REJET et CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Moïse,
- Y... Josef,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, en date du 11 avril 1995, qui les a condamnés, le premier, pour exercice illégal de la profession de comptable agréé et d'expert-comptable, à 1 an d'emprisonnement avec sursis, 40 000 francs d'amende ainsi qu'à la publication de l'arrêt, le second, pour infraction à la législation sur les sociétés et pour banqueroute par détournement d'actif, à 1 an d'emprisonnement avec sursis, 100 000 francs d'amende et à l'interdiction de gérer toute entreprise commerciale pour une durée de 10 ans, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I. Sur le pourvoi de Moïse X... ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 2 et 8 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'Ordre des experts-comptables et des comptables agréés et réglementant les titres et les professions d'experts-comptables et de comptables agréés, 111-2 et 111-3 du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Moïse X... coupable d'exercice illégal de la profession de comptable ou d'expert-comptable ;
" aux motifs adoptés des premiers juges que Moïse X... a reconnu tenir depuis 3 ou 4 ans la comptabilité d'une quarantaine de sociétés et entreprises en établissant les bilans ; qu'il tente de soutenir qu'il n'exerçait pas réellement la profession d'expert comptable, se contentant de centraliser sur informatique des écritures comptables et ne donnant pas de conseils aux entreprises ; que, cependant, il tenait et centralisait la comptabilité des entreprises qu'il avait pour clients et établissait le bilan ; que cette activité est expressément réservée par les articles 2 et 8 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 aux comptables agréés et aux experts comptables ; que, dès lors, l'infraction visée dans la prévention est constituée ;
" alors que le monopole conféré par l'ordonnance du 19 septembre 1945 aux experts-comptables et aux comptables agréés, consistant dans le pouvoir donné aux premiers de réviser et d'apprécier la comptabilité des entreprises ainsi que d'attester de la régularité et la sincérité des bilans et des comptes de résultats (article 2) et pour les seconds dans la tenue de comptabilité, assorti d'une mission de redressement des comptabilités et de même de l'habilitation à attester de la régularité des documents précités, il s'ensuit que l'atteinte matérielle à ce monopole suppose la réunion de 2 éléments, à savoir certes l'établissement de documents comptables mais surtout l'immixtion dans les tâches d'organisation, de contrôle, de régularité et d'appréciation de la comptabilité des entreprises, et qui constituent le fondement même du monopole accordé aux experts-comptables et comptables agréés, de sorte que le simple fait de centraliser en informatique des données comptables établies par d'autres et d'établir les bilans ne saurait constituer le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ou de comptable agréé ; qu'il s'ensuit que les juges du fond qui, faisant entièrement abstraction des conclusions dont ils étaient saisis, se sont abstenus de préciser la nature exacte des tâches effectuées par Moïse X..., pour se borner à affirmer qu'il tenait et centralisait la comptabilité des entreprises, ont privé leur décision de condamnation de toute base légale, faute d'avoir établi que l'intéressé organisait, contrôlait et rectifiait la comptabilité et, par ailleurs, le cas échéant, attestait de la sincérité des bilans et des comptes de résultats " ;
Attendu que, pour condamner Moïse X... pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable et de comptable agréé, les juges énoncent que, malgré la décision définitive du conseil régional de l'Ordre du 17 juillet 1978, ordonnant sa radiation du tableau des experts-comptables, le prévenu a continué à centraliser les écritures comptables et à établir les bilans d'une quarantaine d'entreprises ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, et dès lors que le prévenu a habituellement exécuté, en son propre nom et sous sa responsabilité, les travaux de comptabilité retenus, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 modifiée par la loi du 8 août 1994, 111-3, 131-10, 433-17 et 433-25 du nouveau Code pénal, violation du principe de la rétroactivité in mitius, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, ajoutant aux dispositions des premiers juges dont la décision a été intégralement confirmée, a ordonné la publication par extraits de son arrêt ;
