Vu leur connexité, joint les pourvois n°s 93-44.767, 93-44.768, 93-44.769, 93-44.770, 93-44.771, 93-44.772, 93-44.773, 93-44.774, 93-44.775, 93-44.776, 93-44.778, 93-44.781, 93-44.782, 93-44.783, 93-44.784, 93-44.786 et 93-44.788 ;
Attendu, selon les dix-sept arrêts attaqués, que l'Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN), placée sous la tutelle du ministère des Affaires culturelles, a pour objet de participer à la sauvegarde du patrimoine archéologique national ; qu'à l'occasion des projets de grands travaux immobiliers ou d'aménagement du territoire, elle est chargée, par l'autorité administrative, de procéder, dans un premier temps, à des études et à des sondages pour rechercher les risques d'atteinte au patrimoine archéologique et pour déterminer si des fouilles doivent être entreprises ; qu'ensuite, elle peut éventuellement être chargée des fouilles proprement dites ; que, pour les besoins de sa mission sur les chantiers qui lui sont confiés, elle recrute, sous diverses qualifications, des archéologues ou des vacataires scientifiques avec lesquels elle conclut des contrats à durée déterminée ; que c'est ainsi qu'elle a engagé M. Y... à douze reprises successives depuis le 10 mars 1989, Mme A... à dix-sept reprises depuis le 1er janvier 1988, Mlle I... à quinze reprises à compter du 1er juin 1986, M. E... à vingt-deux reprises à compter du 1er septembre 1989, M. B... à douze reprises à compter du 1er février 1982 (sans interruption notable entre chaque contrat depuis le 1er février 1985), M. L... à vingt-deux reprises depuis le 1er juin 1986, Mme D... à dix-huit reprises depuis le 7 février 1987, M. J... à vingt-six reprises depuis le 1er octobre 1987, Mme C... à douze reprises à partir du 1er novembre 1987, M. N... à onze reprises depuis le 1er mai 1985, M. M... à trois reprises depuis le 1er avril 1990 (avec une simple interruption de 15 jours au mois de mai 1990), Mme K... à dix-neuf reprises depuis le 1er août 1989, Mme G... à neuf reprises à partir du 1er septembre 1984, Mme Z... à dix-neuf reprises depuis le 16 juin 1988, M. X... à treize reprises depuis le 4 septembre 1989, M. H... à sept reprises à compter du 1er juin 1989 et M. F... à vingt reprises depuis le 1er octobre 1987 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'AFAN fait grief aux arrêts attaqués d'avoir requalifié les contrats à durée déterminée de chacun des dix-sept salariés susnommés en un contrat à durée indéterminée, après avoir rejeté l'exception de procédure soulevée par elle et tirée de la saisine directe par les demandeurs en requalification du bureau de jugement, alors, selon le moyen, que l'article L. 511-1 du Code du travail impose une phase préliminaire de conciliation devant le conseil de prud'hommes et que cette formalité est d'ordre public ; que selon l'article 43 de la loi du 12 juillet 1990, les dispositions de ladite loi s'appliquent aux contrats conclus après son entrée en vigueur, soit le 16 juillet 1990 ; qu'il en va notamment ainsi de l'article L. 122-3-13 nouveau du Code du travail selon lequel lorsqu'un conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification d'un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, l'affaire est portée directement devant le bureau de jugement ; qu'en conséquence, ayant constaté que chaque salarié se prévalait notamment, pour justifier sa demande de requalification de contrats, conclus et exécutés, ou renouvelés antérieurement au 16 juillet 1990, la cour d'appel aurait dû en déduire que le salarié ne pouvait saisir directement le bureau de jugement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 511-1 du Code du travail ainsi que l'article L. 122-3-13 du même Code dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 1990 et l'article 43 de cette même loi ;
