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21/10/1993 | FRANCE | N°93-83325

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 octobre 1993, 93-83325


REJET du pourvoi formé par :
- X... Paul,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, en date du 2 juin 1993, qui, après cassation, l'a renvoyé devant la cour d'assises du département des Yvelines sous l'accusation de complicité de crime contre l'humanité.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, des articles 6 c) du statut du Tribunal de Nüremberg, 75, alinéa 5, du Code pénal, dans sa rédaction applicable le 10 s

eptembre 1946, 6, alinéa 1er, 591 et 593 du Code de procédure pénale, de la r...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Paul,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, en date du 2 juin 1993, qui, après cassation, l'a renvoyé devant la cour d'assises du département des Yvelines sous l'accusation de complicité de crime contre l'humanité.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, des articles 6 c) du statut du Tribunal de Nüremberg, 75, alinéa 5, du Code pénal, dans sa rédaction applicable le 10 septembre 1946, 6, alinéa 1er, 591 et 593 du Code de procédure pénale, de la règle non bis in idem :
" en ce que l'arrêt attaqué renvoie Paul X... devant la cour d'assises des Yvelines pour y répondre de la complicité d'un crime contre l'humanité commis sur la personne des sept otages juifs qui ont été fusillés, le 29 juin 1944, à Rillieux-la-Pape ;
" alors que la participation à un plan concerté, ou à un complot, constitue, non une infraction distincte ou une circonstance aggravante, mais un élément essentiel du crime contre l'humanité, consistant en ce que les actes incriminés ont été accomplis de façon systématique au nom d'un Etat pratiquant par ces moyens une politique d'hégémonie idéologique ; que le fait qui constitue le crime contre l'humanité par participation à un plan concerté, ou à un complot ourdi, par une puissance européenne de l'Axe, s'identifie à un fait constitutif d'intelligence avec l'ennemi, au sens de l'article 75, alinéa 5, du Code pénal, dans sa rédaction applicable le 10 septembre 1946 ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué, d'une part, que les faits qui fondent les poursuites diligentées contre Paul X... ont eu lieu en 1944, et, d'autre part, que Paul X... a été condamné à mort, le 10 septembre 1946, pour les actes d'intelligence avec l'ennemi nazi qu'il a commis courant 1943 et 1944 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la chambre d'accusation a violé les textes et la règle susvisés " ;
Attendu que le demandeur ne peut faire grief à la chambre d'accusation d'avoir rejeté l'exception de chose jugée prise de la condamnation de Paul X... par l'arrêt du 10 septembre 1946 de la Cour de Justice de Lyon du chef d'intelligence avec l'ennemi ;
Qu'en effet le principe d'imprescriptibilité, résultant des dispositions du statut du Tribunal militaire international de Nüremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et de la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, régit, en tous leurs aspects, la poursuite et la répression des crimes contre l'humanité et fait obstacle à ce qu'une règle de droit interne, tirée de la chose jugée, permette à une personne poursuivie du chef de l'un de ces crimes de se soustraire à l'action de la justice en raison du temps écoulé, que ce soit depuis les actes incriminés ou depuis une précédente condamnation prononcée sous une autre qualification ;
Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, des articles 6 c) du statut du Tribunal de Nüremberg, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué renvoie Paul X... devant la cour d'assises des Yvelines pour y répondre de la complicité d'un crime contre l'humanité commis sur la personne des sept otages juifs qui ont été fusillés, le 29 juin 1944, à Rillieux-la-Pape ;
" alors que la participation à un plan concerté ou à un complot constitue, non une infraction distincte ou une circonstance aggravante, mais un élément essentiel du crime contre l'humanité, consistant en ce que les actes incriminés ont été accomplis de façon systématique au nom d'un Etat pratiquant par ces moyens une politique d'hégémonie idéologique ; que la chambre d'accusation affirme, sans en justifier autrement, que les actes imputés à Paul X... ont été perpétrés en exécution d'un plan concerté ; qu'il ressort de ses constatations, cependant, que ces actes ont consisté dans des représailles exercées à l'occasion de l'attentat commis, le 28 juin 1944, à 6 heures du matin, contre la personne de Philippe Y..., et que moins de vingt-quatre heures ont séparé cet attentat de la mise à mort des otages (29 juin 1944, à 5 heures du matin), laquelle forme l'objet de la poursuite pour crime contre l'humanité ; qu'en s'abstenant, dans de telles conditions, d'expliquer en quoi Paul X... aurait participé à un plan concerté, ou encore à un complot, au sens de l'article 6 c) second alinéa, du statut du Tribunal de Nüremberg, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés " ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 c) du statut du Tribunal militaire international de Nüremberg, de la loi du 26 décembre 1964, des articles 59, 64 et 328 du Code pénal :
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé qu'il existait contre X... des charges suffisantes de s'être sciemment rendu complice de crimes contre l'humanité, par instructions, aide ou assistance aux auteurs d'homicides volontaires qui entraient dans le cadre d'un plan concerté pour le compte d'un Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique à l'encontre de personnes choisies à raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse ;
" au motif qu'aucun fait justificatif ne pouvait être invoqué par un responsable de la Milice qui, par ses fonctions, devait obéir aux exigences nazies ;
" alors que, d'une part, la complicité exige non seulement un acte matériel, mais également l'intention du complice de participer à un acte criminel, et que s'agissant d'un crime contre l'humanité, l'intention doit comporter un mobile spécial, c'est-à-dire la conscience de participer à un crime contre l'humanité, et qu'en s'abstenant de constater le mobile spécial du complice, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié le renvoi ;
" alors que, d'autre part, en se livrant à une appréciation de l'état de nécessité qui exclut l'intention criminelle, en fonction de l'appartenance à un groupement et non en fonction de la situation particulière de l'individu, la chambre d'accusation n'a pas légalement constaté la réunion des éléments constitutifs de la complicité du crime réprimé " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, à la suite de l'assassinat le 28 juin 1944 de Philippe Y..., secrétaire d'Etat à l'information et à la propagande et membre de la Milice, et à l'instigation de Werner Z..., chef de l'Einsatz-Kommando de Lyon, qui désirait en représailles l'exécution d'otages juifs, Paul X..., chef du deuxième service régional de la Milice à Lyon, aurait choisi, parmi les otages aux mains de celle-ci, sept personnes juives et donné les instructions et les moyens nécessaires aux francs-gardes de la Milice pour les fusiller ; que leurs cadavres ont été découverts le 29 juin 1944 à Rillieux-la-Pape ;
Attendu qu'après avoir rejeté l'exception de chose jugée, la juridiction du second degré, pour considérer les faits poursuivis comme constitutifs d'un crime contre l'humanité, énonce notamment qu'ils entrent dans les prévisions de l'article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nüremberg, s'agissant d'assassinats commis en raison de l'appartenance raciale ou religieuse des victimes, toutes juives, et à la demande du chef de l'Einsatz-Kommando regroupant les services de la Gestapo et du Sicherheitsdienst, organisations nazies déclarées criminelles par le jugement du 1er octobre 1946 de ce Tribunal et instruments de l'Etat national-socialiste dans sa politique d'hégémonie idéologique ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation selon laquelle Paul X... aurait agi sous l'effet de la contrainte de l'autorité allemande et de la nécessité d'éviter la mort d'un nombre plus grand d'otages qu'aurait entraînée un refus de sa part, les juges rapportent des témoignages faisant état de sa satisfaction après les assassinats, et énoncent que, s'agissant du sacrifice de vies humaines, il n'est pas possible de décider si les vies sauvegardées représentaient un intérêt supérieur ;
Qu'ils ajoutent qu'aucun fait justificatif fondé sur la nécessité ou la légitime défense d'autrui ne peut être invoqué par un responsable de la Milice comme X... dont les fonctions le mettaient naturellement dans l'obligation de satisfaire aux exigences des autorités nazies ; qu'ils relèvent, à cet égard, qu'il avait fait le libre choix d'appartenir à la Milice, dont un des mots d'ordre était de " lutter contre la lèpre juive ", et d'exercer une activité qui impliquait une coopération habituelle avec le Sicherheitsdienst ou la Gestapo ; qu'ils en concluent que Paul X... aurait, en connaissance de cause, prêté un concours actif à l'exécution des faits criminels ayant eu pour instigateur le chef de l'Einsatz-Kommando de Lyon et se serait associé à une politique gouvernementale ou étatique d'extermination ou de persécution inspirée par des motifs raciaux ou religieux ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance, qui caractérisent en ses éléments matériels et intentionnel le crime contre l'humanité et la participation volontaire qu'y aurait prise le demandeur agissant, hors de toute contrainte, pour le compte d'un pays européen de l'Axe, le renvoi de ce dernier devant la cour d'assises est justifié ;
Qu'il n'importe que les faits poursuivis aient pu être commis à l'occasion de l'assassinat d'un membre du gouvernement de Vichy appartenant à la Milice, dès lors qu'exécutés à l'instigation d'un responsable d'une organisation criminelle nazie et concernant des victimes exclusivement choisies en raison de leur appartenance à la communauté juive, ils s'intégraient au plan concerté d'extermination et de persécution systématiques de cette communauté, mis en oeuvre par le gouvernement national-socialiste allemand ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que la chambre d'accusation était compétente, que l'est également la cour d'assises devant laquelle le demandeur est renvoyé, que la procédure est régulière et que les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crimes par la loi ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 93-83325
Date de la décision : 21/10/1993
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CRIME CONTRE L'HUMANITE - Imprescriptibilité - Textes applicables - Accord de Londres du 8 août 1945 - Résolution des Nations Unies du 13 février 1946 - Primauté sur la loi interne - Conséquence.

1° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accord de Londres du 8 août 1945 - Crime contre l'humanité - Imprescriptibilité - Conséquence 1° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Primauté sur la loi interne - Accord de Londres du 8 août 1945 - Résolution des Nations Unies du 13 février 1946 1° PRESCRIPTION - Crime contre l'humanité - Imprescriptibilité - Conventions internationales.

1° Le principe d'imprescriptibilité résultant du statut du Tribunal militaire international de Nüremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et de la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, régit, en tous leurs aspects, la poursuite et la répression des crimes contre l'humanité et fait obstacle à ce qu'une règle de droit interne, tirée de la chose jugée, permette à une personne, poursuivie du chef de l'un de ces crimes, de se soustraire à l'action de la justice en raison du temps écoulé, que ce soit depuis les actes incriminés ou depuis une précédente condamnation prononcée sous une autre qualification(1).

2° CRIME CONTRE L'HUMANITE - Responsabilité pénale - Ressortissant français agissant pour le compte d'un pays européen de l'Axe.

2° Le ressortissant français qui, à l'instigation d'un responsable d'une organisation criminelle nazie, ordonne les assassinats de personnes choisies par lui exclusivement en raison de leur appartenance à la communauté juive, participe, en connaissance de cause, pour le compte d'un pays européen de l'Axe, au plan concerté d'extermination et de persécution de cette communauté mis en oeuvre par le gouvernement national-socialiste allemand et se rend complice de crime contre l'humanité (2).

3° CRIME CONTRE L'HUMANITE - Eléments constitutifs - Participation à un plan concerté - Assassinats de membres de la communauté juive choisis en tant que tels - Assassinats commis en représailles - Circonstance indifférente.

3° Même s'ils ont été perpétrés à l'occasion et en représailles de l'assassinat d'un membre de la Milice française, de tels assassinats, commis dans de telles conditions, s'intègrent à ce plan concerté et constituent un crime contre l'humanité.


Références :

2° :
Code pénal 59, 64, 328
Loi 64-1326 du 26 décembre 1964

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles (chambre d'accusation), 02 juin 1993

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1988-06-03, Bulletin criminel 1988, n° 246, p. 637 (rejet). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1992-11-27, Bulletin criminel 1992, n° 394, p. 1082 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 21 oct. 1993, pourvoi n°93-83325, Bull. crim. criminel 1993 N° 307 p. 770
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1993 N° 307 p. 770

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Amiel.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Dumont.
Avocat(s) : Avocats : MM. Henry, Capron, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, MM. Ryziger, Choucroy, Mme Roué-Villeneuve, la SCP Lemaitre et Monod.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1993:93.83325
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