CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X... Marion,
- Y... Elisabeth,
contre un arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre des appels correctionnels, en date du 17 janvier 1984 qui, pour infraction à l'article 25 de la loi d'amnistie du 4 août 1981 et complicité de ce délit, les a condamnés, le premier à 6 000 francs d'amende et la seconde à 2 000 francs d'amende et qui a statué sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit, commun aux deux demandeurs ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Elisabeth Y...et pris de la violation des articles 59 et 60, 285 et 369 du Code pénal, de l'article 25 de la loi du 4 août 1981, du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, de l'article 593 du Code de procédure pénale, fausse application, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, défaut de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Elisabeth Y..., dite Marie Y..., à la peine de 2 000 francs d'amende pour le délit de complicité de rappel de condamnation pénale effacée par l'amnistie et à payer la somme de 10 000 francs à la partie civile ;
" aux motifs que l'infraction à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 s'analyse comme une atteinte à la vie privée ; qu'aux termes de l'article 369 du Code pénal, en cas de publication les poursuites seront exercées contre les personnes énumérées à l'article 285 dans les conditions fixées par cet article, si le délit a été commis par voie de presse... ;
" qu'il résulte de la rédaction de l'article 285 du Code pénal que le directeur de la publication est responsable comme auteur principal du seul fait de la publication et que lorsque l'auteur n'est pas poursuivi comme auteur principal, il sera poursuivi comme complice " ;
" que la prévenue n'est pas poursuivie pour une infraction aux dispositions de la loi du 29 août 1881, mais " pour une infraction spécifique dont les éléments et la sanction sont précisés à l'article 25 de la loi du 4 août 1981... que le droit pénal est d'interprétation stricte ;
" qu'il résulte du simple fait de la publication que le directeur de la publication sera désigné comme auteur principal de l'infraction et que l'auteur de l'article, Elisabeth Y..., dite " Marie Y... ", est complice " ;
" alors que, d'une part, l'infraction réprimée à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 portant amnistie est une infraction spécifique qui ne peut être assimilée à une atteinte à la vie privée, ni au délit prévu et réprimé par l'article 369 du Code pénal, lequel n'est constitué que si un enregistrement ou un document a été obtenu par l'écoute, l'enregistrement ou la transmission, au moyen d'un appareil quelconque, des paroles ou de l'image d'une personne ; qu'en appliquant à des faits par elle-même qualifiés d'infraction à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 369 du Code pénal pour condamner comme complice du délit la journaliste, auteur de l'article incriminé, sans avoir constaté que les éléments du délit de divulgation de paroles ou d'images obtenues de manière illicite étaient réunis, la cour d'appel a violé tant l'article 25 de la loi du 4 août 1981 que les articles 369 et 285 du Code pénal et n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors que, d'autre part, Elisabeth Y... avait expressément fait valoir dans ses conclusions d'appel visées par le président et restées sans réponse, d'une part que, l'amnistie préserve les droits des tiers et que la condamnation de E... a eu un retentissement national et un rapport très étroit avec sa vie d'homme public ; d'autre part " que l'article 25 de la loi du 4 août 1981 ne saurait faire obstacle à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui garantit " la libre communication des pensées et des opinions " et en fait un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc... imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi " (conclusions d'appel page 1) ; de sorte qu'en condamnant Elisabeth Y... sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour a violé les dispositions de l'article 593 du Code de procédure pénale et n'a pas justifié la peine prononcée " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que l'hebdomadaire dit " Journal du Dimanche " a publié le 12 septembre 1982 un article sous la signature d'Elisabeth Y..., dite Marie Y..., énonçant que E..., ancien maire de Saint-Malo, " évincé à la suite d'une affaire de gros sous ", avait été " amnistié en mai 1981 après avoir été condamné par la justice " ; qu'à raison de ce rappel d'une condamnation amnistiée, Elisabeth Y... a été poursuivie devant le tribunal correctionnel sous la prévention de complicité d'infraction à l'article 25 de la loi d'amnistie du 4 août 1981, le directeur de la publication étant lui-même poursuivi comme auteur principal de ce délit ; que, pour retenir la prévenue dans les liens de la poursuite, les juges précisent que celle-ci a " écrit et fourni " l'article qui rappelait la condamnation amnistiée et qui était destiné à être publié dans l'hebdomadaire précité ;
Attendu, en premier lieu, qu'en l'état de ces énonciations, la demanderesse ne saurait se faire utilement un grief à l'appui de son pourvoi de ce que les juges d'appel ne se sont pas expliqués par des motifs spéciaux sur ses conclusions en ce que, à titre de moyens de défense, elles invoquaient la limitation des effets de l'amnistie par la sauvegarde des droits des tiers et le principe de la " libre communication des pensées et des opinions " ; qu'en effet, les conclusions ne contenaient à cet égard que des arguments et non des chefs péremptoires, dès lors que, en présence des dispositions impératives de l'article 25 de la loi du 4 août 1981, les considérations présentées par la prévenue n'étaient pas de nature à retirer aux faits constatés leur caractère délictueux ;
