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19/12/1990 | FRANCE | N°89-14576

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 19 décembre 1990, 89-14576


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Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 février 1989), que la majorité du personnel de la société des Kaolins du Finistère s'est mise en grève le 27 novembre 1984 ; que quinze salariés ont occupé le réfectoire de l'entreprise jusqu'à ce que soit ordonnée leur expulsion par ordonnance de référé du 30 novembre 1984 ; que, par ailleurs, diverses voies de fait (ouverture des vannes commandant la retenue d'eau, démontage des canalisations, etc.) commises au cours de la grève, ont entravé la liberté du travail et mis l'entreprise hors d'é

tat de fonctionner ;

Attendu que la société a demandé la condamnation solidaire...

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Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 février 1989), que la majorité du personnel de la société des Kaolins du Finistère s'est mise en grève le 27 novembre 1984 ; que quinze salariés ont occupé le réfectoire de l'entreprise jusqu'à ce que soit ordonnée leur expulsion par ordonnance de référé du 30 novembre 1984 ; que, par ailleurs, diverses voies de fait (ouverture des vannes commandant la retenue d'eau, démontage des canalisations, etc.) commises au cours de la grève, ont entravé la liberté du travail et mis l'entreprise hors d'état de fonctionner ;

Attendu que la société a demandé la condamnation solidaire de la section syndicale de la société des Kaolins du Finistère, de l'Union locale des syndicats CGT du Huelgoat et de sept salariés grévistes à la réparation du dommage qu'elle avait subi ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable la demande formée contre la section syndicale alors que, selon le moyen, d'une part, une section syndicale accède à la personnalité morale si elle se constitue, comme l'avait reconnu le Tribunal pour le syndicat CGT des Kaolins de Berrien, en syndicat d'entreprise ; qu'en isolant la formule " section syndicale ", contenue dans l'article 7 des statuts, sans s'expliquer sur l'article 11, consacré à la rubrique " le Bureau " et définissant tant l'organe du syndicat d'entreprise que ses moyens d'expression propres, ce que corroboraient au surplus la dénomination retenue " syndicat CGT des Kaolins de Berrien " et son rôle d'interlocuteur direct de la société des Kaolins du Finistère, l'arrêt attaqué a dénaturé par tronquage les articles 7 et 11 des statuts dudit syndicat et violé les articles 1134 du Code civil, L. 411-10 et L. 412-6, modifié par la loi du 28 octobre 1982, du Code du travail ; alors que d'autre part, en se bornant à affirmer que le syndicat CGT des Kaolins de Berrien, qui avait régulièrement déposé ses statuts, n'aurait ni organe d'expression propre ni volonté collective distincte de celle du syndicat dont il émane, savoir l'union locale des syndicats CGT du Huelgoat, laquelle n'avait ni participé à l'organisation de la grève, ni engagé sa responsabilité dans les conséquences dommageables des abus commis au cours de celle-ci, sans rechercher dans quelles conditions s'était créé en 1981 le syndicat d'entreprise, issu de la section syndicale, l'arrêt attaqué n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 411-1, L. 411-10 et L. 411-6 modifié du Code du travail ;

Mais attendu en premier lieu que la Cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les statuts du syndicat CGT des Kaolins de Berrien, a exactement décidé que la section syndicale d'entreprise créée par ce syndicat n'ayant ni organe d'expression propre ni volonté collective distincte du syndicat dont elle émane, n'avait pas la personnalité civile ; que le premier grief n'est pas fondé ;

Et attendu, en second lieu, que l'action ayant été introduite à l'encontre de la section syndicale seule, et non à l'encontre du syndicat CGT des Kaolins de Berrien, qui n'a pas été assigné, le moyen, en sa seconde branche, est inopérant ;

Sur le second moyen pris en sa première branche :

