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03/02/1987 | FRANCE | N°85-12341

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 03 février 1987, 85-12341


Attendu que, par ordonnance de référé rendue le 21 mars 1952, en application de l'ordonnance législative du 21 avril 1945 (référé-spoliation), le président du tribunal civil de la Seine a condamné la société de droit allemand Junkers Flugzeug und Motorenwerke AG à payer à la Société d'armement maritime et de transports (SAMT) la somme de 120 640 861 anciens francs, avec les intérêts au taux légal ; que la Société financière et immobilière La Boissière-Beauchamps (SFIBB), déclarant agir aux droits de la SAMT, a, le 14 mai 1982, assigné la société de droit allemand Mes

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Attendu que, par ordonnance de référé rendue le 21 mars 1952, en application de l'ordonnance législative du 21 avril 1945 (référé-spoliation), le président du tribunal civil de la Seine a condamné la société de droit allemand Junkers Flugzeug und Motorenwerke AG à payer à la Société d'armement maritime et de transports (SAMT) la somme de 120 640 861 anciens francs, avec les intérêts au taux légal ; que la Société financière et immobilière La Boissière-Beauchamps (SFIBB), déclarant agir aux droits de la SAMT, a, le 14 mai 1982, assigné la société de droit allemand Messerschmitt-Bolkow-Blohm GmbH pour la faire déclarer tenue des condamnations prononcées le 21 mars 1952 à l'encontre de la société Junkers Flugzeug und Motorenwerke et, en conséquence, la faire condamner à lui payer diverses sommes en principal et au titre des intérêts dus depuis le 29 décembre 1950 ; que la société allemande défenderesse a soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance de Paris en soutenant que le tribunal de première instance de Munich serait compétent ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la SFIBB fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 18 janvier 1985) d'avoir rejeté le contredit formé contre le jugement qui avait accueilli l'exception d'incompétence, alors qu'il résulte de la combinaison des articles 71 et 74 du nouveau Code de procédure civile que les exceptions de procédure ne sont recevables que si elles sont soulevées avant toute défense au fond, celle-ci consistant en tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après l'examen du fond du droit, la prétention de l'adversaire ; qu'en l'espèce, la société Messerschmitt n'avait présenté son exception d'incompétence du tribunal de grande instance de Paris qu'en réservant tous ses droits sur la recevabilité et au fond résultant d'un certain nombre de moyens, lesquels, selon le pourvoi, étaient énumérés en les assortissant de précisions suffisant à lier le débat, de sorte qu'en statuant comme il a fait, l'arrêt attaqué a violé les articles précités du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, dès ses premières conclusions, la société Messerschmitt a soulevé l'incompétence de la juridiction française ; que l'exception était donc recevable et que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la SFIBB reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le contredit sur le fondement de l'article 2 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, en écartant l'application de l'article 5-3° de ladite convention au motif, notamment, qu'il ne s'agit plus de déterminer le montant du préjudice consécutif aux actes de spoliation, une décision définitive étant déjà intervenue sur ce point, alors que l'article 5-3° précité prévoit expressément que le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit et qu'il suffit, selon le moyen, pour que cette disposition soit applicable, que l'action intentée ait sa source dans un délit ou un quasi-délit et qu'elle ne saurait être réservée aux seuls cas où il s'agit de déterminer la responsabilité de l'auteur d'un dommage ou

encore le montant d'un préjudice ; que l'action tendant à l'exécution d'une condamnation fondée sur la commission d'un délit ou d'un quasi-délit est nécessairement une action relevant de la matière délictuelle ou quasi délictuelle ; qu'ainsi, en restreignant arbitrairement l'application de l'article 5-3°, la juridiction du second degré a violé cette disposition de la convention de Bruxelles ;

Mais attendu que la cour d'appel a estimé que l'action introduite par la SFIBB avait pour objet de faire déterminer si la société Messerschmitt était tenue au passif de la société Junkers ; qu'elle en a justement déduit que les dispositions de l'article 5-3° de la convention de Bruxelles n'étaient pas applicables à la détermination de la compétence juridictionnelle ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la SFIBB fait enfin grief à la cour d'appel d'avoir rejeté le contredit, en se fondant sur l'article 2 de la convention de Bruxelles, ajoutant " que, même en se plaçant sur le seul plan de la reconnaissance pure et simple de la décision rendue le 21 mars 1952 ", le " principe de base " posé par cet article devrait recevoir application puisque les règles relatives à la compétence ne concernent pas l'ordre public visé à l'article 27-1° et qu'en l'espèce, la contrariété à cet ordre public n'est nullement établie, d'autant que les dispositions relatives aux spoliations, malgré leur inspiration politique et leur caractère d'ordre public, ne sont pas des normes de droit public mais, régissant des rapports patrimoniaux entre particuliers, des dispositions internes de droit privé, alors, d'une part, qu'il aurait été ainsi fait une fausse application de la notion d'ordre public international, laquelle n'est pas limitée aux normes de droit public, et qu'à tout le moins, la décision attaquée se trouverait dépourvue de base légale, faute par la cour d'avoir recherché si la matière des spoliations était ou non d'ordre public international ; alors, d'autre part, que le risque de déni de justice suffit à fonder la compétence internationale des tribunaux français ; qu'un tel risque existe lorsque la demande est vouée à un échec certain devant le juge étranger si elle heurte les conceptions les plus fondamentales de son ordre juridique ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué, qui s'abstient de se prononcer sur la teneur du droit allemand tel qu'il apparaît à la lumière des décisions et du certificat de coutume produit, et qui omet de rechercher si la contradiction entre les deux ordres publics ne justifie pas, compte tenu du risque de déni de justice, la compétence subsidiaire des tribunaux français, serait privé de base légale au regard de la notion de déni de justice ;

Mais attendu, d'abord, que la conformité à l'ordre public international est étrangère à la détermination de la compétence internationale régie par la convention de Bruxelles ; que le grief est donc inopérant ;

Attendu, ensuite, que, par des motifs adoptés des premiers juges, la cour d'appel a retenu que la simple attestation de deux avocats allemands, qui ne contient aucune référence précise à un texte ou une décision, ne suffit pas à établir l'impossibilité pour la SFIBB de faire valoir ses droits devant la juridiction allemande ; que, répondant ainsi au moyen, elle a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le troisième moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 85-12341
Date de la décision : 03/02/1987
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° PROCEDURE CIVILE - Exception - Proposition in limine litis - Exception formulée dans les conclusions au fond - Exception formulée dans les premières conclusions.

COMPETENCE - Exception d'incompétence - Proposition in limine litis - Proposition dans les conclusions au fond - Exception formulée dans les premières conclusions * CONFLIT DE JURIDICTIONS - Compétence internationale des juridictions françaises - Application des règles françaises internes à l'ordre international - Compétence territoriale - Incompétence de la juridiction française - Exception - Proposition in limine litis - Nécessité.

1° L'exception d'incompétence est recevable dès lors que dès ses premières conclusions, la partie défenderesse, société de droit allemand, avait soulevé l'incompétence de la juridiction française .

2° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Exécution des décisions judiciaires - Spoliations (ordonnance du 21 avril 1945) - Détermination de la personne à qui s'applique la condamnation - Application (non).

COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Compétence judiciaire - Compétence territoriale - Spoliations (ordonnance du 21 avril 1945) - Détermination de la personne à qui s'applique la condamnation - Application (non) * SPOLIATIONS (ordonnance du 21 avril 1945) - Procédure - Compétence - Compétence territoriale - Restitution - Société de droit allemand - Absorption par une autre société de droit allemand - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Article 5 3° - Application (non).

2° Dès lors qu'elle retenait que l'action introduite par la société de droit français avait pour objet de faire déterminer si la société de droit allemand était tenue au passif de la société initialement condamnée en application de l'ordonnance législative du 21 avril 1945 (référé-spoliation), une cour d'appel en a justement déduit que les dispositions de l'article 5-3° de la convention de Bruxelles n'étaient pas applicables à la détermination de la compétence juridictionnelle .

3° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Compétence judiciaire - Détermination - Conditions - Conformités à l'ordre public international français (non).

CONVENTIONS INTERNATIONALES - Autorité - Autorité supérieure à la loi interne - Effets - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 - Compétence judiciaire - Privilège de juridiction - Conditions - Conformité à l'ordre public international français (non) * CONFLIT DE JURIDICTIONS - Compétence internationale des juridictions françaises - Application des règles françaises internes à l'ordre international - Compétence territoriale - Compétence de la juridiction étrangère - Contradiction des ordres publics français et étranger - Compétence subsidiaire de la juridiction française - Conditions.

3° La conformité à l'ordre public international est étrangère à la détermination de la compétence internationale régie par la convention de Bruxelles . Il ne saurait être reproché à une cour d'appel de ne pas s'être prononcée sur la teneur du droit allemand et de ne pas avoir recherché si la contradiction entre les deux ordres publics ne justifiait pas, compte tenu du risque de déni de justice, la compétence subsidiaire des tribunaux français, dès lors qu'elle a retenu que la simple attestation de deux avocats allemands laquelle ne contenait aucune référence précise à un texte ou à une décision, ne suffisait pas à établir l'impossibilité pour la société de droit français de faire valoir ses droits devant la juridiction allemande


Références :

Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
Ordonnance du 21 avril 1945

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 18 janvier 1985

A RAPPROCHER : (1°). Chambre civile 3, 1977-03-08 Bulletin 1977, III, n° 110 (2), p. 86 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 03 fév. 1987, pourvoi n°85-12341, Bull. civ. 1987 I N° 42 p. 30
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1987 I N° 42 p. 30

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Fabre
Avocat général : Avocat général :Mme Flipo
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Camille Bernard
Avocat(s) : Avocats :la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard et M. Delvolvé .

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1987:85.12341
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