IRRECEVABILITE et REJET des pourvois formés par X..., épouse Y..., l'Ordre des avocats du barreau de Z..., partie intervenante, contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen, du 25 mars 1987, qui, dans l'information suivie contre X..., épouse Y..., du chef de chantage sur plainte avec constitution de partie civile de V... a déclaré 1) les mémoires déposés par l'Ordre des avocats du barreau de Z... irrecevables, 2) la procédure régulière.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 2 juin 1987, décidant dans l'intérêt de l'ordre public et d'une bonne administration de la justice, l'examen immédiat du pourvoi formé par X..., épouse Y... ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 2 juin 1987, disant que l'arrêt attaqué par l'Ordre des avocats du barreau de Z... n'entre pas dans la classe des décisions prévues par les articles 570 et 571 du Code de procédure pénale et déclarant que le pourvoi de l'Ordre des avocats du barreau de Z... devait être, de droit, immédiatement soumis à la chambre criminelle ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Joignant les pourvois, vu la connexité ;
1°. - Sur les moyens de cassation proposés pour l'Ordre des avocats du barreau de Z... ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 3, 56-1, 85, 198, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen a dit irrecevables les mémoires déposés par l'Ordre des avocats du barreau de Z... ;
" aux motifs que cet Ordre n'étant ni inculpé ni partie civile ses mémoires sont irrecevables et doivent être écartés du dossier ;
" alors, d'une part, que si la chambre d'accusation avait le pouvoir de déclarer l'intervention de l'Ordre des avocats recevable ou irrecevable, ce qu'elle n'a pas fait, elle ne pouvait en revanche et sans entacher sa décision d'illégalité, déclarer d'office irrecevables des mémoires régulièrement déposés devant elle par cet Ordre ;
" alors, d'autre part, que l'Ordre des avocats ayant été représenté par son bâtonnier lors de la perquisition litigieuse ayant abouti à la saisie d'une lettre, saisie dont la nullité était précisément soumise à la chambre d'accusation, celle-ci ne pouvait en raison de l'absence de qualité d'inculpé ou de partie civile déclarer irrecevables les mémoires déposés par l'Ordre des avocats ;
" alors, enfin que la chambre d'accusation statuant dans le cadre d'une procédure d'instruction ayant abouti à l'inculpation d'un avocat et s'étant prononcé sur l'utilisation faite par Me T... de la lettre confidentielle émanant de Me Y..., l'Ordre des avocats ne pouvait être écarté des débats dès lors qu'il est investi d'un pouvoir disciplinaire à l'égard de deux de ses membres impliqués dans cette affaire " ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 400, alinéa 2, du Code pénal, 55 du règlement intérieur du barreau de Z..., 58, 97, 98, 99, 170, 171, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen a refusé d'annuler la saisie de la lettre du 5 juillet 1982 opérée au cours d'une perquisition dans un cabinet d'avocat, a dit en conséquence la procédure régulière et a renvoyé le dossier au juge d'instruction ;
" aux motifs que si, en principe, les correspondances entre avocats sont confidentielles sauf si l'expéditeur a expressément indiqué le contraire, ce caractère n'exclut pas leur saisie quand elles sont le corps ou l'instrument même du délit ; qu'en l'espèce, pour autant qu'un délit de chantage ait été commis, la lettre saisie en serait l'instrument considérant en outre que la lettre dont s'agit ne contenait aucune confidence faite par S... à Y... ; que sa teneur a été communiquée à V... par T... qui ce faisant, n'a nullement trahi la confiance de sa consoeur mais bien au contraire, a fait de la lettre l'usage auquel elle était destinée ; qu'en effet cette correspondance n'aurait pu avoir aucune utilité si son destinataire l'avait laissé ignorer à son client ; qu'ainsi la saisie dont s'agit ne pouvait mettre à jour aucun secret dont le détenteur de la lettre était dépositaire ;
" alors que les lettres échangées entre avocats ayant un caractère confidentiel absolu le juge d'instruction ne pouvait en aucune façon se saisir de la lettre adressée le 5 juillet 1982 par Me Y... à Me T... en dépit du fait que ce dernier en avait légalement communiqué la teneur à son client ce qui n'était pas de nature à lui faire perdre ce caractère confidentiel et donc insaisissable " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer irrecevables les deux mémoires déposés par l'Ordre des avocats du barreau de Z... contestant la validité de la saisie d'une lettre au cabinet d'un avocat au cours d'une information suivie sur plainte avec constitution de partie civile de V... contre X..., épouse Y..., du chef de chantage, la chambre d'accusation énonce que l'intervenant n'étant ni inculpé ni partie civile ses mémoires ne sont pas recevables ;