Attendu que la société reproche aussi à l'arrêt d'avoir rejeté son action en responsabilité dirigée contre l'union locale des syndicats CGT du Huelgoat, alors que, selon le moyen, la responsabilité des syndicats est engagée, dès lors que ses dirigeants ont incité les salariés à commettre des agissements illicites, constituant un abus du droit de grève ; qu'en passant sous silence la circonstance, spécialement invoquée par les conclusions de la société des Kaolins du Finistère, que M. X... cumulait les fonctions de secrétaire général de l'union locale CGT et du syndicat des Kaolins de Berrien, et en cherchant à dissocier les deux organisations bien qu'ayant affirmé que la seconde ne serait qu'une émanation de l'union locale, pour mettre hors d'atteinte d'une action judiciaire, faute de personnalité morale, celle fonctionnant au sein de l'entreprise et dénier la participation effective de l'autre à l'abus de grève, l'arrêt attaqué, qui relève en définitive des agissements illicites de leur dirigeant commun ayant entraîné d'autres salariés à commettre des voies de fait, au lieu de les modérer, a privé de tout fondement légal, au regard des articles 1382 du Code civil et L. 411-1 du Code du travail, le refus de réparation opposé à la société des Kaolins du Finistère ;

Mais attendu que, d'une part, les grévistes, même lorsqu'ils sont représentants du syndicat auprès de l'employeur ou des organes représentatifs du personnel au sein de l'entreprise, ne cessent pas d'exercer individuellement le droit de grève et n'engagent pas, par les actes illicites auxquels ils peuvent se livrer, la responsabilité des syndicats auxquels ils appartiennent ; que d'autre part, la cour d'appel a relevé que la preuve n'était pas rapportée que l'union locale des syndicats CGT du Huelgoat avait, de quelque façon que ce soit, participé à l'organisation de la grève ni aux abus commis au cours de celle-ci ; qu'il s'ensuit que le moyen, en sa première branche, ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen pris en ses troisième et quatrième branches ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en responsabilité dirigée contre MM. Z..., Le Roux, Louedec, Lozach, Cam et Y... alors que, selon le moyen, d'une part, chacun des coauteurs d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, peu important leurs rôles respectifs n'affectant pas le caractère et l'étendue de leurs obligations vis-à-vis de la partie lésée ; que la participation de MM. Y..., Le Roux, Z..., Louedec, Lozach et Cam à une grève abusive, destinée à mettre l'usine hors d'état de fonctionner, étant constatée, l'indivisibilité nécessaire de ces agissements, même si leur concertation n'a pu être exactement reconstituée, impliquait leur responsabilité entière et in solidum, de telle sorte que le refus de réparation opposé par l'arrêt attaqué à la société des Kaolins du Finistère est entaché d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors que, d'autre part, l'arrêt attaqué n'a pu, sans contradiction de motifs, accorder une impunité à ces six salariés, étant constaté que la participation à la grève ne s'était pas accompagnée d'entraves pour les salariés non grévistes, tout en relevant simultanément que les voies de fait commises tendaient à mettre l'usine hors d'état de fonctionner, ce qui portait atteinte au droit au travail des non-grévistes ; que cette contradiction équivaut à un défaut de motifs et entraîne une violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, qui n'a pas constaté le caractère abusif de la grève à laquelle avaient participé les salariés mis en cause par leur employeur, s'est bornée à relever l'existence d'actes illicites commis au cours du conflit ;

Attendu, en second lieu, que la responsabilité d'un salarié participant à une grève ne peut être engagée qu'à raison du préjudice découlant directement de sa participation personnelle à des actes illicites commis pendant l'arrêt du travail ; qu'après avoir constaté qu'aucune preuve n'était rapportée du rôle joué par les salariés mis en cause par l'employeur dans les voies de fait perpétrées au cours du conflit et qu'ils s'étaient bornés à occuper le réfectoire, sans aucune entrave à la liberté du travail des non grévistes, jusqu'au jour où leur expulsion avait été ordonnée, la cour d'appel a, sans encourir les griefs des troisième et quatrième branches du moyen, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen pris en sa deuxième branche :

