Vu la connexité joint les pourvois n° 93-42.409 à 93-42.411 ;
Attendu, selon les trois arrêts attaqués (Paris, 30 mars 1993) que Mmes X..., Y... et Roger engagées en 1988, les deux premières en qualité de secrétaire de rédaction et la troisième en qualité de secrétaire de direction puis de rédactrice du magazine Voici ont, par lettres du 15 novembre 1990, notifié leur démission à leur employeur, la société Prisma Presse, et ont saisi la juridiction prud'homale en invoquant la clause de conscience prévue à l'article L. 761-7 du Code du travail ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par la société :
Attendu que la société fait grief aux arrêts d'avoir décidé que ces trois salariées étaient fondées à invoquer les dispositions de l'article L. 761-7, 3°, du Code du travail, et de l'avoir, en conséquence, condamnée à leur payer l'indemnité prévue à l'article L. 761-5 du même Code, alors, selon le moyen, d'une part, que, conformément à l'article L. 761-7, 3°, du Code du travail, une indemnité de licenciement est due au journaliste démissionnaire à la condition qu'il établisse qu'un changement notable de caractère ou d'orientation est intervenu dans le journal ou le périodique auquel il participe et que ce changement est de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou d'une manière générale à ses intérêts ; que la cour d'appel qui, pour retenir le caractère notable du changement d'orientation du magazine Voici, s'est bornée à relever sa vocation sensationnelle et à en voir la confirmation dans un numéro de novembre 1990 mais qui s'est abstenue de rechercher si les articles, leurs sujets et leur traitement différaient de manière notable, spécialement pour le public, des articles parus précédemment dans les numéros auxquels les journalistes démissionnaires avaient collaboré, a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ; alors, d'autre part, que conformément à l'article L. 761-7, 3°, du Code du travail, le journaliste démissionnaire qui entend se prévaloir de la clause de conscience doit établir que le changement notable de caractère ou d'orientation de la publication a porté atteinte à ses intérêts moraux, étant entendu que toute évolution ne permet pas de présumer une telle atteinte et que les intérêts moraux du journaliste ne sont pas menacés lorsqu'il était en mesure, lors de son engagement, de prévoir cette évolution ; que la cour d'appel qui, pour condamner la société Prisma Presse au paiement d'une indemnité de licenciement, s'est bornée à déduire du changement retenu l'atteinte portée aux intérêts moraux des journalistes mais qui s'est abstenue de leur imposer d'établir en quoi leur réputation était atteinte par le seul fait d'appartenir à la rédaction d'une publication qui, populaire lors de sa création, se proposait de satisfaire davantage les goûts de ses lecteurs, a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée ; et alors, enfin que, pour l'application de l'article L. 761-7,3°, du Code du travail, la clause de conscience ne peut être invoquée par un journaliste lorsque le magazine auquel il participe se promet de satisfaire le goût du sensationnel de son public mais en faisant un travail sérieux, ce qui suppose le contrôle préalable à la publication de l'information ; que la cour d'appel qui a constaté que le rédacteur en chef de Voici imposait un traitement sérieux d'investigation mais qui a toutefois décidé que l'évolution de la publication portait atteinte aux intérêts moraux des journalistes, n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient et a en conséquence violé les dispositions susvisées ;
Mais attendu que la cour d'appel relève que le magazine, qui depuis son lancement en 1987 était exclusif de tout caractère scandaleux, s'était délibérément orienté, pour élargir sa diffusion et assurer sa survie, à partir du début de l'année 1990, vers la publication d'articles privilégiant le sensationnel et portant atteinte à la vie privée ; qu'au vu de ces constatations de fait desquelles ressortait le changement notable dans l'orientation du journal créant pour les trois journalistes une situation de nature à porter atteinte à leurs intérêts moraux, la cour d'appel a pu estimer que ces salariées étaient fondées à se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-7 du Code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que Mmes X..., Y... et Roger font grief à l'arrêt de les avoir déboutées de leur demande d'indemnité compensatrice de préavis alors, selon le moyen, que dans la mesure où un journaliste qui se prévaut, avec succès, de la " clause de conscience ", n'est pas tenu d'observer la durée du préavis que prévoit son statut, puisque la poursuite des relations contractuelles porterait atteinte à ses intérêts moraux, il en résulte que l'employeur, qui l'a contraint à une démission, est tenu de lui payer une indemnité de préavis ; que l'arrêt attaqué a donc violé l'article L. 761-7 du Code du travail ;
Mais attendu que lorsque le journaliste se prévaut de l'une des hypothèses prévues par l'article L. 761-7 du Code du travail, la résiliation du contrat de travail, même si le journaliste bénéficie d'une indemnité de licenciement, reste son fait et il est légalement dispensé d'accomplir un préavis ; qu'il ne peut donc réclamer une indemnité compensatrice de préavis à son employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.