REJET du pourvoi formé par :
- X... Patrice,
- Y... Emmanuel dit François Z...,
- la société Editions Choc, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 7 avril 1993, qui dans la procédure suivie contre eux des chefs de diffamation raciale, provocation à la discrimination raciale et diffamation publique envers un particulier, a condamné chacun des prévenus à 40 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 551, 565, 593 du Code de procédure pénale et 53 de la loi du 29 juillet 1881, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception tirée de la nullité des citations délivrées par M. Jean A... et par la LICRA ;
" aux motifs qu'en désignant la partie civile, à titre personnel et en qualité de président de la LICRA, sous son prénom d'emprunt usuel Jean, suivi de son patronyme A... et de l'indication de sa date de naissance et de son adresse, les citations ne comportaient aucune ambiguïté sur l'identité des poursuivants ;
" alors que l'article 551, alinéa 4 du Code de procédure pénale exige que la citation délivrée à la requête de la partie civile mentionne les noms, prénoms profession et domicile de celle-ci, que, lorsque la partie civile est une personne morale, cette exigence s'applique à la désignation de celui qui agit en justice au nom de cette personne morale et doit permettre de vérifier si la citation est bien délivrée à la requête de la personne ayant qualité pour agir en justice au nom de ladite personne morale, que, par conséquent, est nulle la citation délivrée à la requête d'une partie civile ou de son représentant légal (s'il s'agit d'une personne morale) sous un nom ou un prénom d'emprunt, fût-il usuel, cette indication inexacte ne permettant pas au prévenu de connaître l'identité de la partie civile ou de son représentant légal et lui interdisant un recours postérieur contre elle au cas où elle serait déboutée et, qu'en l'espèce, les citations délivrées par M. A..., agissant, dans un cas en son nom personnel et, dans l'autre, au nom de la LICRA, qui indiquent un autre prénom (Jean) que le sien (Pierre) doivent être annulées comme contrevenant aux dispositions impératives de la loi et portant atteinte aux intérêts et aux droits de la défense des prévenus " ;
Attendu que les prévenus ont excipé de la nullité des citations délivrées à la requête de " Jean " A..., tant en son nom personnel que comme représentant légal de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, en raison de la substitution d'un prénom d'emprunt à celui du requérant, Pierre A... ;
Attendu que pour écarter cette exception, par motifs propres et adoptés, les juges relèvent que les citations n'ont comporté aucune ambiguïté sur l'identité des poursuivants, de nature à porter atteinte aux intérêts des prévenus, dès lors que la date de naissance et l'adresse du requérant étaient exactement indiquées, et que celui-ci présidait depuis vingt-cinq années l'association et exerçait une activité publique sous son identité d'emprunt ;
Attendu que par ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des articles 551 et 565 du Code de procédure pénale ;
Qu'en effet, l'inobservation des formes prescrites par les articles 550 et suivants dudit Code n'entraîne pas la nullité de la citation lorsque les prévenus n'ont pu se méprendre sur l'objet et la portée de l'acte par lequel ils ont été cités devant le tribunal ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 7, 9, 10, 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrice X..., comme auteur principal, et Emmanuel Y..., comme complice, coupables des délits de diffamation envers un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers le même groupe de personnes ;
" 1o aux motifs que les infractions de diffamation raciale et de provocation à la discrimination, la haine ou la violence raciale... ont été introduites dans notre législation par la loi du 1er juillet 1972 à la suite de la ratification, par la France, de la Convention des Nations unies du 7 mars 1966 relative à l'élimination de toutes les formes de racisme, qu'en édictant ces incriminations, le législateur français a entendu faire respecter le principe de légalité entre les citoyens en tirant les leçons de l'histoire, et en considérant qu'étaient particulièrement exposés les individus à raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, qu'" en incriminant particulièrement diverses manifestations du racisme, il a sanctionné des comportements attentatoires à l'ordre public et aux droits des individus, et n'a pas excédé les limites fixées par le 25e alinéa des articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ", et qu'en instaurant une protection particulière au profit de ces groupes de personnes, le législateur français a poursuivi un but légitime et a fait une distinction entre les personnes, qui est objectivement justifiée et raisonnable et qui est exclusive de toute distinction discriminatoire au regard de l'article 14 de la Convention européenne combiné aux articles 9 et 10 de ladite Convention ;
" alors qu'aux termes de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme " la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions ", que ce principe implique une égalité de statut entre les individus quels que soient leurs opinion et engagements tant dans le domaine religieux que dans le domaine profane, que les articles 24, alinéa 6, et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 accordent une protection particulière aux adeptes des religions établies en restreignant à leur profit la liberté d'expression d'autrui, protection que ces textes refusent à ceux qui communient dans une même conviction profane (opinions politiques ou autres) et que ces deux textes sont donc contraires à larticle 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui doit prévaloir sur la loi française ;
" 2o aux motifs, adoptés des premiers juges, que " la Convention et la Cour européenne des droits de l'homme n'ont pas entendu écarter la part de l'interprétation du juge dans l'application de celle-ci ", qu'" il appartient au tribunal saisi de définir, au regard des circonstances de chaque espèce, les notions de discrimination, de haine ou de violence, comme, en d'autres domaines, celles d'honneur ou de considération, par exemple ", que " cette part laissée à l'interprétation du juge dans l'application des dispositions de l'article 24, alinéa 6, de la loi de 1881 n'apparaît pas contraire au principe de légalité tel qu'il est proclamé dans la Convention " et aux motifs propres que " l'incrimination de l'article 24, alinéa 6, est rédigée en des termes adaptés à l'objectif poursuivi par le législateur de 1972 (à savoir sanctionner certaines manifestations de racisme), qui sont suffisamment précis pour exclure l'arbitraire " ;
" alors que la notion de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contenue dans l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 n'est susceptible d'aucune définition objective, que, pour préciser cette notion, le juge ne peut s'inspirer d'aucune considération extra-juridique telles que les usages, les moeurs, les circonstances sociales ou économiques, que l'application de ce texte exige du juge soit qu'il se fonde sur ses propres sentiments soit qu'il sonde le fond intérieur de l'homme de la rue le plus influençable qui soit, ce qui, dans un cas comme dans l'autre, conduit au plus pur arbitraire et contrevient aux principes généraux du droit pénal et aux articles 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;
Attendu qu'en rejetant, par les motifs reproduits au moyen, l'argumentation des prévenus prise de l'incompatibilité des articles 24, alinéa 6, et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 avec les articles 7, 9, 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, qui protègent et délimitent la liberté de la presse, ne concernent pas la liberté de pensée prévue par l'article 9 de ladite Convention, mais la liberté d'expression régie par son article 10 ; que selon le second paragraphe de ce texte, l'exercice de cette liberté, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment à la protection de la morale et des droits d'autrui ; que tel est l'objet des articles 24, alinéa 6, et 32, alinéa 2, de la loi susvisée ;
Que la protection instituée par ces textes n'est pas contraire aux dispositions de l'article 14 de la Convention, dès lors que, d'une part, elle est offerte à tous ceux qui sont victimes de propos discriminatoires ou diffamatoires en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une communauté ethnique, nationale, raciale ou religieuse, et que, d'autre part, les sanctions qui la garantissent sont applicables à tous ;
Que les incriminations étant définies en termes clairs et précis par les textes précités, ceux-ci ne sont pas incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la Convention ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le quatrième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.