Attendu que M. Kern a fait éditer à compte d'auteur par les éditions Marque-Maillard dont le responsable est M. Marque, un ouvrage dont il est l'auteur, sous le titre Un toboggan dans la tourmente en Franche-Comté, 1940-1945, retraçant son activité sous l'Occupation ; que, visant dans son assignation différents passages du chapitre intitulé " les procès des traîtres " selon lesquels, notamment, un nommé Y... a été jugé par la Cour de justice de Besançon en 1946 " en compagnie de la femme X..., sa maîtresse ", qu'elle a été accusée " d'avoir été l'indicatrice de Y... ", qu'elle " ne s'était pas réhabilitée postérieurement aux faits reprochés, qu'elle était acquittée, mais frappée de l'indignité nationale à vie ", Mme X... a saisi le juge des référés en invoquant une atteinte à sa vie privée et en se prévalant de ce qu'elle avait été grâciée en 1947 et se trouvait réhabilitée ; que le 24 mars 1987, le président du tribunal de grande instance de Besançon a ordonné la saisie du livre, la suppression de plusieurs passages et s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de provision à valoir sur la réparation du préjudice causé à Mme X... ; que, sur appel principal de M. Kern et de M. Marque et appel incident de Mme X..., l'arrêt attaqué a infirmé cette ordonnance et débouté Mme X... de toutes ses prétentions ;.
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir débouté Mme X... de ses demandes tendant à voir réparer les atteintes à sa vie privée au motif qu'il doit être admis que l'auteur d'une oeuvre visant à constituer un document destiné à servir aux historiens, a droit, comme l'historien, de faire état sans le consentement des intéressés, de faits, même touchant à la vie privée, s'ils sont en relation certaine avec son sujet, relatés avec objectivité et sans intention de nuire, et s'ils ont été, comme en l'espèce, déjà livrés à la connaissance du public par des comptes rendus de débats judiciaires contenus dans la presse locale alors, selon le moyen, d'une part, que chacun a, de son vivant, le droit au respect de sa vie privée, ce droit s'imposant à tous, de sorte qu'en assimilant à un historien de profession ayant, avec le recul du temps, le droit de tout dire concernant les faits touchant à la vie privée des personnes concernées et décédées, à condition de les relater avec impartialité et sans intention de nuire, l'auteur d'un récit visant seulement à faire connaître son activité sous l'Occupation, qui relate, sans son accord, des faits touchant à la vie privée d'une personne vivante, l'arrêt viole les articles 9 et 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que dénature les écrits qui lui sont soumis la cour d'appel qui crédite des droits, de l'impartialité et de la bonne foi de l'historien, sur son seul avertissement aux lecteurs qu'il a entendu cerner " la vérité historique dans ses moindres détails ", l'auteur d'un récit relatant son activité sous l'Occupation qu'il a déclaré selon le premier juge, avoir écrit " pour répondre aux calomnies de ses détracteurs " et qui a mis en cause sans nécessité la vie privée d'une personne vivante en se bornant à reproduire des extraits de débats judiciaires ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a constaté que les faits touchant à la vie privée de Mme X... avaient été livrés, en leur temps, à la connaissance de public par des comptes rendus de débats judiciaires parus dans la presse locale ; qu'ainsi ils avaient été licitement révélés et, partant, échappaient à sa vie privée, Mme X... ne pouvant se prévaloir d'un droit à l'oubli pour empêcher qu'il en soit, à nouveau, fait état ; que dès lors et abstraction faite des autres motifs critiqués par le moyen, qui, bien qu'erronés, sont surabondants, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
Attendu, ensuite, que le grief de dénaturation est irrecevable en raison de son imprécision ; d'où il suit que le moyen non fondé en sa première branche est irrecevable en sa seconde ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu qu'ayant constaté que Mme X... a bénéficié dès l'année 1947 d'une mesure de grâce et que sa condamnation a été effacée par la réhabilitation intervenue par application de l'article 26 de la loi du 5 janvier 1951, la cour d'appel a néanmoins estimé que M. Kern n'avait pas manqué aux devoirs de prudence et d'objectivité qu'il lui incombait de respecter ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 décembre 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble