CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X... Oscar,
contre l'ordonnance du président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 30 juin 1994, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a dit n'y avoir lieu de saisir la chambre d'accusation de son appel formé contre une ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable sa requête en désignation d'un interprète.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation, en date du 23 septembre 1994, saisissant ladite chambre ;
Vu les mémoires ampliatif et personnel produits, et les observations complémentaires ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 186-1 du Code de procédure pénale et 6.1, 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des droits de la défense, et manque de base légale :
" en ce que l'ordonnance attaquée a décidé n'y avoir lieu de saisir la chambre d'accusation de l'appel interjeté par le demandeur et ordonné que le dossier de l'information soit renvoyé au juge d'instruction ;
" alors que, d'une part, aux termes de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que les juridictions ont l'obligation de faire prévaloir les principes résultant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur les dispositions du droit interne qui sont incompatibles avec eux ; qu'il ne ressort pas de la décision attaquée que l'avis motivé du procureur de la République ait été porté à la connaissance du mis en examen ou son conseil ; que cette communication est essentielle aux droits de la défense, et fait partie intégrante du procès équitable au sens de l'article 6.1 précité ; qu'il en résulte qu'à défaut de notification de cet avis, le mis en examen ignore les moyens développés par l'accusation et que cette ignorance dans laquelle il est tenu constitue une violation des droits de la défense et des dispositions susvisées ;
" alors que, d'autre part, le président de la chambre d'accusation, confirmant l'ordonnance d'irrecevabilité rendue par le magistrat instructeur, en refusant de faire droit à l'appel interjeté, ne pouvait priver le mis en examen du recours effectif reconnu par l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et du droit de faire contrôler si les droits de la défense avaient été, au cours de l'instruction, respectés ; qu'ainsi une atteinte grave a été portée aux droits de la défense et aux dispositions substantielles du texte précité " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 186-1, 81, alinéa 9, 145-3, 593 du Code de procédure pénale et 6.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que, par l'ordonnance attaquée, le président de la chambre d'accusation a décidé qu'il n'y avait lieu de saisir la chambre d'accusation de l'appel interjeté d'une ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable une demande formulée par l'avocat commis d'office afin de désignation d'un interprète pour l'assister à la maison d'arrêt dans ses entretiens avec son client ;
" aux motifs que "c'est à bon droit que le magistrat instructeur a rendu une ordonnance d'irrecevabilité au motif que la demande n'entrait pas dans le champ d'application des articles 81, alinéa 9, 82-1, 156, alinéa 1er, et 173, alinéa 3, du Code de procédure pénale" ;
" alors que, d'une part, toute décision doit contenir les motifs propres à la justifier ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; que ne saurait être considérée comme une décision motivée, au sens de l'article 186-1 du Code de procédure pénale, l'ordonnance du président de la chambre d'accusation déclarant irrecevable l'appel interjeté par le mis en examen par le seul motif abstrait et général que "c'est à bon droit que le magistrat instructeur a rendu une ordonnance d'irrecevabilité au motif que la demande n'entrait pas dans le champ d'application des articles 81, alinéa 9, 82-1, 156, alinéa 1er, et 173, alinéa 3, du Code de procédure pénale" ; qu'ainsi le président de la chambre d'accusation n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la régularité de sa décision qu'il a privée de base légale ;
" alors que, d'autre part, aux termes de l'article 186-1, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, les parties sont autorisées à interjeter appel des ordonnances prévues par le 9e alinéa de l'article 81 de ce Code, c'est-à-dire celles qui rejettent une demande écrite et motivée tendant à faire prescrire un examen médical, un examen médico-psychologique ou ordonner "toutes mesures utiles" ; que, dès lors que la désignation d'un interprète a pour but d'assurer le respect des droits de la défense, et partant de la validité de la procédure d'instruction, elle doit être qualifiée de "mesure utile" au sens des articles 81 et 186-1 susvisés ; qu'en déclarant irrecevable l'appel, le président de la chambre d'accusation a méconnu les textes susvisés ;
" alors qu'enfin, dans sa demande adressée au magistrat instructeur, l'avocat commis d'office d'Oscar X... faisait valoir que si l'article 145-3 du Code de procédure pénale pose le principe de la libre communication de l'avocat par l'inculpé détenu, cette communication, physiquement possible, est intellectuellement vide de sens dans la mesure où aucune communication ne peut s'établir du fait du barrage des langues ; qu'il en résultait que seule la désignation d'un interprète pour l'assister à la maison d'arrêt dans ses entretiens avec son client préserverait les droits de la défense et les droits que tout accusé tient de l'article 6.3 b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes duquel celui-ci doit avoir le temps et les facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; que, dès lors, en confirmant l'ordonnance d'irrecevabilité rendue par le magistrat instructeur, sans répondre aux moyens développés dans la requête, le président de la chambre d'accusation a privé de motifs sa décision et a contrevenu tant aux droits de la défense qu'aux dispositions susvisées de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, méconnaissant également la lettre comme l'esprit des dispositions de l'article 145-3 du Code de procédure pénale " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles, ensemble l'article 116 du Code de procédure pénale et la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Attendu qu'en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant des articles 116 et 145-3 du Code de procédure pénale, et de l'article 6.3 e de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la demande d'une personne poursuivie, bénéficiant de l'aide juridictionnelle et qui sollicite la désignation d'un interprète chargé de l'assister dans ses entretiens avec son avocat ainsi que la prise en charge par l'Etat des frais en résultant, ne saurait être déclarée irrecevable ; que, si le juge d'instruction, régulièrement saisi d'une requête à cette fin, conformément à l'article 81, alinéa 10, du Code de procédure pénale, n'y fait pas droit, il lui appartient de la rejeter par une ordonnance motivée, susceptible d'appel dans les conditions prévues par l'article 186-1 du Code précité ;
Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure qu'Oscar X..., mis en examen par le juge d'instruction de Bobigny, a été placé en détention provisoire le 3 février 1994 ; que, par requête régulièrement déposée le 13 mai 1994, invoquant son ignorance du français et son impécuniosité, il a demandé au magistrat instructeur que lui soit désigné, aux frais de l'Etat, un interprète lui permettant de communiquer, dans sa langue, avec l'avocat commis d'office pour l'assister ;
Attendu que le juge d'instruction a déclaré cette requête irrecevable, comme étrangère au champ d'application des articles 81, alinéa 9, 82-1, 156, alinéa 1, et 173, alinéa 3, du Code de procédure pénale ;
Attendu que le président de la chambre d'accusation a rendu, sur le fondement de l'article 186-1 de ce Code, l'ordonnance attaquée disant n'y avoir lieu de saisir la chambre d'accusation de l'appel formé contre cette décision, au motif que la requête présentée avait, à bon droit, été déclarée irrecevable ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la requête, si elle pouvait ne pas être fondée, était recevable, le président de la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du principe susénoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance du président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris en date du 30 juin 1994,
Et attendu que, l'intéressé ayant été condamné par jugement du tribunal correctionnel de Bobigny en date du 19 septembre 1994 devenu définitif, il ne reste rien à juger ;
Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.