" alors que l'article 20, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 1994, article 45, sanctionnant l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ou de comptable agréé des peines prévues à l'article 433-17 du nouveau Code pénal prévoyant, lorsque l'infraction est commise par une personne physique, une peine d'emprisonnement d'1 an et une amende de 100 000 francs, la Cour a violé tout à la fois l'article 131-10 du nouveau Code pénal disposant que les peines complémentaires ne peuvent être prononcées que dans le cas où la loi ou le règlement le prévoit, que le principe de l'application immédiate des lois pénales plus douces " ;
Attendu qu'après avoir condamné à une peine d'emprisonnement et à une amende Moïse X..., déclaré coupable d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ou de comptable agréé, les juges du second degré ont ordonné la publication de l'arrêt dans 2 journaux aux frais du condamné ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen ;
Qu'en effet, dans tous les cas d'application de l'article 433-17 du Code pénal, la peine complémentaire de la publication, prévue par l'article 433-22 du même Code, peut être prononcée ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
II. Sur le pourvoi de Josef Y... ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 196, 197, 198 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a déclaré Josef Y... coupable, en qualité de dirigeant de fait de la NSICB, de banqueroute par détournement d'actif, l'a condamné à la peine de 1 an d'emprisonnement avec sursis et à 100 000 francs d'amende et a prononcé à son encontre l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale pour une durée de 10 ans ;
" aux motifs propres que, " en ce qui concerne la gérance de fait de la GDE, Josef Y... a lui-même concédé au cours des débats qu'en tant que directeur commercial salarié, il décidait de la politique commerciale et était en outre amené à donner un avis sur certaines décisions concernant la politique économique de la société, en raison de son expérience et de ses relations dans l'activité concernée ; que contrairement à ses allégations, pour ce qui concerne le détournement d'actif, Josef Y... a, au cours de l'enquête préliminaire, reconnu les faits qui lui sont reprochés se targuant, ainsi que l'ont, à juste titre relevé les premiers juges, d'avoir " fait une bonne farce " au mandataire liquidateur ; que l'intéressé est donc particulièrement mal venu de prétendre n'avoir pas dissimulé à Me Z... le véritable enjeu de la cession du fonds de commerce concerné ayant eu lieu le 12 avril 1991, qu'il connaissait depuis 1988 les pourparlers entre le Crédit Lyonnais et la NSICB ayant commencé à cette époque ; qu'est inopérant également l'argument selon lequel le Crédit Lyonnais, ayant normalement, par lettre du 27 juin 1991, tenu Me Z... au courant de la transaction, aurait pu être poursuivi par celui-ci pour complicité de détournement d'actif " ;
" et aux motifs adoptés que " de nombreux témoins... ont confirmé que Josef Y... était le dirigeant de fait de la société NSICB aux côtés de son épouse " ; que, lors de son dernier interrogatoire, Josef Y... a fini lui-même par admettre que son action au sein de la société pouvait être qualifiée de gérance de fait ; qu'il avait la signature sociale ; que, par jugement définitif du tribunal de commerce du 26 avril 1993, Josef Y... a été reconnu comme cogérant de fait avec son épouse de la société NSICB... ;
" " Que l'enquête a établi que la société GDE a acquis de Daniel Z..., mandataire-liquidateur, le fonds de commerce de la société NSICB au prix de 250 000 francs le 12 avril 1991 et en a revendu le droit au bail quelques mois après au Crédit Lyonnais au prix de 1 300 000 francs ; que pour réaliser cette manoeuvre, Josef Y... s'est volontairement abstenu d'informer le mandataire-liquidateur de ce qu'il était en rapport depuis 1988 avec la banque au sujet de cette acquisition et de ce qu'il avait reçu du Crédit Lyonnais le 17 septembre 1990 une offre ferme d'achat pour 2 millions de francs ; qu'il a poursuivi seul les négociations avec la banque après la liquidation de la société NSICB tout en se portant acquéreur par l'intermédiaire de la société GDE auprès de M. Z... ; que M. Z..., tenu dans l'ignorance des relations étroites entre NSICB et GDE, a accepté l'offre que lui présentait cette dernière sans se douter que les 2 sociétés avaient le même dirigeant ; que Josef Y... a reconnu les faits et manifesté aux enquêteurs son contentement d'avoir fait " une bonne farce " au mandataire-liquidateur ; qu'il a également tiré profit en percevant à titre personnel sur cette vente une somme de 500 000 francs qu'il a utilisée, par l'intermédiaire de la société GDE, pour rembourser une dette de 400 000 francs qu'avait contractée la société NSICB auprès de la banque Pommier et pour laquelle il s'était porté caution solidaire " ;
" alors, d'une part, que le dirigeant de fait est la personne qui, sans être dirigeant de droit, anime néanmoins une personne morale, lors de sa création ou lors de son fonctionnement, en accomplissant de véritables actes de gestion ;
" qu'en confirmant " en toutes ses dispositions " le jugement qui condamnait Josef Y... " comme dirigeant de fait de la société NSICB ", et en se bornant, dans les motifs de l'arrêt, à évoquer la seule " gérance de fait de la GDE " (p. 6, alinéa 5), la cour d'appel, qui ne se prononce finalement pas sur la prétendue gérance de fait de la société NSICB, pourtant contestée par Josef Y..., a privé sa décision de tout fondement légal au regard des textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, et en toute hypothèse, qu'en se bornant à retenir que Josef Y... décidait de la politique commerciale en sa qualité de directeur commercial salarié et qu'il " était en outre amené à donner un avis sur certaines décisions concernant la politique économique de la société, en raison de son expérience et de ses relations dans l'activité concernée " (p. 6, alinéa 5), la cour d'appel ne décrit aucun acte positif de gestion susceptible de caractériser une quelconque gestion de fait, privant ainsi sa décision de tout fondement légal ;
" alors, de troisième part, que caractérise le délit de banqueroute le fait pour une personne qui a, directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé ayant une activité économique, d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif de cette personne morale ;
" que ne saurait entrer sous cette qualification la cession d'un fonds de commerce qui s'est faite après expertise sous le contrôle du mandataire-liquidateur et avec l'accord du juge-commissaire, parfaitement en mesure de connaître la valeur du fonds cédé ;
" qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, enfin, que le détournement d'actif suppose un acte de disposition volontaire accompli sur un élément du patrimoine du débiteur après la date de cessation des paiements ;
" que la cessation des paiements de la société NSICB a été fixée par le tribunal de commerce le 14 juillet 1989 ;
" qu'en qualifiant de détournement d'actif la cession du fonds de commerce de la société NSICB, tout en relevant (p. 6 in fine) que les négociations concernant cette cession avaient commencé avec le Crédit Lyonnais en 1988, soit avant la date de la cessation des paiements de la société NSICB, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, et du jugement qu'il confirme, que la nouvelle société industrielle de chaînes et bijouterie (NSICB), qui exploitait un fonds de commerce d'import-export, a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 janvier 1991 du tribunal de commerce, qui a fixé la date de la cessation des paiements au 14 juillet 1989 ; que, le 12 avril 1991, le liquidateur a vendu avec l'autorisation du juge-commissaire, le fonds de commerce au prix de 250 000 francs à la société GDE qui, quelques mois plus tard, a cédé le droit au bail au Crédit Lyonnais au prix de 1 300 000 francs ;
Attendu que, pour déclarer Josef Y... coupable de banqueroute par détournement d'actif, les juges, après avoir relevé que le prévenu était le gérant de fait tant de la société NSICB que de la société GDE, énoncent que ces 2 sociétés étaient liées par des relations financières très étroites aboutissant à une confusion de gestion des 2 entreprises ; qu'ils ajoutent que la société GDE, qui avait été conçue, dès son origine, comme une " coquille vide ", n'avait été créée que pour assurer la continuation de l'activité de la société NSICB et pour réaliser un transfert d'actifs prémédité ; qu'ils observent que Josef Y..., qui avait dissimulé au liquidateur l'intérêt qu'il avait dans la société GDE, a, après l'ouverture de la procédure collective, poursuivi des négociations avec la banque sur la cession du droit au bail et qu'il a retiré un profit personnel de la réalisation de cette opération ; qu'ils déduisent de ces constatations que le prévenu a détourné tout ou partie de l'actif de la société NSICB ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le prévenu n'avait pas accompli personnellement d'acte de disposition sur un élément de l'actif de la société NSICB, et sans rechercher si les faits n'étaient pas susceptibles d'une autre qualification pénale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Que, dès lors, la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
I. Sur le pourvoi de Moïse X... :
Le REJETTE ;
II. Sur le pourvoi de Josef Y... :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 11 avril 1995, en toutes ses dispositions concernant ce demandeur, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.