Attendu que la société reproche enfin à l'arrêt d'avoir écarté la responsabilité de M. X... alors que, selon le moyen, l'abus du droit de grève ouvre droit à réparation à l'entreprise qui en est victime, peu important que les auteurs de certains agissements soient demeurés inconnus ; que ce droit à réparation est indépendant du degré de gravité de la faute des auteurs identifiés ; qu'ayant relevé à la charge de M. X... des agissements fautifs, l'arrêt attaqué, sans du reste préciser en quoi il se serait dépouillé de ses fonctions cumulatives de dirigeant des deux organisations syndicales, ne l'a exonéré de toute responsabilité dans les excès commis, sur les affirmations inopérantes que les auteurs des agissements les plus graves n'auraient pas été identifiés et que les seules voies de fait reconnues par lui n'avaient pu avoir une incidence notable sur la désorganisation de l'entreprise et ses pertes de production, qu'au

prix d'une méconnaissance de l'indivisibilité de faits ayant rendu abusive la grève et du nécessaire lien de causalité entre les excès commis et les dommages subis par la société des Kaolins du Finistère ; qu'ainsi le débouté de celle-ci est entaché d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'en jugeant que les agissements fautifs reprochés au salarié n'avaient pas eu d'incidence sur la perte de production dont il était demandé réparation, la cour d'appel a constaté l'absence de lien de causalité et ainsi légalement justifié sa décision ; que le grief n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 89-14576
Date de la décision : 19/12/1990
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Analyses

1° SYNDICAT PROFESSIONNEL - Section syndicale - Personnalité morale (non).

1° C'est à bon droit qu'une cour d'appel décide qu'une section syndicale n'a pas la personnalité civile, dès lors qu'il est établi que cette dernière, créée par un syndicat, n'avait, ni organe d'expression propre, ni volonté collective distincte du syndicat dont elle émanait.

2° CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Abus du droit de grève - Effets - Syndicat - Responsabilité - Condition.

2° SYNDICAT PROFESSIONNEL - Responsabilité civile - Faute - Existence - Absence - Constatations suffisantes 2° SYNDICAT PROFESSIONNEL - Responsabilité civile - Mandataires ou représentants légaux - Responsabilité personnelle - Abus du droit de grève - Portée.

2° Même lorsqu'ils sont représentants du syndicat auprès de l'employeur ou des organes représentatifs du personnel au sein de l'entreprise, les grévistes ne cessent pas d'exercer individuellement le droit de grève et, n'engagent pas, par les actes illicites auxquels ils peuvent se livrer la responsabilité des syndicats auxquels ils appartiennent. Dès lors, écarte à bon droit la responsabilité du syndicat, la cour d'appel qui relève que la preuve n'était pas rapportée que ce syndicat avait, de quelque façon que ce soit, participé à l'organisation de la grève ou aux abus commis au cours de celle-ci.

3° CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Abus du droit de grève - Constatations nécessaires.

3° Une cour d'appel qui se borne à relever l'existence d'actes illicites commis au cours du conflit, ne constate pas le caractère abusif de la grève.

4° CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Acte illicite commis pendant la grève - Participation d'un salarié - Responsabilité - Participation personnelle aux actes illicites - Nécessité.

4° La responsabilité d'un salarié participant à une grève, ne peut être engagée qu'à raison du préjudice découlant directement de sa participation personnelle à des actes illicites commis pendant l'arrêt de travail.

5° CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Acte illicite commis pendant la grève - Participation d'un salarié - Lien de causalité avec le dommage - Agissements fautifs sans incidence sur la perte de production.

5° CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Acte illicite commis pendant la grève - Participation d'un salarié - Dommage - Réparation - Condition.

5° En jugeant que les agissements fautifs reprochés au salarié n'avaient pas eu d'incidence sur la perte de production dont il était demandé réparation, la cour d'appel constate l'absence de lien de causalité et justifie légalement sa décision d'écarter la responsabilité de l'intéressé.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 07 février 1989

A RAPPROCHER : (1°). Chambre sociale, 1979-07-18 , Bulletin 1979, V, n° 646 (3), p. 473 (rejet), et les arrêts cités. (2°). Chambre sociale, 1987-01-21 , Bulletin 1987, V, n° 27 (2), p. 15 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Chambre sociale, 1990-07-17 , Bulletin 1990, V, n° 371, p. 222 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 19 déc. 1990, pourvoi n°89-14576, Bull. civ. 1990 V N° 698 p. 421
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1990 V N° 698 p. 421

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Cochard
Avocat général : Avocat général :M. Graziani
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Waquet
Avocat(s) : Avocats :la SCP Le Bret et Laugier, la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1990:89.14576
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