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26/05/1988 | FRANCE | N°86-91989

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 mai 1988, 86-91989


REJET des pourvois formés par :
- X... Bernard,
- la société Sodemecane,
contre un arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre des appels correctionnels, en date du 21 mars 1986 qui, pour infractions au Code du travail, a condamné X... à 20 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et qui a dit la société Sodemecane civilement responsable.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, communs aux deux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 124-1, L. 125-3 et L

. 152-2 du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut...

REJET des pourvois formés par :
- X... Bernard,
- la société Sodemecane,
contre un arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre des appels correctionnels, en date du 21 mars 1986 qui, pour infractions au Code du travail, a condamné X... à 20 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et qui a dit la société Sodemecane civilement responsable.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, communs aux deux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 124-1, L. 125-3 et L. 152-2 du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour de Colmar a déclaré X... coupable du délit de prêt lucratif de main-d'oeuvre en violation des règles sur le travail temporaire ;
" aux motifs, propres et adoptés du jugement, qu'il était établi que la société Sodemecane, dont X... était le président-directeur général, avait mis certains de ses salariés à la disposition de trois sociétés allemandes pour une durée déterminée (cf. arrêt p. 7, § 1 et 5, p. 8, § 3, et jugement p. 8, § 4) ; que les salariés, loin d'être placés sous la responsabilité d'un chef d'équipe de la société Sodemecane, étaient directement placés sous l'autorité et la responsabilité des entreprises utilisatrices (cf. arrêt, p. 6, in fine, p. 7, § 4, et jugement p. 8-9) ; que, malgré la fixation théorique d'un prix d'ensemble, la rémunération effective était fonction des heures de travail réellement effectuées, du nombre de salariés et de leur qualification (cf. arrêt p. 7, in fine) ; qu'ainsi, loin de constituer des contrats de sous-traitance, les accords passés entre la société Sodemecane et les sociétés allemandes tendaient à un prêt de main-d'oeuvre à titre lucratif prohibé ;
" 1°) alors que le prêt de main-d'oeuvre à titre lucratif que la loi réserve aux entreprises de travail temporaire est réalisé par la mise à la disposition de l'entreprise utilisatrice, pour une durée déterminée, de salariés dont la rémunération est calculée en fonction de cette durée, du nombre et de la qualification des travailleurs détachés, lesquels sont placés sous la seule autorité et sous la responsabilité de l'entreprise utilisatrice ; qu'il résultait de leurs contrats de travail à durée indéterminée, auxquels les premiers juges se sont expressément référés, que les salariés détachés par la société Sodemecane auprès d'entreprises étrangères étaient rémunérés suivant un salaire horaire de 11, 10 francs pour une base de 40 heures ; qu'en jugeant dès lors constituée l'infraction de prêt de main-d'oeuvre prohibée, sans qu'il fût établi que la rémunération des salariés détachés était calculée en fonction de la durée de leur mise à disposition, la cour de Colmar n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que l'activité de travail temporaire, que la loi réserve aux entreprises qui en font leur activité exclusive, se définit comme l'embauche et la rémunération de salariés, en fonction d'une qualification convenue, à l'effet de les mettre à la disposition provisoire d'utilisateurs ; qu'il résultait de leurs contrats de travail, conclus pour une durée indéterminée, que les salariés, après leur mise à la disposition de clients de la société Sodemecane, en France ou à l'étranger, avaient l'obligation de reprendre leur place au sein de cette société ; qu'ils n'avaient pas été embauchés à l'effet d'être mis à la disposition d'utilisateurs, et qu'ils n'étaient pas rémunérés à cet effet ; qu'en s'abstenant dès lors d'expliquer, en l'état de ces contrats de travail auxquels les premiers juges s'étaient expressément référés, en quoi la société Sodemecane exerçait de la sorte une activité de travail temporaire, au sens du texte précité, la cour de Colmar n'a pas là encore légalement justifié sa décision " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 152-3 du Code du travail et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour de Colmar a déclaré X... coupable du délit de marchandage ;
" aux motifs, adoptés du jugement, qu'avaient subi un préjudice les salariés qui croyaient et devaient en droit bénéficier de la législation sur le travail temporaire, à bien des égards plus protectrice et plus avantageuse qu'un contrat de travail n'ouvrant pas droit aux primes de précarité alors que sa durée prétendument indéterminée était en fait limitée à la mission chez le client allemand, dont ces salariés ne connaissaient même pas le terme à l'avance ; ce contrat passé en fraude à la loi était de plus utilisé au détriment du salarié puisqu'il lui imposait sous peine de rupture de son fait une " réintégration " à l'usine de Nevers, c'est-à-dire à un poste que le salarié n'avait jamais intégré, et pour lequel il n'avait pas en fait été embauché, étant destiné au prêt de main-d'oeuvre en Allemagne ; du reste, en guise de réintégration à Nevers, certains salariés se sont vu proposer une mission intérimaire à Marignane... pour le compte d'Atesma-Marseille (cf. jugement p. 12, § 1) ;
" alors que le marchandage suppose que le prêt de main-d'oeuvre, à titre lucratif ait pour effet de causer un préjudice au salarié ou d'éluder l'application des dispositions de la loi, du règlement ou de la convention collective ; que l'existence de contrats à durée indéterminée conclus entre les salariés détachés et la société Sodemecane, avec les garanties d'emploi et les avantages légaux qui sont inhérents à de tels contrats, excluait que ces salariés aient subi un préjudice par suite de leur mise à la disposition d'entreprises utilisatrices ; que, ces garanties et ces avantages étant plus étendus que ceux qui s'attachent à l'accomplissement d'un travail temporaire, la mise à la disposition des salariés ne pouvait davantage avoir eu pour effet d'éluder les dispositions de la loi relative au travail temporaire ; qu'en décidant le contraire, la cour de Colmar a dès lors violé chacun des textes visés au moyen " ;