Mais attendu qu'abstraction faite du motif erroné relatif à l'application immédiate de la règle nouvelle de procédure instituée par cette loi, la cour d'appel a constaté que pour chacun des salariés concernés, l'un au moins des contrats les plus récents, distinct des contrats précédents, était intervenu postérieurement au 16 juillet 1990, date d'entrée en vigueur de ladite loi ; qu'elle a ainsi justifié légalement sa décision ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles L. 122-1-1.3° et D. 121-2 du Code du travail ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'en ce qui concerne les emplois pour lesquels, dans les secteurs d'activité définis par décret, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée, et notamment dans le secteur de l'action culturelle, un contrat à durée déterminée peut être valablement conclu, dès lors qu'il s'agit de pourvoir un emploi par nature temporaire ;
Attendu que, pour requalifier les différents contrats de travail à durée déterminée liant l'AFAN à chacun des salariés susnommés en un seul et même contrat à durée indéterminée, procéder à une reconstitution de carrière et condamner l'employeur à payer aux intéressés une indemnité correspondant à un mois de salaire et une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel a énoncé que les contrats conclus par l'AFAN ne relèvent pas des cas de recours aux contrats d'usage et aux dérogations qui s'y attachent ; qu'en effet, si l'AFAN dépend nécessairement du secteur de l'action culturelle, secteur visé par l'article D. 121-2 du Code du travail, et bénéficie en conséquence d'une présomption d'usage constant, les embauches qu'elle contracte ne satisfont pas aux conditions définies par l'article L. 122-1-1.3o du même Code ; qu'en effet, tant l'activité habituelle d'archéologie des salariés, activité scientifique ainsi dénommée dans le contrat, et donc activité de recherche impliquant qualification, technicité et constance, que celle de l'entreprise, dont l'objet premier et permanent est la conduite de chantiers de fouilles pour lesquelles elle dispose quasiment d'un monopole au niveau national avec la participation constante de très nombreux salariés, dans un but de recherches historiques et de sauvegarde du patrimoine, ne sont nécessairement ni ponctuelles, ni soumises aux rythme et contingences des activités du secteur de l'action culturelle donnant lieu à des contrats à durée déterminée dérogatoires, contrats dont l'usage ne peut, en toute hypothèse, s'apprécier dans le cadre unique de l'entreprise qui les impose ; que, de surcroît, l'emploi spécifique défini dans les différents contrats ne présente pas un caractère par nature temporaire, le travail de fouille ou d'étude, même s'il suppose une certaine mobilité du chercheur d'un chantier à l'autre à l'instar de celle requise par les emplois du bâtiment, imposant pour un travail de qualité, au niveau d'emploi du salarié, permanence et expérience ; que, conformément aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-1 du Code du travail, la répétition, au cours de plusieurs années de travail, de missions toujours semblables dont l'objet demeure, de manière habituelle, lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et dont le terme effectif, du fait de cette répétition, devient imprécis pour le salarié, implique nécessairement un contrat de travail à durée globale indéterminée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la répétition de missions semblables pendant plusieurs années était autorisée par l'article L. 122-3-10, alinéa 2, du Code du travail dans la mesure où les contrats étaient conclus successivement avec le même salarié au titre du 3° de l'article L. 122-1-1 de ce Code et qu'elle ne suffisait donc pas à caractériser la nature permanente de l'emploi occupé par chaque salarié, les engagements successifs pouvant avoir été conclus pour des tâches différentes, dont chacune était précise et déterminée , la cour d'appel, qui s'est bornée à des considérations d'ordre général relatives à l'activité de l'AFAN et à la situation quasi-monopolistique dont elle jouissait, sans rechercher, de façon précise si, compte tenu de la nature spécifique des missions confiées à chacun des archéologues sur différents sites de fouilles, l'emploi occupé par chacun d'eux ne présentait pas un caractère temporaire, justifiant le recours à des contrats à durée déterminée, a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, les 17 arrêts rendus le 9 juillet 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims.