LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le neuf août mil neuf cent quatre vingt neuf, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BREGEON, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER et de la société civile professionnelle LE BRET et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LECOCQ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
-1°) X... Jean-Paul, prévenu,
-2°) Y... Christian,
Z... épouse Y... Christian,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, chambre correctionnelle, en date du 16 mars 1988, qui, pour présentation de bilans inexacts et escroquerie, a condamné X... à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I.- Sur le pourvoi de Jean-Paul X... :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 425-3° de la loi du 24 juillet 1966, 405 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable des délits de présentation de bilan inexact et d'escroquerie et qu'il l'a en conséquence condamné à une peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et au paiement de 10 000 francs d'amende ;
" aux motifs que les inexactitudes des bilans de 1982 et du 1er trimestre 1983 sont établies (arrêt attaqué p. 4) ; que X... ne pouvait ignorer la situation difficile de l'entreprise ; qu'il ne saurait prétendre que seule la trésorerie était obérée ; que la Banque de France l'avait interdit de chéquier en sa qualité de gérant de la société Auto-Hall ; que la société Volvo n'acceptait plus de lui consentir du crédit ; qu'ainsi les situations bénéficiaires révélées par les exercices comptables ne pouvaient qu'éveiller l'attention du prévenu et amener les plus grandes réserves sur les résultats qui apparaissaient (arrêt attaqué p. 5, alinéa 4 à 8) ; que X... ne donne aucune explication satisfaisante sur la destruction du premier protocole d'accord qui comportait une clause de garantie de passif et sur l'omission de cette clause dans l'acte qui a suivi ; que s'il est vrai que X... a justifié avant le dépôt de la plainte avoir écrit pour confirmer cet engagement, il y a lieu de noter qu'à cette date les époux Y... avaient manifesté leur mécontentement (arrêt attaqué p. 6, alinéa 10, 11 ; p. 6, alinéa 1) ; qu'en produisant des bilans dont le caractère inexact ne pouvait lui échapper et en procédant ainsi qu'il a été mentionné pour la garantie de passif, X... s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses qui avaient pour objet de déterminer M. et Mme Y... à acquérir des parts sociales (arrêt attaqué p. 6, alinéa 3) ;
" 1°)- alors que la manoeuvre frauduleuse constitutive du délit d'escroquerie suppose un acte positif ; que la simple abstention serait-elle même dolosive ne caractérise pas la manoeuvre frauduleuse ; que l'arrêt attaqué a, en l'espèce, reconnu que X... n'avait pas donné d'instruction pour établir des bilans inexacts ; qu'en déclarant néanmoins l'infraction établie aux motifs pris de ce que, connaissant la situation difficile de la société Auto-Hall, il aurait dû exprimer les plus grandes réserves sur les résultats bénéficiaires apparaissant dans les bilans, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°)- alors que le délit de présentation de bilan inexact suppose de la part de son auteur la connaissance de l'inexactitude des comptes ; que l'arrêt attaqué se borne à relever que X... ne pouvait pas ignorer " la situation difficile " de la société Auto-Hall sans rechercher s'il savait que les comptes, qui avaient été établis sans aucune instruction de sa part, étaient inexacts ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Jean-Paul X... a constitué en avril 1982 une société commerciale pour exploiter un garage qu'il a cédé dès 1983 en raison des difficultés financières de l'entreprise ;
Attendu que pour retenir la culpabilité de ce prévenu du chef de présentation de bilans inexacts, l'arrêt relève qu'au moment de la transformation de la société à responsabilité limitée en société anonyme, il a présenté en assemblées générales le bilan comptable de l'exercice 1982 ainsi qu'une situation arrêtée au 31 mars 1983 faisant apparaître à tort des bénéfices ; que pour établir la connaissance par Jean-Paul X... des inexactitudes relevées dans les comptes, la cour d'appel énonce que ce prévenu a admis au cours des débats qu'il connaissait la situation difficile de l'entreprise, qu'il avait été interdit de chéquier par la Banque de France en sa qualité de gérant de la société en cause et que l'un de ses fournisseurs n'acceptait plus de lui consentir de crédit ;
Attendu que pour condamner en outre le prévenu du chef d'escroquerie, les juges exposent que pour parvenir à la vente de ses parts sociales Jean-Paul X... a produit sciemment auprès de ses acquéreurs les bilans inexacts faussement bénéficiaires et signé un engagement de garantie du passif éventuel qui n'a pas été repris dans le compromis de vente ayant suivi ; qu'ils en déduisent que ces manoeuvres ont eu pour but de déterminer les époux Y..., co-contratants, à payer les parts sociales un prix supérieur à leur valeur réelle ;
Qu'en cet état la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen lequel, dès lors ne peut qu'être écarté ;
II.- Sur le pourvoi des époux Y... :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que, statuant sur l'action civile, l'arrêt attaqué a limité à la somme de 30 000 francs le montant des dommages-intérêts alloués à M. et Mme Y..., parties civiles, qui avaient sollicité à ce titre une somme de 1 295 100 francs ;
" aux motifs qu'à raison des manoeuvres dont ils ont fait l'objet, M. et Mme Y... sollicitent le paiement d'une somme de 1 295 100 francs à titre de dommages-intérêts ; qu'ils affirment avoir été contraints d'effectuer des investissements et d'engager des frais importants ; mais considérant que les parties civiles ne sauraient sérieusement soutenir qu'une cession de parts sociales pour une somme de 550 000 francs entraînerait pour elles, à raison des manoeuvres dont (elles) ont été l'objet, un préjudice dont le montant excèderait de plus du double le prix d'acquisition ; que le juge répressif ne doit prendre en considération que le préjudice subi qui résulte directement et nécessairement de l'infraction commise ; qu'en l'espèce, d'une part, le passif est garanti par X... ; que d'autre part, il n'est pas démontré que les investissements qui auraient été réalisés découlent directement de l'escroquerie dont le prévenu s'est rendu coupable ; que le préjudice subi consiste essentiellement en l'acquisition de parts sociales d'une société dont la situation n'était pas aussi prospère que les acquéreurs étaient en droit de le croire ; que la Cour a les éléments suffisants d'appréciation pour évaluer le préjudice subi à la somme de 30 000 francs ;
" alors d'une part, qu'il n'est pas permis au juge de statuer par un motif d'ordre général et abstrait ; qu'ainsi la Cour n'a pu légalement déclarer que le montant du préjudice subi par les parties civiles du fait de l'acquisition de parts sociales dont le prix a été fixé à la suite de manoeuvres frauduleuses du vendeur, ne pouvait excéder de plus du double le montant du prix de cession ;
" alors d'autre part, que la Cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations d'où il résultait que par suite des manoeuvres frauduleuses du vendeur les époux Y... avaient acheté les actions d'une société déficitaire et non d'une société moins prospère qu'ils l'avaient cru, ce qui impliquait que leur préjudice ne consistait pas seulement dans la perte d'une chance réparable par l'allocation d'une indemnité correspondant à une faible diminution du prix, mais qu'il s'analysait en une perte constituée dont les conséquences financières devaient être chiffrées ;
" alors en outre, qu'en ne recherchant pas si les investissements effectués et les frais engagés par les époux Y... n'étaient pas la conséquence nécessaire du caractère déficitaire de l'entreprise qui leur avait été frauduleusement caché-et non d'une moindre prospérité-la Cour a privé son arrêt de base légale au regard du lien de causalité entre l'infraction de X... et ce chef de préjudice invoqué par les époux Y... ;
" alors enfin, qu'en s'abstenant de répondre au moyen péremptoire articulé par les conclusions des époux Y... qui avaient fait valoir que leur préjudice était également constitué de la différence entre le bénéfice annoncé et la perte subie, la Cour a entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions " ;
Attendu que les juges de répression apprécient souverainement, dans les limites des conclusions de la partie civile, l'indemnité allouée à celle-ci sans être tenus de spécifier sur quelle base ils ont évalué le montant de cette indemnité ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.