LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-cinq juillet mil neuf cent quatre vingt neuf, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SOUPPE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et LIARD et de Me VUITTON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Charles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 27 octobre 1988, qui l'a condamné pour escroquerie à 40 jours amende de 200 francs et a prononcé sur les réparations civiles ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré établi le délit d'escroquerie reproché à X... ;
" aux motifs que Charles X... introduisait ou faisait introduire les mêmes forfaits plusieurs fois par jour dans la bande électronique de compostage sans que ces utilisations correspondent à des passages réels de skieurs ;
" alors qu'un mensonge étant insusceptible à lui seul de caractériser les manoeuvres frauduleuses visées par l'article 405 du Code pénal si ne s'y adjoint aucun fait extérieur ou acte matériel destiné à lui donner force et crédit, la cour d'appel qui a ainsi considéré que le simple fait de faire enregistrer par le compteur prévu à cet effet et utilisé sans aucun trucage des passages fictifs de skieurs pour obtenir un paiement indu par l'exploitant d'un téléski était constitutif d'escroquerie a entaché sa décision d'un manque de base légale patent dans la mesure où de tels agissements à les supposer établis ne caractérisaient qu'un mensonge écrit " ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 405 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable d'escroquerie ou de tentative d'escroquerie ;
" aux motifs que la borne de compostage enregistrait un nombre de passages imaginaires dont le décompte permettait par la suite à X... d'exiger un montant de recettes ne correspondant pas à l'activité réelle de son téléski ; que ces faits sont établis d'une part par divers témoignages d'autre part par des éléments matériels (forfaits appartenant à X... ou à ses proches particulièrement usés) qu'il est parfaitement établi que Charles X... s'est appuyé sur les données fournies par sa borne électronique pour obtenir la quote-part qui lui revenait sur les recettes de l'ensemble des remontées mécaniques ; " que toutefois, il ne saurait être fait droit à la demande de la commune des Gets, partie civile, portant sur la somme de 141 886, 89 francs dans la mesure où ces sommes ne sont justifiées par aucun document ou pièce matériel et ne relèvent que d'un raisonnement intellectuel basé sur l'utilisation théorique maximale du forfait en possession de X... ;
" alors que pour que soit constituée la tentative d'escroquerie et a fortiori l'escroquerie elle-même, il faut que les actes incriminés aient eu pour but de tendre à la remise, ce qui ne se trouve nullement caractérisé en l'état des énonciations de la Cour qui, retient péremptoirement l'existence d'une remise de fonds indument perçue par X..., non seulement sans préciser les éléments de fait lui permettant de tenir pour certaine la présentation par ces derniers de décomptes mensongers à la commune des Gets mais de plus en constatant par ailleurs que cette dernière n'avait produit aucun document ou pièce matériel justifiant de l'ampleur des remises prétendument indues de sorte qu'en l'état de cette contradiction de motifs flagrante, la déclaration de culpabilité ne saurait être légalement justifiée " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que X... ainsi que d'autres exploitants de remontée mécanique parmi lesquels la commune des Gets, avaient recours en commun, pour la perception du prix des prestations fournies, au procédé du forfait, permettant aux usagers d'utiliser pour une période déterminée et sans limitation de fréquence, indifféremment les diverses installations ; que les recettes ainsi recueillies étaient réparties entre les exploitants au prorata de l'utilisation de leurs appareils respectifs selon un système d'émission et de contrôle magnétique comportant l'enregistrement de chaque passage par compostage à une borne électronique placée à l'accès ; que X... a introduit ou fait introduire par un employé, les mêmes tickets de forfait plusieurs fois par jour dans la borne de son télésiège sans que les compostages ainsi enregistrés correspondent à des passages effectifs de clients et s'est appuyé sur les données ainsi fournies pour obtenir une quote-part de recettes indument majorée ;
Attendu que pour déclarer X... coupable d'escroquerie au préjudice de la commune des Gets, la cour d'appel énonce que les manoeuvres frauduleuses sont constituées par les introductions répétées des mêmes tickets dans la borne de compostage ; que l'intention coupable du prévenu ressort de ces manoeuvres et de l'utilisation postérieure des résultats ainsi fournis ; que le crédit imaginaire est constitué par la différence existant entre les sommes dues en fonction des passages réels et les sommes effectivement perçues par le prévenu en fonction des résultats faussés grâce aux manoeuvres frauduleuses ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, qui établissent à la charge de X... tous les éléments constitutifs du délit d'escroquerie et notamment les manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 405 du Code pénal, la cour d'appel a, sans contradiction, justifié sa décision ; qu'il n'importe que les juges aient écarté comme non probants les éléments d'évaluation fournis par la partie civile, en ce qui concerne son préjudice, dès lors que loin d'en dénier le principe, ils en ont, par une appréciation souveraine, fixé le montant dans la limite des conclusions des parties ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 et 1153-1 du Code civil, 592 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué alloue à la partie civile une indemnité de 50 000 francs avec les intérêts de droit à compter du 3 septembre 1986, date de la citation directe du prévenu devant le tribunal correctionnel, sans avancer de motif sur ce point ;
" alors que les intérêts d'une indemnité allouée en matière délictuelle ou quasi délictuelle ne courent qu'à compter de la date de la décision qui en fixe le montant, soit en l'espèce l'arrêt attaqué qui est infirmatif sur ce point ; et que s'il en est autrement décidé ce ne peut être que par une décision spécialement motivée " ;
Attendu que statuant sur la demande de réparation de la commune des Gets, partie civile, la cour d'appel énonce que toutes causes confondues elle estime que le préjudice de la victime est de 50 000 francs, cette somme portant intérêt depuis la date de la citation devant le tribunal ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs d'où il résulte que les juges ont entendu donner aux intérêts alloués un caractère compensatoire, l'arrêt attaqué n'a nullement méconnu les textes visés au moyen, lequel dès lors ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.