CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 6 juillet 1992, qui dans les poursuites exercées contre lui du chef d'infraction à la législation sur les contributions indirectes l'a condamné à 2 000 francs d'amende, à une pénalité de 690 700 francs égale au montant de la TVA compromise, au paiement d'une somme de 13 249 798 francs tenant lieu de confiscation du cheptel saisi fictivement.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur les faits :
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que pour n'avoir pu présenter aux services fiscaux qu'un cahier enregistrant les achats et les ventes relatives à son exploitation ainsi qu'un facturier, mais non une comptabilité matières décrivant son cheptel dans le détail, Pierre X..., qui exerce la profession d'éleveur-engraisseur, a été poursuivi pour défaut de tenue de comptabilité matières enregistrant l'achat et la vente des animaux vivants de boucherie-charcuterie, sur le fondement de l'article 267 quater de l'annexe II du Code général des impôts, ainsi que pour défaut de tenue de comptabilité matières enregistrant la vente des bêtes soumises à abattage, sur le fondement de l'article 164 F quater de l'annexe IV de ce Code ;
Qu'en cours d'instance les dispositions des articles 1649 ter à 1649 ter B, 1649 ter D du Code général des impôts, 164 F bis à 164 quinquies de l'annexe IV, relatives à la formalité du bon de remis et à la tenue d'une comptabilité matières, ont été abrogées par l'article 97 de la loi de finances du 30 décembre 1987, de telle sorte que l'administration fiscale n'a suivi contre X... que du premier chef visé à la prévention ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 1649 ter à 1649 ter B du Code général des impôts, 97 de la loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987, 267 quater de l'annexe II du Code général des impôts et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré un éleveur engraisseur coupable de défaut de tenue de comptabilité matières d'animaux vivants et l'a, en répression, condamné à 2 000 francs d'amende et au paiement d'une indemnité proportionnelle à une fois le montant de la TVA fraudée, soit 690 700 francs ;
" aux motifs que "c'est à bon droit que les premiers juges ont fait application de l'article 267 quater de l'annexe II du Code général des impôts qui fait obligation aux personnes assujetties à la TVA, de tenir une comptabilité matières rétractant au jour le jour, le mouvement d'achat et de vente des animaux vivants de boucherie à X... qui, par son activité, entre dans cette catégorie de personnes, l'abrogation, par l'article 97 de la loi de finances n° 87-1060 pour 1988, des articles 1649 ter à 1649 ter B relatifs aux bons de remis ainsi que des articles 164 F bis à 164 quinquies concernant la tenue d'une comptabilité matières par un abatteur, n'a eu pour seul effet que de conduire la Direction générale des Impôts à abandonner les poursuites initialement fondées sur ce texte sans pour autant affecter la validité de celles concernant le défaut de tenue de comptabilité matières d'animaux vivants, étant observé en réponse aux conclusions du prévenu, que l'article 1791 du Code général des impôts qui prévoit les pénalités en matière de contributions indirectes sanctionne notamment les infractions aux dispositions du titre III de la première partie du Livre 1er et des lois régissant les contributions indirectes, ainsi que des décrets et arrêtés pris pour leur exécution, au nombre desquels figure l'article 267 quater de l'annexe II du Code général des impôts ;
" que, de nouveau et contrairement aux affirmations du prévenu, l'article 1739-2 du Code général des impôts concerne bien les opérations d'achat et de vente portant sur les animaux vivants de boucherie et de charcuterie, la Cour rappelant en tant que de besoin qu'en matière de contributions indirectes, l'application de la loi pénale plus douce est limitée aux peines correctionnelles de droit commun ;
" alors qu'une condamnation prononcée en vertu d'un texte abrogé doit être tenue pour nulle et non avenue, qu'en l'espèce, la Cour relève que l'article 97 de la loi de finances n° 87-1060 pour 1988 a abrogé les articles 1649 ter à 1649 ter B relatifs aux bons de remis ainsi que les articles 164 F bis à 164 quinquies concernant la tenue d'une comptabilité matières par un abatteur ; que la Cour, en condamnant cependant, le demandeur pour défaut de tenue d'une comptabilité matières, a violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour déclarer Jean-Pierre X... coupable des faits visés à la prévention et le condamner aux pénalités et confiscations demandées par l'Administration, les juges énoncent que l'article 97 précité n'a supprimé que les formalités du bon de remis et de la comptabilité matières spéciales aux ventes de viandes de boucherie, mais n'a pas modifié les obligations mises par l'article 267 quater de l'annexe II du Code général des impôts à la charge des personnes effectuant des ventes d'animaux vivants ; qu'ils ajoutent que ces obligations sont sanctionnées par l'article 1791 du Code général des impôts par le biais de l'article 1739-I-2° du même Code auquel ce texte renvoie ;