Sur le troisième moyen additionnel de cassation, pris de la violation des articles L. 125-3 et L. 152-2 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que la cour de Colmar a déclaré X... coupable du délit de prêt lucratif de main-d'oeuvre en violation des règles sur le travail temporaire ;
" aux motifs, propres et adoptés du jugement, que les contrats passés entre la société Sodemecane et ses clients allemands, la société Siemens et la société Excentra, étaient des contrats de prêt de main-d'oeuvre et non des contrats de sous-entreprise (cf. arrêt, p. 7, et jugement, p. 8 à 10) ;
" alors que, dans des conclusions demeurées sans réponse, X... avait fait valoir que, aux termes des conventions liant la société Sodemecane et les sociétés allemandes, la première était chargée de la fabrication d'un certain nombre de pièces détachées pour appareils hydrauliques, que la société Sodemecane s'engageait à garantir la réalisation des travaux selon les règles de l'art, la société cliente s'engageant à les réceptionner, que ces travaux faisaient l'objet d'un paiement forfaitaire, fixé à 90 000 DM, que la société Sodemecane était responsable envers ses cocontractants des dommages causés par ses salariés, qu'elle s'engageait à souscrire une assurance ; qu'en omettant de rechercher, en fonction de ces éléments figurant dans les conclusions dont elle était saisie, si les contrats passés par la société Sodemecane ne constituaient pas des contrats de sous-entreprise et non pas des prêts de main-d'oeuvre, la cour d'appel, qui était tenue de déterminer la nature juridique exacte du lien unissant la société Sodemecane à ses cocontractants, a violé les textes visés au moyen " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs ainsi que du procès-verbal de l'inspection du Travail, base de la poursuite, que X..., président du conseil d'administration de la société Sodemecane, a été cité devant la juridiction répressive des chefs d'infractions à la législation sur le travail temporaire et de marchandage pour avoir, de 1980 à 1982 à Strasbourg, sous le couvert de prétendus contrats de sous-traitance, et alors que la société qu'il dirigeait n'avait pas le statut d'une entreprise de travail temporaire, assuré irrégulièrement, auprès de trois sociétés allemandes, des opérations à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre ayant eu pour effet de causer un préjudice à ses salariés ;
Attendu que pour déclarer le prévenu coupable des infractions prévues par les articles L. 124-1, L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, dans leur rédaction antérieure aux lois du 13 novembre 1982 et 25 juillet 1985, et dire la société Sodemecane civilement responsable, les juges du fond constatent tout d'abord que Sodemecane n'employait dans son agence de Strasbourg aucun personnel, ni technique, ni administratif, ni d'encadrement et que la gestion courante des affaires était assumée par les employés de l'entreprise de travail temporaire Atesma, dont X... reconnaissait avoir été l'administrateur à une certaine époque et qui était installée dans le même immeuble que Sodemecane ; qu'ils relèvent ensuite que, si les conventions conclues entre cette dernière société et trois firmes allemandes s'intitulaient " contrats d'entreprise " et définissaient effectivement les obligations réciproques des parties, à savoir, d'une part, la réalisation de diverses fabrications par les salariés de Sodemecane sous la seule responsabilité de cette entreprise, et d'autre part, un paiement forfaitaire de la part des sociétés clientes, il apparaissait en réalité que Sodemecane qui, dans le but d'éluder les exigences de la législation sociale, avait pris à plusieurs reprises le relais d'Atesma, avait mis à la disposition des firmes en cause de la main-d'oeuvre placée sous l'autorité ainsi que sous la responsabilité des entreprises utilisatrices et intégrée au personnel de celles-ci ; qu'après avoir observé, notamment à l'égard des établissements Siemens à Speyer et Excentra à Fellbach, que Sodemecane ne s'était nullement engagée à l'exécution d'une tâche déterminée, puis à l'égard d'Excentra, que, malgré la fixation d'un prix d'ensemble, la rémunération effective était fonction des heures de travail réellement exécutées, du nombre des salariés et de leur qualification, les juges ajoutent que Sodemecane, quelle que fût son industrie dans ses divers ateliers et ses bureaux d'études en France, se livrait à partir de son agence de Strasbourg à une activité de fourniture de main-d'oeuvre, sans avoir la qualité d'entrepreneur de travail temporaire ni respecter les règles concernant cette activité ; que les juges énoncent encore que les contrats de travail liant Sodemecane à son personnel qui, conclus prétendument pour une durée indéterminée, étaient en fait limités au temps, inconnu à l'avance, nécessaire à l'accomplissement de la mission à effectuer en Allemagne, imposaient aux salariés, sous peine d'une rupture leur étant imputable, une réintégration à l'usine de la société à Nevers, alors qu'ils n'avaient pas été embauchés pour travailler à cet endroit, et enfin, que la méconnaissance de la législation spécifique au travail temporaire n'avait pu manquer de porter préjudice auxdits salariés et avait eu pour effet, en tout cas, d'éluder l'application des dispositions de la loi ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs fondés sur son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des preuves contradictoirement débattues, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, et qui a recherché comme elle le devait la véritable nature des conventions litigieuses, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués aux moyens, lesquels, dès lors, doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 86-91989
Date de la décision : 26/05/1988
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main-d'oeuvre à but lucratif - Contrat d'entreprise - Distinction - Analyse des critères par les juges du fond

