CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Sarb Raj Singh,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, chambre correctionnelle, en date du 27 janvier 1988 qui, sur renvoi après cassation, l'a condamné pour trafic de stupéfiants et infraction douanière à 7 années d'emprisonnement et 50 000 francs d'amende, 5 ans d'interdiction de séjour, 10 ans d'interdiction des droits civiques, s'est prononcé sur l'action douanière, et a ordonné son maintien en détention.
LA COUR,
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par l'avocat aux Conseils et pris de la violation des articles L. 627 et suivants du Code de la santé publique, 6, paragraphe 1 et 3 d, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 109, 110, 439, 513, 514, alinéa 2, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à ordonner l'audition des témoins cités par la défense, a déclaré X... coupable de trafic de stupéfiants et l'a condamné en répression à une peine de 7 ans d'emprisonnement, à une amende de 50 000 francs outre 5 ans d'interdiction de séjour et 10 ans d'interdiction de droits civiques ;
" aux motifs que, par premières conclusions, X... demande que soient entendus une demoiselle Catherine Y... ainsi que le nommé Joris Z..., actuellement détenu à la maison d'arrêt de Compiègne, dont l'audition est selon lui nécessaire à la manifestation de la vérité ; il se prévaut des dispositions de l'article 513 du Code de procédure pénale ainsi que de celles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, reconnaissant à tout accusé le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge ; outre que ces dernières dispositions ne paraissent pas pouvoir être revendiquées à l'égard de Joris Z..., coprévenu du requérant devant les premiers juges et dont la Cour ignore la qualité qui est aujourd'hui la sienne, le droit ainsi conféré à l'accusé ne peut être exercé qu'en conformité des règles de procédure propres à chacun des pays signataires de la Convention et il y est satisfait dans le cadre des règles fixées par le Code de procédure pénale lorsque, comme en l'espèce, l'accusé, à un stade quelconque de la procédure diligentée à son encontre, s'est vu notifier toutes les charges pesant sur lui à raison des déclarations ou dépositions émanant de coïnculpés, ou témoins, n'a pu se méprendre sur l'identité ou la qualité de ces derniers, a eu pleine connaissance de ces déclarations ou dépositions et a été mis en situation de pouvoir les combattre ou d'en démontrer la fausseté ; pour le surplus, il n'apparaît pas à la Cour que l'audition en cause d'appel de Catherine Y... et de Joris Z..., entendus ou interrogés et à l'enquête préliminaire et à l'instruction, soit utile à la manifestation de la vérité ; que les premiers juges ont très exactement relaté et analysé les faits de la cause en sorte que la Cour se réfère expressément à leur exposé ; qu'ils ont, par des motifs que la Cour adopte, fait une exacte appréciation des preuves résultant de la procédure et des débats à la charge de X... et, les faits ayant été régulièrement qualifiés dans la prévention, à bon droit déclaré les prévenus coupables des infractions qui leur étaient respectivement reprochées (arrêt pages 3 et 4) ;
" 1°) alors que, d'une part, le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde ne s'épuise pas dans la notification des déclarations et de l'identité du témoin à la personne poursuivie ; que ce droit comporte celui de questionner durant la procédure d'instruction ou à l'audience les témoins à charge ; qu'un tel droit est substantiel quand les charges pesant sur la personne poursuivie sont exclusivement testimoniales et qu'une confrontation est demandée par la défense ; qu'en refusant néanmoins d'ordonner l'audition du témoin Y... dont les déclarations avaient varié au cours de la procédure, la Cour, en condamnant X..., a privé ce dernier d'un procès équitable ;
" 2°) alors que, d'autre part, le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge garanti par l'article 6 de la Convention européenne comprend, pour une personne reconnue sur simple photographie par un témoin de reconnaissance, le droit d'être effectivement présentée audit témoin ; qu'en refusant de faire droit aux conclusions de la défense sur l'audition de Joris Z... qui n'avait jamais été mis en présence effective de X..., la Cour a derechef privé ce dernier d'un procès équitable ;
" 3°) alors que, de troisième part, en se bornant à affirmer que l'audition de Catherine Y... et de Joris Z... n'était pas utile à la manifestation de la vérité, sans autrement s'expliquer sur l'inutilité de cette audition au regard des éléments retenus à la charge de X..., la Cour a privé sa décision de motifs ;
" 4°) alors que, de quatrième part, manque de base légale la déclaration de culpabilité de X... en tant qu'elle est exclusivement fondée par adoption des motifs des premiers juges sur les déclarations de Z... (jugement page 16, paragraphe 11) et de Catherine Y... (jugement page 17, paragraphes 1 et suivants), témoins avec lesquels le demandeur n'a jamais été confronté et qu'il n'a pu faire interroger à aucun stade de la procédure " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'aux termes de l'article 6, paragraphe 3 d, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " tout accusé a droit notamment à interroger ou faire interroger les témoins à charge " ; qu'il en résulte que, sauf impossibilité, dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d'appel sont tenus, lorsqu'ils en sont légalement requis, d'ordonner l'audition contradictoire des témoins à charge qui n'ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu ;
Attendu que Sarb X..., prévenu de trafic de stupéfiants et infraction douanière, a déposé devant la cour d'appel des conclusions demandant que soient entendus contradictoirement les témoins Joris Z... et Catherine Y... qu'il avait fait citer et sur les dépositions desquels reposait exclusivement, selon ses dires, la déclaration de culpabilité ; qu'il précisait qu'il n'avait pu à aucun moment de la procédure les faire interroger ;
Attendu que, pour rejeter ces conclusions et bien qu'il fonde la culpabilité du prévenu sur les seules déclarations des témoins précités, l'arrêt attaqué se borne à relever que les témoins dont la comparution était réclamée avaient été entendus lors de l'enquête préliminaire et de l'instruction préparatoire et que le prévenu avait été informé des charges découlant de leurs déclarations ;
Mais attendu que si le refus d'entendre un témoin à charge n'enfreint pas, en tant que tel, les dispositions susvisées de la Convention, les juges pouvant tenir compte des difficultés particulières posées par l'audition contradictoire de ce témoin, tel le risque d'intimidations, de pressions ou de représailles, encore faut-il que ce refus ait lieu dans le respect des droits de la défense et que les juges s'expliquent sur l'impossibilité de la confrontation ;
Que tel n'est pas le cas en l'espèce et que la cassation est dès lors encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Douai, en date du 27 janvier 1988 ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.