Attendu que, le 12 décembre 1979, Marie Y..., épouse de Raoul B..., a vendu à sa fille, Mme Geneviève X..., des biens immobiliers constituant le siège d'une exploitation agricole en se réservant, ainsi qu'au profit de son mari, un droit d'usage et d'habitation sur une partie du bâtiment d'habitation ; que la vente était consentie moyennant le prix de 198 000 francs, payable à concurrence de 112 500 francs par compensation avec la créance de salaire différé due à Mme X..., le surplus étant converti en l'obligation pour celle-ci de loger, nourrir, entretenir, blanchir, chauffer, éclairer et soigner la venderesse sa vie durant, ainsi que Raoul B..., s'il survivait à son épouse ; que, le même jour, Marie Y... a donné à bail rural à long terme à Mme X... les terres entourant les immeubles vendus ; qu'elle est décédée le 7 avril 1987, laissant son mari et leurs trois filles, Mmes Z..., A... et X..., après avoir notamment légué à cette dernière les terres de l'exploitation agricole ; que Mme Z... a soutenu que la vente constituait une libéralité déguisée et que le bail conférait un avantage indirect à sa bénéficiaire, de sorte que Mme X... en devait rapport à la succession ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Vu l'article 918 du Code civil ;
Attendu, suivant ce texte, que la valeur en pleine propriété des biens aliénés soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdu, ou avec réserve d'usufruit, à l'un des successibles en ligne directe, sera imputée sur la portion disponible, et l'excédent, s'il y en a, sera rapporté à la masse ; que cette énumération est limitative ;
Attendu que pour décider que la valeur des biens vendus le 12 décembre 1979 devra être " rapportée à la succession ", la cour d'appel a retenu, d'une part, par motifs propres, que cette vente est intervenue à fonds perdu, la contrepartie de la valeur des biens aliénés ne se retrouvant pas dans le patrimoine de la défunte à son décès ; qu'elle a retenu, d'autre part, par motifs adoptés des premiers juges, que Marie Y... s'était réservée le droit d'usage et d'habitation de tout le rez-de-chaussée et d'une chambre au premier étage, ainsi que le droit d'usage des meubles, de sorte qu'en l'état de cette réserve d'usufruit, l'article 918 du Code civil doit s'appliquer ;
Attendu, cependant, d'une part, que les juges du fond avaient constaté que Raoul B... avait été désigné, lors de la vente litigieuse, cobénéficiaire du droit d'usage et d'habitation ainsi que du " bail à nourriture " mis à la charge de Mme X..., et avait survécu à son épouse, de sorte qu'au décès de Marie Y... subsistait dans le patrimoine de celle-ci une créance contre l'acquéreur en raison de la stipulation faite au profit de Raoul B... ;
Et attendu, d'autre part, que les dispositions du texte susvisé ne peuvent être étendues à une aliénation avec réserve d'un simple droit d'usage et d'habitation, qui, en l'espèce, ne portait, d'ailleurs, que sur une partie des biens vendus ; que, dès lors, en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen :
Vu l'article 918 du Code civil ;
Attendu qu'en décidant que la valeur des biens vendus le 12 décembre 1979 devra être rapportée à la succession, pour le tout, au motif qu'il s'agit d'une vente à fonds perdu, alors que, d'une part, la cour d'appel constatait qu'il avait été convenu que, pour partie, le prix était payé par compensation avec la créance de salaire différé attribuée dans l'acte à Mme X... et que, d'autre part, elle ordonnait une expertise pour rechercher tous éléments permettant de statuer sur l'existence et le montant de cette créance, de sorte que si la réalité de cette créance était établie, l'aliénation litigieuse échapperait, dans cette mesure, aux dispositions du texte susvisé, la cour d'appel a encore violé celui-ci ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Vu les articles 843 et 853 du Code civil ;
Attendu que pour décider que la valeur de l'avantage indirect résultant du bail consenti à Mme X... par Marie Y... devra être rapportée à la succession, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que ce bail a entraîné une diminution de la valeur des terres louées ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi Mme X..., dont les juges du fond constataient qu'elle était légataire des terres qui lui avaient été antérieurement données à bail, avait tiré un avantage indirect de cette location dont elle devrait rapport à la succession, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en ce qu'il a décidé que la valeur des biens cédés par Marie Y... à Mme X... par acte du 12 décembre 1979, ainsi que la valeur de l'avantage indirect résultant du bail rural à long terme consenti le même jour à cette dernière, devront être " rapportées à la succession ", l'arrêt rendu le 3 février 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.