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07/11/1989 | FRANCE | N°86-90811

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 novembre 1989, 86-90811


IRRECEVABILITE et REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- la société des éditions Y... Le Canard Enchaîné,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 15 janvier 1986 qui, dans une procédure suivie contre le premier pour diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique, a condamné celui-ci à des réparations civiles au profit de Z... ;
LA COUR,
Sur la recevabilité du pourvoi en tant qu'il est formé par la société des éditions Y... Le Canard Enchaîné ;
Attendu que cette demanderesse n'est pas partie au procès

et qu'aucune condamnation n'a été prononcée à son égard ; que dès lors elle est sans q...

IRRECEVABILITE et REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- la société des éditions Y... Le Canard Enchaîné,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 15 janvier 1986 qui, dans une procédure suivie contre le premier pour diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique, a condamné celui-ci à des réparations civiles au profit de Z... ;
LA COUR,
Sur la recevabilité du pourvoi en tant qu'il est formé par la société des éditions Y... Le Canard Enchaîné ;
Attendu que cette demanderesse n'est pas partie au procès et qu'aucune condamnation n'a été prononcée à son égard ; que dès lors elle est sans qualité pour former un pourvoi en cassation ;
Sur le pourvoi de X... ;
Vu le mémoire en demande et le mémoire personnel régulier en défense, produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré constitué le délit de diffamation publique à l'encontre d'un agent de l'autorité publique reproché à X... ;
" aux motifs que l'imputation vraie ou fausse, du fait précis et au surplus remontant à 27 ans d'avoir personnellement pratiqué la torture, a porté en 1984, étant donné l'opprobre dont la conscience commune très hostile à cette pratique, frappe l'auteur de tels agissements, une atteinte manifeste et effective tant à l'honneur qu'à la considération de Z... ; que pour ce seul motif déjà, cette imputation est en soi diffamatoire ; que contrairement aux conclusions du défendeur et à l'opinion des premiers juges, Z... est recevable à invoquer une telle atteinte, puisque, selon les pièces produites aux débats, il s'est, depuis 1957, borné à approuver l'utilisation passée de la torture à Alger, considérée à l'époque par certains comme nécessaire à la lutte contre le FLN et à la défense des innocents, mais n'a jamais revendiqué le fait d'avoir alors personnellement pratiqué la torture, ce qui est bien différent, s'agissant, dans le premier cas, d'une opinion ancienne, contestable sans doute mais libre, et dans le second, du passage de la simple opinion aux actes concrets et à des actes horribles tombant à l'époque sous le coup de la loi pénale ;
" alors qu'il ne saurait y avoir d'atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne dans le fait de lui imputer des agissements que non seulement elle a approuvés mais que surtout elle a publiquement revendiqué avoir commis, une telle revendication excluant nécessairement que son auteur puisse se prévaloir d'un discrédit effectif imputable à un tiers apporté aux intérêts juridiquement protégés par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en l'espèce, où il ressortait des pièces produites par X... à l'appui de ses conclusions que Z... avait, dans un interview donné au journal Le Monde le 27 mai 1957 revendiqué publiquement avoir personnellement fait usage de la torture en Algérie et avait par la suite constamment légitimé cette pratique, la Cour qui a, en dénaturant les pièces versées aux débats, affirmé à tort que Z... n'avait jamais revendiqué le fait d'avoir personnellement pratiqué la torture, a entaché sa décision d'un manque de base légale et n'a pas de ce fait caractérisé l'existence d'une atteinte à l'honneur et à la considération du plaignant commise par X..., directeur de publication du Canard Enchaîné " ;
Attendu que, dans les conclusions déposées le 20 novembre 1985 devant la cour d'appel, X..., pour demander la confirmation du jugement qui, en le relaxant de la poursuite exercée pour diffamation publique envers un agent dépositaire de l'autorité publique, avait débouté Z... de sa demande en réparation civile, a fait valoir que les premiers juges avaient " eu raison d'affirmer que M. Z... avait toujours reconnu la réalité de ces pratiques (les tortures) et admis leur nécessité si ce n'est vanté leur efficacité "; qu'il a allégué ensuite qu'il convenait de se référer à un article du journal Le Monde ainsi identifié " 27 mai 1957 : deux députés parachutistes Z... et A... vantent l'efficacité de la torture et se flattent de l'avoir pratiquée en Algérie. Le Monde 30 mai 1957, situation exceptionnelle " ; que cependant l'article cité n'est pas annexé auxdites conclusions ;
Qu'en l'état de cette seule allégation du prévenu résultant du titre prétendu d'un article de presse dont le texte n'a pas été régulièrement versé au débat, la cour d'appel n'avait pas à s'en expliquer et a pu, par les motifs rapportés au moyen, considérer que la partie civile n'avait pas revendiqué le fait d'avoir personnellement pratiqué la torture et que l'imputation qui lui était faite d'une telle pratique portait atteinte à son honneur et à sa considération ;
Qu'en effet pour déterminer si l'allégation ou l'imputation d'un fait porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, les juges n'ont pas à rechercher quelles peuvent être les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci concernant la notion de l'honneur et celle de la considération ; qu'ils n'ont pas non plus à tenir compte, à cet égard, de l'opinion que le public a de cette personne ; que les lois qui prohibent et punissent la diffamation protègent tous les individus, sans prévoir aucun cas d'exclusion fondé sur de tels éléments ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré X... coupable de diffamation publique à l'égard d'un agent de l'autorité publique ;
" aux motifs que le prévenu qui réclame le bénéfice de la bonne foi ne peut l'obtenir, en sa qualité de directeur de publication ayant l'obligation de vérifier et de surveiller tout ce qui est publié par le journal qu'il dirige, qu'en apportant la preuve de la réunion de tous les faits justificatifs nécessaires à l'existence de cette bonne foi, telles que par exemple l'absence d'animosité et la vérification sérieuse des sources de la part de l'auteur des articles ; qu'en fait, alors même qu'il s'agissait d'une polémique politique menée dans un journal satirique peu après le succès du candidat Z... aux élections européennes, X... qui a publié et réitéré des imputations graves à l'encontre de Z... dans trois numéros consécutifs de son hebdomadaire, et s'est contenté en la circonstance de se référer, au titre de ses sources, à un ouvrage publié en pleine guerre d'Algérie par un membre du FLN et à un rapport de police non authentifié, a manqué aux obligations de mesure et d'objectivité qui s'imposent à tout journaliste même satirique ;
" alors que, d'une part, la Cour qui, après avoir faussement affirmé en dénaturant les pièces versées aux débats que Z... n'avait jamais personnellement revendiqué avoir pratiqué la torture, s'est totalement abstenu d'examiner les témoignages figurant au dossier et émanant tant de victimes de Z... que d'historiens reconnaissant le rôle joué par ce dernier lors des interrogatoires de suspects et donc de rechercher si l'ensemble de ces documents n'établissait pas à tout le moins l'absence de mensonge des articles incriminés, n'a pas dès lors légalement caractérisé le défaut de vérification sérieuse ainsi que le manque à l'objectivité dont elle a fait grief à X... pour rejeter sa bonne foi ;
" et alors que, d'autre part, ces imputations dépourvues de tout caractère mensonger concernant les actes et opinions d'un homme politique candidat à de nombreuses élections nationales relatifs à l'usage de la torture par l'armée en cas de circonstances exceptionnelles constituaient bien une opinion relative au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat dont la critique ne pouvait être subordonnée, pour que puisse être retenu le fait justificatif de la bonne foi propre à la diffamation, à la prudence dans l'expression d'autant qu'en l'espèce, les articles en cause étaient publiés par un journal dont le caractère satirique est notoire " ;
Attendu que la cour d'appel par les motifs reproduits au moyen a suffisamment justifié son refus d'accorder au prévenu le bénéfice de la bonne foi ;
Qu'en effet les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec l'intention de nuire et que cette présomption ne peut disparaître qu'en présence de faits justificatifs de nature à faire admettre la bonne foi ;
Que, d'une part, lorsque l'imputation concerne, comme en l'espèce, des faits remontant à plus de 10 ans et amnistiés, la preuve de leur vérité ne peut, aux termes de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, être démontrée ; qu'il s'en déduit que le prévenu ne saurait, dans une telle hypothèse, faire la preuve de sa bonne foi en établissant qu'il n'a pas menti ;
Que, d'autre part, l'imputation visant un homme politique qui aurait, en tant qu'officier de parachutistes, pratiqué personnellement la torture ne peut constituer une opinion relative au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat ;
Qu'enfin le titre de l'un des articles incriminés, " un émule de Barbie va-t-il entrer à l'Assemblée européenne ", que la cour d'appel qualifie à bon droit d'injurieux mais absorbé par le caractère diffamatoire de l'ensemble exclut toute bonne foi ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi de la société des Editions Y... le Canard Enchaîné ;
REJETTE le pourvoi de X...