Attendu qu'en statuant ainsi les juges ont fait l'exacte application de la loi ; qu'étant étranger à la cause, le demandeur était sans qualité pour discuter la validité de la saisie, fût-ce pour la défense des intérêts de la profession ; qu'en effet en matière pénale, le droit d'intervention qui résulte pour la partie lésée des articles 2, 3 du Code de procédure pénale et pour la personne civilement responsable de l'article 460 dudit Code ne saurait appartenir à d'autres personnes qu'en vertu d'un texte formel ;
Que, dès lors, les moyens ne sont pas fondés ;
Et attendu que l'intervention étant irrecevable, le pourvoi est lui-même irrecevable ;
2°. - Sur le moyen unique de cassation proposé pour X..., épouse Y..., et pris de la violation des articles 92 à 97, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler la saisie d'une lettre adressée le 5 juillet 1982 par Me Y..., avocat, à Me T..., son confrère, à l'occasion d'un contentieux prud'homal opposant leurs clients respectifs ;
" aux motifs que " si, en principe les correspondances entre avocats sont confidentielles, sauf si l'expéditeur a expressément indiqué le contraire, ce caractère n'exclut pas leur saisie lorsqu'elles sont le corps ou l'instrument même du délit ; qu'en l'espèce, pour autant qu'un délit de chantage ait été commis, la lettre saisie en serait l'instrument... que la lettre dont s'agit ne contenait aucune confidence faite par S... à Y... ; que sa teneur a été communiquée à V... par T... qui, ce faisant, n'a nullement trahi la confiance de sa consoeur mais, bien au contraire, a fait de la lettre l'usage auquel elle était destinée ; qu'en effet, cette correspondance n'aurait pu avoir aucune utilité si son destinataire l'avait laissée ignorée de son client ; qu'ainsi la saisie dont s'agit ne pouvait mettre à jour aucun secret dont le détenteur de la lettre était dépositaire " ;
" alors que les lettres que les avocats échangent entre eux, dans l'intérêt de leurs clients, en vue de la recherche d'un accord, sont par nature confidentielles ; que dès lors, quels qu'en soient les termes et la teneur, il est exclu, peu important qu'elles constituent le corps d'un délit, qu'elles puissent être saisies en application de l'article 97 du Code de procédure pénale ; qu'ayant omis de rechercher si, eu égard à l'objet de la lettre du 5 juillet 1982, une saisie était possible, la chambre d'accusation n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'au cours de l'information suivie contre X..., épouse Y..., avocat, du chef de chantage sur plainte avec constitution de partie civile de V..., le juge d'instruction a saisi au cabinet de Me T..., également avocat, une lettre à lui adressée par l'inculpée à l'occasion d'une instance prud'homale opposant leurs clients respectifs et dont les termes seraient, selon le plaignant, constitutifs du délit susvisé ; qu'appelée à statuer sur la validité de la saisie, la chambre d'accusation, après avoir constaté que la perquisition a été effectuée régulièrement en présence du procureur de la République et du bâtonnier de l'Ordre des avocats, énonce que, si en principe les correspondances entre avocats sont confidentielles sauf si l'expéditeur a indiqué le contraire, ce caractère n'exclut pas leur saisie quand elles sont le corps ou l'instrument même d'un délit ; que la lettre ne contenait aucune confidence faite à X..., épouse Y..., par son client ; qu'en communiquant la teneur à V..., Me T... n'a nullement trahi la confiance de sa consoeur mais a fait de la lettre l'usage auquel elle était destinée ; que cette correspondance n'aurait pu avoir aucune utilité si son destinataire l'avait laissée ignorée de son propre client ; que la saisie critiquée ne pouvait mettre à jour aucun secret dont le détenteur de la lettre était le dépositaire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, abstraction faite de motifs surabondants voire erronés, les juges n'ont pas encouru le grief du moyen ;
Qu'en effet, si en vertu du principe de la libre défense qui domine la procédure pénale, les correspondances adressées par les inculpés, prévenus ou accusés à leurs conseils, sont couvertes par le secret et échappent à toute saisie, il en va autrement lorsqu'il s'agit d'écrits n'ayant pas trait à une poursuite pénale et qui, en outre, sont susceptibles de constituer la preuve d'une infraction dès lors que leur existence en a été révélée par l'avocat destinataire à son client lequel n'étant pas tenu par leur caractère confidentiel, en a fait état dans sa plainte ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi formé par l'Ordre des avocats au barreau de Z... ;
REJETTE le pourvoi formé par X..., épouse Y...