CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X... Isaac,
- la société " Boulogne distribution SA ",
contre un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Versailles, en date du 8 avril 1987, qui a condamné le prévenu du chef d'usage de marque sans autorisation de son titulaire à une amende de 10 000 francs et qui, prononçant sur les intérêts civils, a condamné ladite société à divers dommages-intérêts
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 422-2° du Code pénal, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel déclare le prévenu coupable du chef du délit visé à l'article 422-2° du Code pénal et le condamne à une peine d'amende ;
" aux motifs que " l'article 422 du Code pénal prévoit quatre délits ayant chacun leur spécificité, que notamment, dans son alinéa 2, et contrairement à ce qui est indiqué dans les alinéas 1 et 3, il ne vise pas expressément des faits de contrefaçon, mais seulement, d'une façon générale, l'usage d'une marque sans l'autorisation de son propriétaire, le membre de phrase introduit par l'adverbe " même " se rapportant plus précisément à des hypothèses où l'utilisation de la marque est destinée à servir seulement de référence, voire de comparaison, pour des produits concurrents similaires ; qu'il s'ensuit que, conformément d'ailleurs à une jurisprudence dominante, il convient de dire que le délit prévu par l'article 422, 2e alinéa, sera constitué toutes les fois qu'il y aura usage d'une marque est destinée à servir seulement de référence, voire de comparaison, pour des produits concurrents similaires ; qu'il s'ensuit que, conformément d'ailleurs à une jurisprudence dominante, il convient de dire que le délit prévu par l'article 422, 2e alinéa, sera constitué toutes les fois qu'il y aura usage d'une marque même authentique mais effectuée sans l'autorisation de son propriétaire ; que s'il est admis de façon générale que les détaillants bénéficient de l'autorisation implicite d'utiliser la marque du fabricant, il ne peut en être ainsi en l'espèce, où, en raison de l'existence de circuits de vente sélectifs mis en place par la société Guerlain, ce que n'ignorait pas X... qui est un professionnel, il lui était nécessaire pour commercialiser lesdits produits, d'avoir obtenu l'agrément qu'il n'avait d'ailleurs même pas sollicité ; que ce n'est donc pas par erreur mais bien de mauvaise foi que X... a commercialisé lesdits produits ; que le prévenu s'est en outre rendu coupable de pratiques commerciales condamnables " (v. arrêt attaqué, p. 7 et 8) ;
" alors que, en l'absence d'un droit de suite du titulaire de la marque, le droit sur celle-ci s'épuise par la première mise en circulation du produit ; que de même, l'indisponibilité juridique née du contrat de distribution sélective conclu entre le titulaire de la marque et le premier acquéreur cesse avec cette première mise en circulation ; que, par suite, le sous-acquéreur qui a régulièrement acquis les produits de marques déposées est en droit de les revendre, des produits de marques régulièrement acquis, même sans l'autorisation du titulaire des marques, n'entrent pas dans les prévisions de l'article 422-2° du Code pénal ; qu'en décidant le contraire, sans d'ailleurs avoir recherché si le prévenu avait régulièrement acquis les parfums d'une société BDB Bis, grossiste non soumis par le parfumeur aux règles de la distribution sélective (v. conclusions d'appel du prévenu, p. 2 in fine), la cour d'appel a
violé les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'aux termes de l'article 422-2° du Code pénal seront punis des peines prévues par ce texte ceux qui auront fait usage d'une marque sans autorisation de l'intéressé, même avec l'adjonction de mots tels que " formule, façon, système, imitation, genre " ;
Attendu, d'autre part, que le juge pénal doit caractériser en tous ses éléments constitutifs l'infraction qu'il retient à la charge du prévenu ;
Attendu que pour déclarer Isaac X..., président de la société " Boulogne distribution SA ", coupable du délit prévu et réprimé par l'article 422-2° précité, la cour d'appel, après avoir considéré que ladite infraction est constituée toutes les fois qu'il y a usage d'une marque même authentique mais effectué sans l'autorisation de son propriétaire et après avoir relevé que divers produits de la marque Guerlain ont été détenus et vendus dans le magasin " centre Leclerc " exploité par la société " Boulogne distribution SA ", énonce que s'il est admis que les détaillants bénéficient de l'autorisation implicite d'utiliser la marque du fabricant, il ne peut en être ainsi en l'espèce où, en raison de l'existence de circuits de vente sélectifs mis en place par la société Guerlain, ce que n'ignorait pas le prévenu qui est un professionnel de la distribution, il lui était nécessaire pour commercialiser lesdits produits d'avoir obtenu l'agrément de la société Guerlain, agrément qu'il n'avait pas et qu'il n'avait d'ailleurs même pas sollicité ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, et alors que l'article 422-2° n'a pas pour objet de sanctionner pénalement les acquéreurs ou revendeurs de produits même commercialisés au mépris d'un système de distribution sélective lorsque la marque utilisée n'a pas été contrefaite, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des dispositions légales ci-dessus mentionnées ;
Qu'en conséquence la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle doit être totale tant à l'égard du prévenu qu'à celui de la société civilement responsable alors même que cette dernière n'a produit aucun moyen et ce sans renvoi, plus rien ne restant alors à juger du chef de la poursuite ;
Par ces motifs ;
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles en date du 8 avril 1987 ;
Et attendu qu'il ne reste rien à juger ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.