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06/10/1992 | FRANCE | N°91-85434;91-85435

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 octobre 1992, 91-85434 et suivant


CASSATION sur les pourvois formés par :
- X...,
- Y...,
1°) contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 21 juin 1991, qui, dans la poursuite exercée contre eux, des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et complicité, les a déclarés déchus de leur droit de prouver la véracité des faits et de faire entendre des témoins sur lesdits faits, et a renvoyé l'affaire ;
2°) contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 18 septembre 1991, qui les a condamnés, des chefs de diffamati

on publique envers un fonctionnaire public, et complicité, le premier à 10...

CASSATION sur les pourvois formés par :
- X...,
- Y...,
1°) contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 21 juin 1991, qui, dans la poursuite exercée contre eux, des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et complicité, les a déclarés déchus de leur droit de prouver la véracité des faits et de faire entendre des témoins sur lesdits faits, et a renvoyé l'affaire ;
2°) contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 18 septembre 1991, qui les a condamnés, des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et complicité, le premier à 10 000 francs d'amende, la seconde à 2 000 francs d'amende et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur les pourvois formés contre l'arrêt du 21 juin 1991 :
Sur la recevabilité des pourvois :
Attendu que les pourvois ont été déclarés en même temps que ceux qui ont été formés contre l'arrêt du 18 septembre 1991, statuant au fond ; qu'ainsi, en application des dispositions de l'article 59 de la loi du 29 juillet 1881, ils sont recevables ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 30, 31, 41, alinéa 3, 43, 48, alinéa 3, 55 de la loi du 29 juillet 1881, 59, 60 du Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus déchus, par application des dispositions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, de leur droit de prouver la véracité des faits et de faire entendre des témoins sur lesdits faits ;
" aux motifs que les prescriptions légales sont impératives et qu'il ne résulte d'aucun texte, spécialement d'aucun article de la loi du 29 juillet 1881, que les dispositions de l'article 41 de ladite loi, constituent en quelque manière une exception aux impératifs de l'article 55 qui ne cèdent que devant la force majeure non alléguée ici et le cas de l'article 54, alinéa 2, qui n'est pas celui de l'espèce, et qui s'appliquent dans tous les cas où, selon l'article 35 de la même loi, la preuve de la vérité des faits est admise comme elle l'est ici en principe et qui s'appliquent notamment au cas de diffamation publique envers un fonctionnaire public ; qu'en cas de saisine du Tribunal par citation directe par le ministère public, comme en l'espèce, les 10 jours du délai impératif de l'article 55 courent à compter de la signification initiale soit ici à compter du 6 mars 1991 pour X... et du 8 mars 1991 pour Mlle Y... ; qu'il n'est pas prétendu que le délai ni les autres exigences procédurales prescrites à peine de déchéance aient été respectées ; que la déchéance est donc encourue ; qu'il y a lieu de déclarer les prévenus déchus du droit d'appliquer les dispositions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 et de faire entendre des témoins sur les faits ;
" alors, d'une part, que les prévenus contestant le caractère diffamatoire des propos incriminés couverts par l'immunité n'entendaient pas, par voie de conséquence, faire la preuve de la vérité de ces faits ; qu'il en résultait que les dispositions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 n'étant pas applicables, la cour d'appel ne pouvait refuser d'entendre des témoins dont l'audition n'avait pas pour but d'établir l'existence d'un fait qualifié de diffamatoire ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait priver les prévenus du droit de se prévaloir de témoignages concordants et multiples établissant l'absence de caractère diffamatoire des propos incriminés qui ne constituaient qu'un compte rendu d'audience et se trouvaient comme tels couverts par l'immunité de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'aux termes de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires ne donne lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ; que si c'est à celui qui se prévaut de cette immunité de prouver que les conditions en sont réunies, il peut l'établir par les voies ordinaires, selon les modes de preuve du droit commun ;
Attendu que le journal quotidien régional Z... a publié, dans son numéro 33 888 du jeudi 13 décembre 1990, en page région Lorraine, un article de Y..., intitulé " A..., encore un chantage au suicide ", et en sous-titre, " Hier, c'était une lame de taille-crayon dans la bouche pour se mutiler. La cour d'assises de la Moselle ne supporte plus " ; que l'article rendait compte de la troisième journée du procès de A..., accusé de vols avec port d'arme ; qu'après avoir reproduit une déclaration de l'accusé, affirmant " ceci n'a rien d'un interrogatoire, c'est un réquisitoire ", l'article ajoutait : " La présidente B... était la cible de ses propos. On l'a vue se muer au fil de la journée en procureur général " ; que l'article concluait :
" Mais ce qui est certainement regrettable, c'est l'omniprésence vocale de la présidente qui ne peut manquer de savoir quel poids elle a sur les jurés. Même si elle ne comprend pas ou n'accepte pas le système de défense de l'accusé, elle ne devrait pas donner l'impression de quitter son habit pour un autre " ;
Attendu qu'à raison des deux passages précités, mettant en cause un magistrat, en sa qualité de président de la cour d'assises de la Moselle, le Garde des Sceaux a porté plainte, le 20 février 1991, contre l'auteur de l'article et contre le directeur de publication du journal, des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public, et complicité, sur le fondement des articles 30, 31, 43, 47 et 48.3° de la loi du 29 juillet 1881 ;
Que X..., directeur de publication, et Y..., journaliste, ont été attraits directement devant le tribunal correctionnel, par citations respectivement délivrées le 6 mars 1991 à X... et le 8 mars 1991 à Mme Y... ;
Que, par jugement du 19 avril 1991, le tribunal correctionnel a incidemment relevé " qu'avant que ne s'engagent les débats, les prévenus ont sollicité l'audition en qualité de témoin de moralité, de Me C..., avocat au barreau de Nancy, présente dans la salle ; qu'avis ayant été sollicité des parties et après en avoir délibéré, le Tribunal a rejeté cette requête, l'audition n'apparaissant pas nécessaire " ;
Qu'en cause d'appel, les prévenus ont fait citer, par exploits des 24 et 27 mai 1991, cinq témoins à entendre " dans les formes ordinaires du Code de procédure pénale " ; qu'ils ont averti le président de la chambre correctionnelle de ces citations, par lettre du 30 mai 1991, en mentionnant l'article 513 du Code de procédure pénale ; qu'oralement à l'audience, ils ont confirmé leur demande d'audition des témoins, notamment sur les faits, en se prévalant par conclusions de l'immunité édictée par l'article 41, alinéa 3, de la loi sur la presse ;
Attendu que, pour refuser l'audition des témoins, conformément aux conclusions de la partie civile et aux réquisitions du ministère public, la cour d'appel énonce que les prescriptions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 " sont impératives, qu'il ne résulte d'aucun texte, spécialement d'aucun article de cette loi, que les dispositions de l'article 41 de ladite loi constituent en quelque manière une exception aux impératifs de l'article 55 qui ne cèdent que devant la force majeure, non alléguée ici, et le cas de l'article 54, alinéa 2, qui n'est pas celui de l'espèce, et qui s'appliquent dans tous les cas où, selon l'article 35 de la même loi, la preuve de la vérité des faits est admise, comme elle l'est ici en principe, et qui s'appliquent notamment au cas de diffamation publique envers un fonctionnaire public " ; qu'après avoir relevé la tardiveté des dénonciations de témoins, l'arrêt déclare les prévenus déchus, par application de l'article 55 précité, de leur droit de prouver la véracité des faits et de faire entendre des témoins sur lesdits faits ;
Mais attendu qu'en repoussant ainsi l'offre de preuve des prévenus, alors que celle-ci n'avait pas pour objet la vérité des faits, mais la fidélité du compte rendu judiciaire, et sa bonne foi, la cour d'appel a méconnu les principes susvisés, et violé les droits de la défense ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
II - Sur les pourvois formés contre l'arrêt du 18 septembre 1991 :
Attendu que la cassation qui vient d'être prononcée s'étend, par voie de conséquence, à l'arrêt susvisé du 18 septembre 1991 ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts susvisés de la cour d'appel de Nancy, en date des 21 juin 1991 et 18 septembre 1991, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 91-85434;91-85435
Date de la décision : 06/10/1992
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Preuve - Charge - Prévenu.

1° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Appréciation fidèle et de bonne foi - Nécessité.

1° Aux termes de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, le compte rendu fidèle, fait de bonne foi des débats judiciaires ne donne lieu à aucune action en diffamation. C'est à celui qui se prévaut de cette immunité de prouver que les conditions de narration, de fidélité et de bonne foi sont remplies (1).

2° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Preuve - Modes de preuve.

2° PRESSE - Immunités - Compte rendu des débats judiciaires - Preuve - Objet - Vérité des faits diffamatoires (non).

2° La preuve de l'immunité judiciaire, qui n'a pas pour objet la vérité des faits diffamatoires, échappe aux exigences de forme et de délai prévues par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881. Le prévenu peut procéder par les voies ordinaires, selon les modes de preuve du droit commun (2). Encourt la cassation l'arrêt de cour d'appel qui se fonde sur les dispositions de l'article 55 de la loi du 1881-07-29 pour refuser l'audition des témoins cités devant elle par les prévenus invoquant l'immunité d'un compte rendu


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 41 al. 3
Loi du 29 juillet 1881 art. 41 al. 3, art. 55

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy (chambre correctionnelle), 18 septembre 1991

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1884-08-16 , Bulletin criminel 1884, n° 269, p. 450 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1911-05-27 , Bulletin criminel 1911, n° 277, p. 526 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1962-12-18 , Bulletin criminel 1962, n° 378, p. 776 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1978-01-16 , Bulletin criminel 1978, n° 18, p. 39 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1985-02-05 , Bulletin criminel 1985, n° 62, p. 165 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1986-11-04 , Bulletin criminel 1986, n° 322 p. 820 (rejet). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1899-12-07 , Bulletin criminel 1899, n° 351, p. 593 (rejet) ;

A comparer : Chambre criminelle,27 juin 1967, , Bulletin criminel 1967, n° 193, p. 460 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1970-07-09 , Bulletin criminel 1970, n° 235, p. 561 (cassation) ;

Chambre criminelle, 1990-05-22 , Bulletin criminel 1990, n° 211, p. 530 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 oct. 1992, pourvoi n°91-85434;91-85435, Bull. crim. criminel 1992 N° 304 p. 825
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1992 N° 304 p. 825

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général :M. Robert
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Guerder
Avocat(s) : Avocat :la SCP Rouvière, Lepître et Boutet

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1992:91.85434
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