d'actualisation qu'elle avait retenu pour fixer le préjudice économique de Patrice X... à 296 910 francs (déduction faite de l'indemnité EDF), somme qui représente au mieux, pour une diminution annuelle de ressources de 44 294 francs retenue par la Cour et dont 55 % auraient bénéficié à Patrice X..., 12 années de la part contributive de la victime absorbée par le mari, la cour d'appel, qui a manifestement sous-évalué ce préjudice, n'en a pas réparé l'intégralité et a violé les textes susvisés " ;
Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, ensemble violation du principe de la réparation intégrale du préjudice :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a refusé de réparer le préjudice économique des enfants X... du fait du décès accidentel de leur mère ;
" aux motifs que les offres qui étaient faites par le Fonds de garantie pour les enfants apparaissaient comme satisfactoires et que, déduction faite des prestations versées par l'EDF, aucune indemnité complémentaire ne leur était due ;
" alors que le tribunal avait accordé à titre de réparation du préjudice économique des enfants les sommes de 101 325 francs à chacune des jumelles et 71 701 francs à Alexandre ; qu'en se bornant, par les seuls motifs susrappelés, à déclarer les offres du Fonds de garantie satisfactoires, sans même préciser quelles étaient les offres du Fonds de garantie ni le montant des prestations versées par l'EDF, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle de la légalité de sa décision et de s'assurer que le préjudice subi par les enfants X... avait été intégralement réparé " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour évaluer le préjudice économique de Patrice X... et de ses enfants mineurs, la cour d'appel détermine la perte de ressources annuelle qu'ils subissent par référence au montant cumulé des salaires des 2 époux, dont elle attribue une quote-part, après déduction de la part d'autoconsommation de la victime, à chacun de ses ayants droit, puis capitalise les sommes ainsi obtenues par application d'un franc de rente ;
Attendu qu'en se déterminant de la sorte, et dès lors que ce mode de calcul, qui inclut dans les pertes de revenus des ayants droit les économies que réalisait le couple, tient nécessairement compte de l'incidence financière des activités ménagères qu'accomplissait la victime, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de spécifier mieux qu'elle l'a fait les bases de son calcul, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 12 et 16 de la loi du 5 juillet 1985, 427, 500 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la demande tendant à faire condamner le Fonds de garantie pour l'absence d'offres d'indemnité à la victime dans les délais prévus par les articles 12 et 16 de la loi du 5 juillet 1985 ;
" aux motifs que cette demande non formulée devant les premiers juges était irrecevable en cause d'appel ;
" alors, d'une part, que, en toute matière, le juge doit respecter le principe du contradictoire ; qu'en l'espèce le Fonds de garantie n'avait pas, dans ses conclusions, soulevé l'irrecevabilité de la demande d'indemnité fondée sur l'absence d'offre dans les délais prévus par les articles 12 et 16 de la loi du 5 juillet 1985 ; que, dès lors, le juge ne pouvait soulever d'office, sans avoir invité les parties à s'en expliquer, la prétendue irrecevabilité de cette demande ;
" alors, d'autre part, que la partie civile peut, en cause d'appel, former une demande nouvelle contre l'assureur lorsque celui-ci est lui-même appelant et lorsque la demande nouvelle n'a qu'un caractère accessoire par rapport à la demande principale ; qu'en l'espèce la partie civile et le Fonds de garantie étant tous 2 appelants du jugement du tribunal correctionnel de Créteil en date du 8 mars 1994 statuant sur les intérêts civils, la demande de Patrice X... tendant à voir prononcer contre le Fonds de garantie les sanctions prévues par l'article 16 de la loi du 5 juillet 1985 pour violation des dispositions de l'article 12 de ce même texte, à savoir une augmentation du taux des intérêts légaux pour absence d'offre d'indemnité dans le délai de 8 mois ou offre d'indemnité insuffisante, était une demande accessoire à la demande d'indemnité et était donc recevable ;
" alors, enfin, que, en vertu de l'article 500, alinéa 3, du Code de procédure pénale, la partie civile est toujours recevable à demander une augmentation des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance ; que la cour d'appel devait au moins rechercher si le non-paiement par le Fonds de garantie des sommes mises à sa charge par le jugement du 8 mars 1994 avait causé aux parties civiles un préjudice supplémentaire dont elles étaient fondées à demander réparation par l'application de la sanction prévue par l'article 16 de la loi du 5 juillet 1985 ; que, faute de l'avoir fait, elle a violé les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que l'interdiction faite par l'article 515, alinéa 3, du Code de procédure pénale à la partie civile de former, en cause d'appel, une demande nouvelle n'est pas d'ordre public ;
Attendu que, saisie de conclusions de la partie civile tendant à ce qu'en application des dispositions des articles 12 et 16 de la loi du 5 juillet 1985, les indemnités pouvant incomber au fonds de garantie contre les accidents soient assorties des intérêts au double du taux légal, en sanction du caractère tardif ou manifestement insuffisant des offres faites par cet organisme, la cour d'appel relève l'irrecevabilité de cette demande, qu'elle qualifie de nouvelle ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que ni le Fonds de garantie ni le prévenu n'avaient invoqué l'exception prise de l'article 515, alinéa 3, du Code de procédure pénale, à la supposer fondée, la cour d'appel, qui ne pouvait relever cette exception d'office sans excéder ses pouvoirs, a méconnu les textes et principes susrappelés ;
Que la cassation est, dès lors, encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 20 juin 1995, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande tendant au doublement des intérêts au taux légal, et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.