CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre un arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 10 décembre 1986 qui, dans les poursuites engagées contre lui sur citation directe de Y... pour diffamation publique envers un particulier, s'est déclarée compétente pour connaître desdites poursuites et a renvoyé la cause à une audience ultérieure.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur la recevabilité du pourvoi ;
Attendu que l'arrêt attaqué concernant une poursuite délictuelle contre un membre du Gouvernement, en obligeant celui-ci à se défendre sur le fond, pourrait conduire, dès cette phase de la procédure, à une violation des lois constitutionnelles ; que dès lors le rejet d'une exception prise de l'application des dispositions de la Constitution commande une décision immédiate et n'entre pas dans la classe des arrêts que visent les règles posées par les articles 570 et 571 du Code de procédure pénale quant aux pourvois formés contre les décisions ne mettant pas fin à la procédure ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 68, alinéas 1 et 2, de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 592 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a retenu la compétence des tribunaux judiciaires pour juger des faits reprochés par la partie civile à M. X..., commis alors qu'il était ministre de la Culture ;
" aux motifs que la seconde partie du texte qui met en cause nominativement M. Y..., qui fait état des activités répréhensibles du SAC, service de police parallèle dont M. Y... aurait été le " protecteur ", constitue une polémique personnelle portant sur des faits totalement différents de ceux dont le ministre de la Culture venait d'entretenir ses auditeurs ; qu'il n'y a pas entre les deux parties du texte un enchaînement suffisamment net pour que sa totalité soit considérée comme entrant dans l'exercice des fonctions du ministre qui était l'auteur ;
" alors, d'une part, que les fonctions d'un ministre ne sauraient se limiter aux seules questions relevant de son ministère ; qu'un ministre en tant que membre du Gouvernement, participe, selon l'article 20 de la Constitution, à la détermination et à la conduite de la politique de la Nation ; qu'ainsi, M. X... ayant été invité à s'exprimer sur une antenne de radio en sa qualité de ministre et les propos reprochés, relatifs à une polémique soulevée par un adversaire politique de son Gouvernement, intéressant la vie politique du pays, ils ne pouvaient être considérés comme tenus hors l'exercice de ses fonctions ;
" et alors, au surplus, qu'il était du devoir de M. X... en sa qualité de membre du Gouvernement et au nom de la solidarité gouvernementale de riposter aux attaques formulées contre le chef du Gouvernement ; que dès lors, quelle qu'en soit la teneur, ses propos relevaient de l'exercice même de ses fonctions ministérielles " ;
Vu lesdits articles, ensemble l'article 20 de la Constitution ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison des alinéas 1er et 2 de l'article 68 de la Constitution que les membres du Gouvernement, en cas de crimes ou de délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, sont poursuivis et jugés dans les conditions et suivant les formes applicables à la mise en accusation et au jugement du Président de la République en cas de haute trahison ;
Que dès lors, en pareilles circonstances, un ministre ne peut être mis en accusation qu'en vertu d'une décision prise par les deux assemblées législatives et ne peut être jugé que par la Haute Cour de justice ;
Que ces dispositions, qui s'appliquent à toutes les infractions criminelles ou délictuelles qui pourraient être imputées à un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, excluent pour le ministère public et les particuliers la possibilité de mettre en mouvement l'action publique et d'en saisir les juridictions répressives de droit commun ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Y... a fait citer X..., alors ministre de la Culture, devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier, en période électorale à l'égard d'un candidat, à la suite des propos prononcés le 6 mars 1986 par ce dernier lors d'une émission radiodiffusée par la station Europe n° 1 et retenus à raison du passage suivant " M. Y... utilise des méthodes qui ne me surprennent pas de la part d'un homme qui naguère a été le protecteur du SAC, ce service parallèle, vous vous en souvenez, qui fut lié à des crimes de sang et à des scandales financiers. Il n'y avait pas de trimestre sans qu'il y ait en France, sous l'ancien Gouvernement, des scandales financiers. Je dis, en entendant M. Y..., nous ne voulons pas du retour de la République des voyous " ;
Que X... a excipé de l'incompétence des juges au motif que les propos incriminés tenus dans l'exercice de ses fonctions ministérielles, en tant que membre du Gouvernement sur une question intéressant la vie politique du pays, le rendraient justiciable de la Haute Cour de justice par application de l'article 68 de la Constitution dont les dispositions générales et absolues doivent être interprétées en ce sens que chaque ministre participe par ses déclarations à la détermination de la politique générale de la Nation ;
Attendu que pour rejeter cette exception et se déclarer compétente, la cour d'appel relève d'abord que le prévenu a lui-même expliqué qu'il n'avait fait que répondre aux propos tenus la veille à Caen par Y... et mettant en cause Z... au sujet de l'impôt sur les grandes fortunes ; qu'elle énonce ensuite après en avoir cité la teneur que, si dans la première partie de sa réponse X... avait traité une question de politique fiscale relative à l'exonération des oeuvres d'art entrant dans l'exercice des fonctions du ministre de la Culture, la seconde partie de son discours visant nominativement le plaignant, faisant état des activités répréhensibles du SAC dont ce dernier aurait été le " protecteur ", constituait une polémique personnelle sur un sujet différent sans enchaînement suffisamment net avec le précédent pour que le tout soit considéré comme ayant été prononcé par le ministre dans l'exercice de ses fonctions ; que lespropos qualifiés de diffamatoires avaient été proférés hors cet exercice ;
Mais attendu qu'en détachant ainsi d'une déclaration dont elle a relevé les éléments extrinsèques en vertu de son pouvoir souverain de constatation et qu'elle a considérée comme ayant été effectuée par le demandeur dans l'exercice de ses fonctions ministérielles, des imputations qualifiées de diffamatoires qui pour viser un adversaire politique auraient été proférées hors l'exercice desdites fonctions, la cour d'appel a opéré une distinction que la loi constitutionnelle n'autorise pas ;
Attendu que sont soumis à la juridiction de la Haute Cour de justice les délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, y compris le délit de diffamation publique envers particulier, dès lors qu'ils sont commis, fût-ce en période de campagne électorale, au cours de l'intervention d'un ministre s'exprimant en cette qualité et répondant aux critiques visant la politique conduite par le chef du Gouvernement dont il est membre ;
Qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges ont méconnu les textes susvisés, que la cassation est dès lors encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 décembre 1986 ;
Et attendu que les faits de la cause n'étant susceptibles d'aucune poursuite devant les juridictions répressives de droit commun,
DIT n'y avoir lieu à renvoi.