Attendu, en second lieu, que, les juges ayant caractérisé à la charge d'Elisabeth Y... la commission du délit poursuivi, la demanderesse est sans intérêt à reprocher à la cour d'appel de l'avoir dite complice de ce délit ; qu'en effet, aux termes mêmes de l'article 598 du Code de procédure pénale, l'arrêt ne saurait être censuré de ce chef, dès lors que la peine prévue est la même pour le complice que pour l'auteur principal et que les réparations civiles accordées sont justifiées, les juges ayant l'obligation, quelle que soit la qualification retenue, de réparer dans sa totalité le préjudice résultant de l'infraction réprimée ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le premier moyen de cassation proposé pour X... et pris de la violation des articles 59 et 60, 285 et 369 du Code pénal, de l'article 25 de la loi du 4 août 1981, du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, de l'article 593 du Code de procédure pénale, fausse application, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Marion X... à la peine de 6 000 francs d'amende pour le délit de rappel de condamnation pénale effacée par l'amnistie et à payer la somme de 10 000 francs à la partie civile ;
" aux motifs que l'infraction à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 s'analyse comme une atteinte à la vie privée ; qu'aux termes de l'article 369 du Code pénal, en cas de publication les poursuites seront exercées contre les personnes énumérées à l'article 285 dans les conditions fixées par cet article, si le délit a été commis par voie de presse ;
" qu'il résulte de la rédaction de l'article 285 du Code pénal que le directeur de la publication est responsable comme auteur principal du seul fait de la publication ;
" que le prévenu n'est pas poursuivi pour une infraction aux dispositions de la loi du 29 août 1881, mais pour une infraction spécifique dont les éléments et la sanction sont précisés à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 ;
" qu'il est suffisamment établi que Marion X... était le directeur de la publication de l'hebdomadaire " le Journal du Dimanche " et qu'il " résulte du simple fait de la publication et sans qu'il y ait besoin d'une intention coupable spéciale, d'un rappel sous quelque forme que ce soit d'une condamnation pénale amnistiée " ;
" alors que, d'une part, l'infraction réprimée à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 portant amnistie est une infraction spécifique qui ne peut être assimilée à une atteinte à la vie privée ni au délit prévu et réprimé par l'article 369 du Code pénal, lequel n'est en outre constitué que si un enregistrement ou un document a été obtenu par l'écoute, l'enregistrement ou la transmission, au moyen d'un appareil quelconque, des paroles ou de l'image d'une personne ; qu'en appliquant à des faits par eux-mêmes qualifiés d'infraction à l'article 25 de la loi du 4 août 1981 les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 369 du Code pénal pour condamner comme auteur principal du délit le directeur de la publication du " Journal du Dimanche " sans avoir constaté que les éléments du délit de divulgation de paroles ou d'images obtenues de manière illicite étaient réunis, la cour d'appel a violé tant l'article 25 de la loi du 4 août 1981 que les articles 369 et 285 du Code pénal et n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors que, d'autre part, la cour d'appel, qui n'a retenu Marion X... dans les liens de la prévention qu'en sa seule qualité de directeur de la publication du " Journal du Dimanche ", n'a pas constaté qu'il avait personnellement commis l'infraction réprimée par l'article 25 de la loi du 4 août 1981, ou qu'il avait eu connaissance des faits reprochés ; de sorte que la condamnation ne saurait être justifiée par le fait que Marion X... aurait commis ce délit ou en aurait été complice et que l'arrêt manque de base légale, au regard, notamment, des exigences de l'article 25 de la loi du 4 août 1981 et des articles 59 et 60 du Code pénal " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que l'article 25 de la loi du 4 août 1981 interdisant à toute personne en ayant eu connaissance de rappeler sous quelque forme que ce soit les condamnations pénales, les sanctions disciplinaires ou professionnelles, les déchéances effacées par l'amnistie, n'a institué aucune présomption de responsabilité à l'encontre de ceux qui ont participé à ce délit lorsque celui-ci est commis par la voie d'une publication ;
Attendu que pour déclarer X... coupable d'infraction à la disposition susvisée, l'arrêt attaqué énonce que ladite infraction s'analyse en une atteinte à la vie privée, qu'aux termes de l'article 369 du Code pénal les poursuites sont, en cas de publication, exercées contre les personnes énumérées à l'article 285 dudit Code, dans les conditions fixées par ce texte ; que les directeurs de publication sont par le seul fait de cette publication passibles comme auteurs principaux des peines portées par la loi ; qu'il résulte du simple fait de la publication dans l'hebdomadaire " le Journal du Dimanche " et sans qu'il soit besoin d'une intention coupable spéciale, d'un rappel d'une condamnation pénale amnistiée ; que X..., directeur de publication de ce périodique, en est l'auteur principal ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, loin de rechercher si le prévenu avait sciemment pris part aux faits objet de la poursuite et en se bornant à retenir la responsabilité pénale du demandeur par un emprunt abusif aux dispositions combinées des articles 285 et 369 du Code pénal, alors que l'infraction prévue et réprimée par l'article 25 de la loi du 4 août 1981 ne saurait être assimilée à une atteinte à la vie privée, les juges ont fait une inexacte application des textes visés au moyen ;
D'où il suit que l'arrêt encourt à cet égard la cassation ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt attaqué du 17 janvier 1984 de la cour d'appel de Rennes, dans ses seules dispositions relatives à Marion X..., toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues,
Et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen.