Vu leur connexité, joint les pourvois n°s 94-11.611 et 94-11.942 ;
Attendu qu'à la suite d'un contrôle l'URSSAF a réintégré dans l'assiette des cotisations, comme se substituant à un élément de salaire en vigueur dans l'entreprise, les sommes que la Régie nationale des usines Renault (RNUR) a versées en 1988 et 1989 à ses salariés de Grand-Couronne et de Cléon en application d'un accord d'intéressement conclu le 24 juin 1987 et mis en place par avenant du 9 mars 1988 ; que l'arrêt attaqué (Rouen, 16 décembre 1993) a déclaré les redressements considérés fondés en leur principe, mais les a limités à la réintégration de la seule fraction de l'intéressement constitutive de la substitution à un élément de salaire prohibée par les dispositions de l'article 4, alinéa 2, de l'ordonnance du 21 octobre 1986 ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 94-11.611 de la RNUR, pris en ses diverses branches :
Attendu que la RNUR fait grief à l'arrêt d'avoir jugé fondés en leur principe les redressements pratiqués par l'URSSAF, alors, selon le moyen, d'une part, que pour constituer un élément du salaire, les primes ou allocations diverses versées par l'employeur doivent être non seulement constantes et générales, mais encore fixes, c'est-à-dire déterminées dans leur montant ou déterminables par des critères précis et objectifs, indépendants de la volonté de l'employeur ; que tel n'est pas le cas d'une prime dont le montant est fixé par décision unilatérale et discrétionnaire de l'employeur ; qu'en l'espèce, Renault faisait valoir sans être démenti que les primes exceptionnelles versées à l'ensemble de son personnel jusqu'en décembre 1987 étaient fixées chaque trimestre par une décision unilatérale, prise indépendamment de tout critère prédéterminé en fonction de la seule appréciation globale de l'employeur sur la situation de l'entreprise ; que la cour d'appel, pour qualifier ces primes d'éléments du salaire, s'est bornée à déclarer que " leur montant était variable. Cependant leur mode de calcul obéissait à des critères précis, objectifs, définis préalablement... - Ces primes qui présentaient le caractère de constance, généralité et de fixité n'étaient pas des gratifications discrétionnaires et aléatoires " ; qu'en statuant par de tels motifs, vagues et généraux, qui ne précisent ni les critères auxquels aurait été assujettie la fixation des primes exceptionnelles ni l'origine et la nature des informations où les juges du fond auraient pu trouver de tels critères, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, et 4, alinéa 2, de l'ordonnance du 21 octobre 1986 ; alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 4, alinéa 1er, de l'ordonnance du 21 octobre 1986, les sommes attribuées aux salariés en application d'un accord d'intéressement n'ont pas le caractère d'éléments du salaire pour l'application de la législation du travail et de la sécurité sociale ; qu'aux termes de l'alinéa 2, ces sommes ne peuvent se substituer à aucun des éléments du salaire en vigueur dans l'entreprise ou qui deviendraient obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles ; qu'il n'y a substitution d'un accord d'intéressement à un élément du salaire, au sens de ce texte, que s'il y a un lien de causalité entre la suppression d'un élément du salaire et l'institution de l'accord d'intéressement ; qu'un tel lien ne peut exister lorsque l'accord d'intéressement et la suppression d'un élément de salaire ont fait l'objet de négociations séparées, ont été conclus à des dates différentes et ont pris effet à des dates différentes ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations des juges du fond que l'accord d'intéressement entre les partenaires sociaux avait été signé le 24 juin 1987 pour prendre effet à compter de l'exercice ouvert le 1er janvier 1987, que la suppression de la prime exceptionnelle et son remplacement par une allocation semestrielle ont été convenus au cours de la négociation annuelle des salaires ouverte au début de l'année 1988 et concrétisés par un accord du 9 mars suivant, et que si, à cette même date, est intervenu un avenant à l'accord d'intéressement, cet avenant n'était que la mise en oeuvre de l'accord-cadre signé le 24 décembre 1987, et avait la même date de prise d'effet que ledit accord-cadre, soit le 1er janvier 1987 ; qu'en décidant que l'accord d'intéressement, qui avait pris effet au 1er janvier 1987, s'était substitué à la prime
exceptionnelle supprimée au 1er janvier 1988 en vertu d'un accord séparé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 4 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 ; et alors, enfin, que la substitution d'un accord d'intéressement à un élément de salaire constitué par des primes n'est pas caractérisée par le seul fait que des primes ont été diminuées à une époque voisine de la mise en place de l'accord d'intéressement, dès lors que la diminution de la masse globale des primes peut trouver sa cause dans une modification de son régime et notamment dans un élargissement de ses conditions d'attribution ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de Renault, si la fixation du montant global des primes semestrielles à une somme inférieure au montant global des primes exceptionnelles versées les années précédentes et qu'elles remplaçaient, ne trouvait pas sa cause dans une modification du régime d'attribution de cette prime et notamment de son montant, désormais déterminé et à l'abri de tout aléa, et de ses conditions d'attribution, désormais indépendantes de toute assiduité, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 ;
Mais attendu, sur la première branche, que la cour d'appel relève que les primes trimestrielles versées par la RNUR à ses salariés, bien que qualifiées d'exceptionnelles, ont toujours été versées par l'employeur, avec régularité et à l'ensemble du personnel ; que si leur montant variait en fonction du programme de travail prévu et de la présence au travail des salariés, leur mode de calcul obéissait à des critères précis, objectifs et définis préalablement, de sorte qu'elles n'étaient pas des gratifications discrétionnaires et aléatoires, mais constituaient des éléments du salaire au sens de l'ordonnance du 21 octobre 1986 ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Et attendu, sur les deux autres branches, que les juges du fond ont constaté que les primes considérées, jusque-là soumises à cotisations, ont été supprimées le 1er janvier 1988, en même temps qu'étaient créées deux allocations ne représentant qu'un montant inférieur au total de ces primes, et qu'étaient versées en compensation des primes d'intéressement exonérées de charges sociales ; qu'ils en ont déduit à bon droit que les primes d'intéressement ainsi versées étaient venues se substituer aux primes disparues, ce qui était contraire aux dispositions de l'article 4 de l'ordonnance précitée ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur la première branche du moyen unique du pourvoi de l'URSSAF n° 94-11.942 :
Vu l'article 4 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que, pour ouvrir droit aux exonérations qu'il prévoit, les sommes attribuées aux salariés ne peuvent se substituer, fût-ce partiellement, au salaire en vigueur dans l'entreprise ;
Attendu que, pour dire que seule doit être réintégrée dans l'assiette des cotisations la fraction constitutive de l'intéressement de substitution, l'arrêt attaqué énonce que les primes trimestrielles ont été remplacées par de nouvelles allocations et par l'intéressement, de sorte que celui-ci ne constitue qu'une substitution partielle à un élément du salaire ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du pourvoi n° 94-11.942 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt a dit que seule doit être réintégrée dans l'assiette des cotisations la fraction dénaturée de l'intéressement, l'arrêt rendu le 16 décembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.