Attendu qu'en prononçant ainsi et dès lors qu'il ressort des constatations des juges que le prévenu exerçait une double activité d'éleveur et de négociant en viande de boucherie, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 268 ter du Code général des impôts et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré un éleveur-engraisseur coupable de défaut de tenue d'une comptabilité matières d'animaux vivants et l'a, en répression, condamné à 2 000 francs d'amende et au paiement d'une indemnité proportionnelle à une fois le montant de la TVA fraudée, soit 690 700 francs ;
" aux motifs que considérant à propos de l'application de l'article 268 ter au taux de la TVA cette disposition est devenue sans objet depuis la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985 article 66 et non pas en 1987 comme l'affirme X... ; considérant d'ailleurs et sur la validité de l'expertise qu'à l'audience du 7 mai 1991, le prévenu qui s'est abstenu de formuler quelque critique que ce soit a jugé utile de ne les présenter qu'à l'audience de la Cour sans avoir sollicité une contre-expertise ; que dans ces conditions, la Cour retient comme valables les travaux et conclusions de l'expert ;
" alors que l'article 66 de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985 a donné naissance à l'article 281 sexies du Code général des impôts, lequel a ramené le taux de la TVA exigible sur les ventes d'animaux vivants de boucherie et de charcuterie de 5,50 % à 2,10 % ; que la Cour, en estimant que l'article 268 ter du Code général des impôts est devenu sans objet par l'effet de l'article 66 de la loi du 30 décembre 1985 a commis une erreur de droit et violé les textes visés au moyen " ;
Et sur le moyen relevé d'office pris de la violation de l'article 1791 du Code général des impôts ;
" en ce que la cour d'appel n'a pas calculé la pénalité proportionnelle sur les seuls droits effectivement compromis " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que le juge répressif ne peut prononcer la pénalité proportionnelle prévue à l'article 1791 du Code général des impôts dont le montant est compris entre une et trois fois celui des droits fraudés ou compromis, que pour autant qu'il a recherché et déterminé ces droits avec exactitude ;
Attendu que pour écarter les conclusions du prévenu tendant à ce qu'il soit tenu compte, dans le calcul des droits servant de base à la pénalité proportionnelle, non seulement du taux réellement applicable aux opérations incriminées mais également de la TVA régulièrement acquittée sur déclarations, la cour d'appel énonce que, statuant en matière de contributions indirectes, elle est tenue de calculer la pénalité proportionnelle sur la TVA due sur le chiffre d'affaires reconstitué, sans pouvoir tenir compte de celle qui avait pu être déclarée et acquittée par ailleurs ; que la Cour ajoute que les dispositions de l'article 268 ter du Code général des impôts sur lequel le prévenu se fonde pour demander une réfaction de 50 % de la base d'imposition ont été abrogées par l'article 66 de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985 et qu'elles sont dès lors sans effet ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, en refusant de prendre en compte, d'une part, le montant des droits que l'intéressé avait déjà acquitté et, d'autre part, le taux de TVA effectivement applicable en l'espèce, alors que la modification législative visée non seulement n'a pris effet qu'à compter du 1er juillet 1986 mais encore à introduit, à compter de cette date, un taux inférieur a celui existant précédemment, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard du texte susvisé ;
Que dès lors la cassation est encourue ;
Et sur le moyen relevé d'office pris de la violation des articles 1791 et 1800 du Code général des impôts ;
" en ce que la cour d'appel a prononcé la confiscation en valeur de biens saisis fictivement " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que la confiscation prévue par l'article 1791 du Code général des impôts est une sanction réelle qui ne peut être prononcée que si les objets sur lesquels elle porte ont été préalablement et effectivement saisis en contravention ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que procédant comme en matière de fiscalité directe, les agents de l'Administration ont effectué, à partir de l'extrapolation de données relevées dans la comptabilité de X..., une reconstitution du cheptel que l'intéressé aurait détenu entre le 1er août 1985, début de son activité, et octobre 1986, date du contrôle ; qu'après avoir évalué ce cheptel à plus de 15 000 têtes, ils ont saisi fictivement celui-ci, malgré les contestations de X..., pour la valeur de 13 249 798 francs ; qu'à la demande de l'administration fiscale, les juges ont prononcé la confiscation du cheptel ainsi saisi ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le cheptel en question n'avait fait l'objet que d'une saisie fictive à partir d'une estimation contestée par l'intéressé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Que la cassation est de nouveau encourue et qu'en raison de l'indivisibilité de la peine, celle-ci doit être totale ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 6 juillet 1992 et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans.