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31/01/1991 | FRANCE | N°90-87177;90-87178;90-87179

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 janvier 1991, 90-87177 et suivants


IRRECEVABILITE et REJET des pourvois formés par :
- X... René,
contre trois arrêts de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, qui, dans l'information ouverte contre lui pour crimes contre l'humanité, ont, les deux premiers, en date du 8 octobre 1990, ordonné des mesures de procédure, le troisième, en date du 19 novembre 1990, prononcé sur la compétence.
LA COUR,
Vu les trois ordonnances, en date du 29 novembre 1990, par lesquelles le président de la chambre criminelle a, en application des articles 570 et 571 du Code de procédure pénale, prescrit l'examen

immédiat des pourvois ;
Joignant ces pourvois en raison de la connexité...

IRRECEVABILITE et REJET des pourvois formés par :
- X... René,
contre trois arrêts de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, qui, dans l'information ouverte contre lui pour crimes contre l'humanité, ont, les deux premiers, en date du 8 octobre 1990, ordonné des mesures de procédure, le troisième, en date du 19 novembre 1990, prononcé sur la compétence.
LA COUR,
Vu les trois ordonnances, en date du 29 novembre 1990, par lesquelles le président de la chambre criminelle a, en application des articles 570 et 571 du Code de procédure pénale, prescrit l'examen immédiat des pourvois ;
Joignant ces pourvois en raison de la connexité ;
Sur la recevabilité des pourvois formés contre les deux arrêts du 8 octobre 1990 :
Attendu que ces deux arrêts, qui se bornent à donner acte au procureur général des réquisitions introductives prises par lui et à désigner, conformément à l'article 682 du Code de procédure pénale, le membre de la chambre d'accusation chargé de procéder aux actes d'information, puis, pour l'une de ces décisions, à ordonner la communication du dossier au ministère public afin de recueillir ses réquisitions sur une éventuelle jonction des procédures et sur la compétence, ne constituent pas des actes juridictionnels ; que, dès lors, les pourvois formés contre ces arrêts ne sont pas recevables ;
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 19 novembre 1990 :
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, alinéas 1 et 11, de l'ordonnance du 18 novembre 1944, 30 de la loi n° 46-2386 du 27 octobre 1946, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 127 du Code pénal, de l'article 10 de la loi des 16-24 août 1790, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué constate une prétendue impossibilité de constituer la commission d'instruction et rejette l'exception d'incompétence ;
" aux motifs que l'ordonnance du 18 novembre 1944 n'a jamais fait l'objet d'une abrogation expresse et que le législateur a toujours entendu maintenir la Haute Cour, dite de la Libération, créée par ladite ordonnance aux côtés des Hautes Cours constitutionnelles ultérieurement instituées, mais que la commission d'instruction de la Haute Cour de justice faisant également office de chambre d'accusation ne pourrait être actuellement constituée, les dispositions régissant la désignation de ses membres par l'Assemblée nationale constituante étant devenues caduques ;
" alors, d'une part, qu'ayant reconnu que l'ordonnance de 1944 n'était pas abrogée et avait, au contraire, été modifiée à diverses reprises par le législateur, la chambre d'accusation ne pouvait refuser d'en faire application au seul prétexte d'une prétendue caducité des mesures permettant de désigner les membres de la commission d'instruction ;
" qu'en effet, à l'opposé des énonciations de l'arrêt attaqué, ladite commission a bien été composée postérieurement à la disparition de l'Assemblée nationale constituante par l'Assemblée nationale qui, mise à part la fonction constituante, remplit la même fonction législative et que les désignations ainsi opérées les 23 et 27 décembre 1946 ainsi que les 10 et 15 juin 1948 confirment la volonté souveraine du législateur de maintenir en fonction, sous tous ses aspects d'instruction et de jugement, la juridiction politique compétente pour juger les personnes ayant participé aux gouvernements pendant l'occupation allemande ;
" qu'en tout état de cause, la chambre d'accusation ne pouvait, sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, substituer son appréciation à celle du pouvoir législatif sur la prétendue impossibilité d'accomplir les actes de désignation qui relèvent en propre du domaine parlementaire ;
" alors, d'autre part, que, contrairement à la thèse des parties civiles, la loi du 27 octobre 1946 qui a créé une nouvelle Haute Cour pour le jugement des ministres n'a pu avoir pour effet d'abroger la Haute Cour de la Libération qui a conservé une compétence exclusive pour les crimes et délits imputés aux secrétaires généraux et pour les " affaires pendantes " concernant les ministres ; qu'en effet, aucune incompatibilité ne saurait exister entre les dispositions de la loi de 1946 concernant seulement les présidents et ministres avec les dispositions de l'ordonnance de 1944 relatives aux secrétaires généraux, de sorte que l'article 30 a pour seul objet, non pas d'abroger l'institution créée pour le jugement des personnes ayant participé aux gouvernements de Vichy, mais au contraire, de maintenir sa compétence même pour les ministres, en dépit de la survenance du nouveau texte intéressant cette catégorie de responsables politiques ;
" alors, de surcroît, qu'il résulte des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 18 novembre 1944 que la Haute Cour conserve sa compétence à l'égard de toutes les personnes visées à l'article 2, notamment pour juger les contumax, sauf au cas où une autre juridiction " viendrait à lui être substituée ", ce qui n'est pas le cas, aucun texte n'ayant prévu le remplacement de cette institution par une autre ;
" alors, enfin, que la loi n'ayant prévu aucune juridiction spéciale pour connaître des crimes contre l'humanité qui sont des crimes de droit commun commis dans certaines circonstances et pour certains motifs, ces mêmes crimes dès lors qu'ils étaient imputés aux fonctions de secrétaire général de la police occupées par René X... relevaient de la compétence générale et exclusive de la Haute Cour de justice instituée par l'ordonnance du 18 novembre 1944 pour juger tous les crimes et délits imputés à ses justiciables, à la seule exception de ceux totalement étrangers aux fonctions exercées ;
" alors, très subsidiairement, que la procédure organisée et prévue par l'ordonnance du 18 novembre 1944 qui règle la compétence et le fonctionnement d'une juridiction d'exception forme un tout cohérent et exclusif de l'intervention de toute juridiction autre que celle qui est prévue par ladite ordonnance, en sorte que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris qui se substitue, pour des raisons de pure opportunité, à la commission d'instruction instituée par ce texte viole l'article 2 de l'ordonnance du 18 novembre 1944 attribuant compétence exclusive à la Haute Cour " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 127 et 185 du Code pénal, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 802 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a refusé de décliner sa compétence,
" aux motifs qu'aucune juridiction de substitution n'étant susceptible d'être saisie, une telle décision pouvait être considérée par les parties civiles comme un déni de justice, et une violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial ;
" alors, d'une part, que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, qui devait vérifier sa compétence avant d'instruire sur les faits dont elle était provisoirement saisie, n'était aucunement tenue d'informer sur une constitution de partie civile formée contre une personne dont les agissements échappaient à sa compétence ; qu'ainsi l'arrêt attaqué, qui affirme que la chambre d'accusation devait statuer à peine de déni de justice, viole l'article 185 du Code pénal ;
" alors, d'autre part, que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris qui renvoie, au mépris de la volonté formelle du législateur, René X... devant des juridictions de droit commun pour des faits imputables à ses fonctions de secrétaire général de la police du gouvernement de Vichy, élude la garantie que peut constituer pour l'inculpé l'instruction et l'examen de son dossier, selon les dispositions spécialement prévues pour sa fonction par l'ordonnance du 18 novembre 1944 et viole en cela l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui dispose que tout inculpé a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal " établi par la loi " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, désignée en application de l'article 681 du Code de procédure pénale, par deux arrêts de la Cour de Cassation du 21 mars 1990, comme pouvant être chargée d'informer sur deux plaintes avec constitution de partie civile déposées, l'une par l'association Les Fils et filles des déportés juifs de France, l'autre par la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, contre René X..., à l'époque des faits préfet et secrétaire général du ministère de l'Intérieur du gouvernement de fait de Vichy, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, devant laquelle les parties civiles avaient renouvelé leur constitution, a, après avoir joint les deux procédures, rejeté l'exception d'incompétence soulevée par le ministère public, ordonné la poursuite de l'information et renouvelé la désignation de son président pour procéder aux actes d'instruction ;
Attendu que pour statuer ainsi et écarter les arguments du procureur général qui soutenait que l'ordonnance du 18 novembre 1944 instituant une Haute Cour de justice n'ayant jamais été abrogée, cette juridiction était seule compétente pour connaître des faits imputés à X... et relevant de son activité de secrétaire général du ministère de l'Intérieur, l'arrêt attaqué retient que l'article 6 de l'ordonnance précitée, relatif à la composition de la commission d'instruction, est devenu caduc et que ladite Commission ne peut plus être constituée ;
Que la chambre d'accusation en déduit qu'aucune juridiction d'instruction de substitution n'étant susceptible d'être saisie, " elle ne saurait décliner sa compétence, une telle décision pouvant être considérée par les parties civiles comme un déni de justice et une violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;
Mais attendu que les juges ne pouvaient, pour retenir leur compétence, se fonder sur l'impossibilité de constituer la juridiction qui aurait légalement dû instruire l'affaire, alors qu'il appartient à la seule Cour de Cassation, saisie dans les conditions prévues par l'article 662 du Code de procédure pénale, de renvoyer la connaissance de la cause à une autre juridiction lorsque le cours de la justice se trouve interrompu ;
Attendu, cependant, que l'article 30 de la loi du 27 octobre 1946 sur la constitution et le fonctionnement de la Haute Cour de justice créée par la loi constitutionnelle du même jour dispose que " les affaires actuellement pendantes devant la Haute Cour instituée par l'ordonnance du 18 novembre 1944 restent soumises à cette juridiction " ;
Qu'il résulte de ce texte de loi que, si la Haute Cour de justice instituée par l'ordonnance de 1944 demeure compétente pour instruire et juger les affaires dont elle était saisie à la date d'entrée en vigueur de la loi de 1946, y compris pour purger les contumaces prononcées, elle ne peut en revanche connaître, à compter de cette date, d'affaires nouvelles ;
Qu'en l'absence de dispositions légales attribuant compétence à une autre juridiction, la connaissance de ces affaires ne peut revenir qu'aux juridictions de droit commun selon les règles définies par le Code de procédure pénale ;
Attendu, en conséquence, que par ces motifs, substitués aux motifs erronés de l'arrêt attaqué, la décision de la chambre d'accusation, en ce qu'elle a retenu sa compétence pour informer sur les faits dénoncés par les parties civiles, est justifiée, cette compétence impliquant celle de la cour d'assises au cas où l'instruction ferait apparaître contre René X... charges suffisantes d'avoir commis tout ou partie des crimes qui lui sont imputés ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
DECLARE IRRECEVABLES les pourvois formés contre les arrêts du 8 octobre 1990 ;
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt du 19 novembre 1990.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 90-87177;90-87178;90-87179
Date de la décision : 31/01/1991
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CASSATION - Décisions susceptibles - Chambre d'accusation - Arrêt de donné acte - de désignation du magistrat chargé d'instruire et de communication du dossier au ministère public (non).