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 86-90811
Date de la décision : 07/11/1989
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité et rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Diffamation - Atteinte à l'honneur ou à la considération - Appréciation - Limites.

1° Pour déterminer si l'allégation ou l'imputation d'un fait porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, les juges n'ont pas à rechercher quelles peuvent être les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci concernant la notion de l'honneur et celle de la considération. Ils n'ont pas, non plus, à tenir compte, à cet égard de l'opinion que le public a de cette personne. Les lois qui prohibent et punissent la diffamation protègent tous les individus sans prévoir aucun cas d'exclusion fondé sur de tels éléments (1).

2° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Exclusion - Bonne foi - Possibilité de preuve.

2° L'interdiction de rapporter la preuve de certains faits diffamatoires telle qu'énoncée par l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 est d'ordre public. Seule subsiste la présomption de mauvaise foi qui frappe le prévenu. C'est à celui-ci qu'incombe en conséquence la charge d'établir par tous moyens l'existence de faits justificatifs, autres que la vérité des faits imputés, susceptibles de prouver sa bonne foi. Il s'ensuit plus particulièrement que le prévenu ne saurait établir qu'il n'a pas menti (2).

3° PRESSE - Diffamation - Attaques personnelles contre un homme politique - Opinion relative au rôle et au fonctionnement de certaines institutions fondamentales de l'Etat (non).

3° Des attaques personnelles dirigées contre un homme politique et portant sur des faits qu'il aurait commis antérieurement en sa qualité d'officier ne sauraient constituer une opinion relative au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat (3).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 29, art. 31
Loi du 29 juillet 1881 art. 35

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 15 janvier 1986

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1975-07-02 , Bulletin criminel 1975, n° 174, p. 477 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1986-01-28 , Bulletin criminel 1986, n° 36, p. 84 (cassation partielle). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1985-11-19 , Bulletin criminel 1985, n° 363, p. 935 (cassation), et les arrêts cités. CONFER : (3°). (3) Cf. A comparer : Chambre criminelle, 1978-03-23 , Bulletin criminel 1978, n° 115, p. 289 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 nov. 1989, pourvoi n°86-90811, Bull. crim. criminel 1989 N° 403 p. 969
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1989 N° 403 p. 969

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Berthiau, conseiller doyen faisant fonction
Avocat général : Avocat général :M. Robert
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Zambeaux
Avocat(s) : Avocat :la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1989:86.90811
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