TRAVAIL - Travail temporaire - Contrat - Prêt de main-d'oeuvre à but lucratif - Qualification du contrat - Pouvoirs des juges du fond

Le prêt de main-d'oeuvre à but lucratif, que, seules, peuvent légalement pratiquer les entreprises de travail temporaire, est réalisé par la mise à la disposition de l'entreprise utilisatrice, pour une durée déterminée, de salariés dont la rémunération est calculée en fonction de cette durée, du nombre et de la qualification des travailleurs détachés, lesquels sont placés sous la seule autorité et sous la responsabilité de l'entreprise utilisatrice. Le contrat d'entreprise, dit aussi de sous-traitance, est une convention par laquelle un employeur offre à son cocontractant un travail ou un service réalisé par son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sous sa responsabilité ; il a pour objet l'exécution d'une tâche objective, définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire. Il appartient aux juges du fond, saisis de poursuites contre un employeur du chef d'opération à but exclusivement lucratif de fourniture de main-d'oeuvre, en violation des dispositions du Code du travail, de rechercher, par l'analyse des éléments de la cause, la véritable nature de la convention intervenue entre les parties. Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer le dirigeant d'une société coupable des infractions prévues par les articles L. 124-1, L. 125-1 et L. 125-3 du Code du travail, énonce, après avoir constaté que la gestion de cette société ne comportant aucun personnel était effectivement assurée par les employés d'une entreprise de travail temporaire occupant les mêmes locaux et au sein de laquelle le chef d'entreprise poursuivi avait antérieurement exercé des fonctions, que ladite société, à partir de son agence située sur le territoire national, a fourni irrégulièrement à des firmes allemandes, sous le couvert de prétendus contrats de sous-traitance utilisés dans le but d'éluder les dispositions de la loi, une main-d'oeuvre placée, en réalité, sous la seule responsabilité des firmes utilisatrices, et qui ajoute que les contrats de travail conclus, apparemment pour une durée indéterminée, ont été en fait limités au temps d'accomplissement des missions à effectuer auprès de ces entreprises, et ont imposé aux salariés, sous peine d'une rupture leur étant imputable, leur réintégration à l'issue de ces missions, dans une usine française de la société, alors qu'ils n'avaient nullement été embauchés pour travailler à cet endroit.


Références :

Code du travail L124-1, L125-1, L125-3

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar (chambre correctionnelle), 21 mars 1986

CONFER : (1°). Chambre criminelle, 1987-06-23 , Bulletin criminel 1987, n° 263, p. 713 (rejet), et les arrêts cités. (1)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 mai. 1988, pourvoi n°86-91989, Bull. crim. criminel 1988 N° 228 p. 593
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1988 N° 228 p. 593

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Berthiau, conseiller doyen faisant fonction
Avocat général : Avocat général :M. Galand
Rapporteur ?: Rapporteur :Mme Guirimand
Avocat(s) : Avocat :M. Parmentier

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1988:86.91989
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