1° CHAMBRE D'ACCUSATION - Procédure - Crimes et délits commis par des magistrats et certains fonctionnaires - Chambre d'accusation désignée comme juridiction d'instruction - Arrêts - Arrêt désignant le magistrat chargé d'instruire - Cassation - Décision susceptible (non) 1° CRIMES ET DELITS COMMIS PAR DES MAGISTRATS ET CERTAINS FONCTIONNAIRES - Magistrats - préfets ou maires - Chambre d'accusation désignée par la chambre criminelle - Arrêts - Arrêt désignant le magistrat chargé d'instruire - Cassation - Décision susceptible (non).

1° Des arrêts de la chambre d'accusation donnant acte au procureur général de ses réquisitions, désignant le magistrat chargé d'instruire en application de l'article 682 du Code de procédure pénale et ordonnant la communication du dossier au ministère public ne constituent pas des actes juridictionnels et ne sont pas susceptibles de pourvoi (1).

2° COMPETENCE - Compétence d'attribution - Juridictions de droit commun - Inculpé entrant dans les prévisions de l'ordonnance du 18 novembre 1944 - Poursuites nouvelles exercées après la promulgation de la loi du 27 octobre 1946 créant la Haute Cour de justice.

2° Les dispositions de l'article 30 de la loi du 27 octobre 1946 sur la constitution et le fonctionnement de la Haute Cour de justice créée par la loi constitutionnelle du même jour excluent que de nouvelles affaires soient déférées à la Haute Cour instituée par l'ordonnance du 18 novembre 1944 ; il en résulte que la compétence exclusive prévue par l'article 2 de cette ordonnance n'a plus d'application pour ces affaires après la mise en vigueur de ladite loi et que s'y sont substituées les règles de compétence définies par le Code de procédure pénale


Références :

Code de procédure pénale 682
Loi 46-2386 du 27 octobre 1946
Ordonnance du 18 novembre 1944 art. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (chambre d'accusation), 19 novembre 1990

CONFER : (1°). (1) Cf. A comparer : Chambre criminelle, 1981-01-27 , Bulletin criminel 1981, n° 37, p. 108 (rejet), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 31 jan. 1991, pourvoi n°90-87177;90-87178;90-87179, Bull. crim. criminel 1991 N° 54 p. 132
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1991 N° 54 p. 132

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général :M. Robert
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Zambeaux
Avocat(s) : Avocats :la SCP Célice et Blancpain, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, MM. Ryziger, Choucroy

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1991:90.87177
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