LA COUR DE CASSATION, statuant en assemblée plénière, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé le 24 janvier 1983 par la société anonyme BABOLAT MAILLOT WITT, dont le siège social est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 2 novembre 1982 par la Cour d'appel de Paris (4ème chambre), au profit de Monsieur Jean X..., demeurant à Gagny (Seine-Saint-Denis), ..., défendeur à la cassation ;
Par ordonnance du 6 janvier 1986, conformément aux dispositions de l'article L. 131-2, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, Madame le Premier Président a renvoyé l'examen du pourvoi devant une Assemblée plénière ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation ainsi conçus :
Premier moyen : "Il est reproché à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir décidé qu'un employeur était irrecevable à invoquer des motifs de licenciement, autres que ceux indiqués dans la lettre de licenciement, aux motifs que pour apprécier la validité du licenciement, les juges ne pouvaient se référer qu'aux motifs exprimés au cours de l'entretien préalable et fixés dans la lettre de licenciement, alors que, lorsque le salarié n'a pas demandé que lui soient énoncées les causes réelles et sérieures de licenciement en application des articles L. 122-14-2, R. 122-3 du Code du travail, l'employeur est recevable à invoquer des griefs autres que ceux qu'il a énoncés dans la lettre de rupture, d'où il suit qu'en déclarant l'employeur irrecevable à invoquer de nouveaux motifs, la Cour d'appel a fait une fausse application des articles L. 122-14, R. 122-3 du Code du travail, 455 et suivants du Nouveau Code de procédure civile" ;
Second moyen: "Il est reproché à la Cour d'appel d'avoir décidé qu'un salarié était propriétaire exclusif de programme d'ordinateur, aux motifs que le salarié avait élaboré seul les programmes informatiques sans recevoir aucune aide ni rémunération correspondante de son employeur ni utiliser les moyens de la société et que l'employeur ne pouvait prétendre que cette élaboration entrait dans les fonctions de chef comptable, que l'élaboration d'un programe d'ordinateur était une oeuvre de l'esprit originale dans sa composition et son expression allant au-delà d'une simple logique automatique et contraignante, qu'il ne s'agit pas d'un mécanisme intellectuel nécessaire ; qu'en effet, les analystes programmeurs avaient à choisir comme les traducteurs d'ouvrages entre divers modes de présentation et d'expression ; que leur choix portait ainsi la marque de leur personnalité ; alors que, d'une part, les programmes d'ordinateurs ne constituent pas des oeuvres protégées au sens de la loi du 11 mars 1957, qu'ils constituent de simples méthodes que la loi ne protège pas ; d'où il suit qu'en décidant que la loi de 1957 protégeait les programmes d'ordinateur, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles 1, 3 et 4 de la loi du 11 mars 1957, 455 et suivants du Nouveau Code de procédure civile,
alors que, d'autre part, et subsidiairement, au cas où le programme d'ordinateur serait une oeuvre de l'esprit protégée par les droits d'auteur, la Cour d'appel, eu égard aux documents versés aux débats qui établissaient que les programmes litigieux avaient été réalisés aux frais et pour le compte de l'employeur et en fonction des besoins de l'employeur, que la réalisation de ces programmes, entrait dans la mission du chef comptable, ce que le salarié reconnaissait d'ailleurs dans une note du 5 décembre 1973, en écrivant qu'il avait ainsi rationalisé son service, devait rechercher si l'oeuvre ainsi réalisée avec la participation de l'employeur ne constituait pas une oeuvre commune, soit collective, soit de collaboration ; d'où il suit qu'elle a violé les articles 9, 10 et 13 de la loi du 11 mars 1957, 455 et suivants du Nouveau Code de procédure civile, en ne justifiant pas légalement sa décision, et alors qu'enfin, et en toute hypothèse, saisie de conclusions aux termes desquelles il était demandé à la Cour de constater, que ces programmes aient appartenu en propre à la société employeur ou à l'employé, ou encore à l'un et à l'autre, qu'ils étaient à la disposition de l'entreprise et utilisés de manière habituelle, compte tenu de l'organisation du travail mise en place par l'employé et ne pouvaient, sans abus de droit, lui être retirés du jour au lendemain, la Cour d'appel n'a pas répondu à ce chef précis du dispositif des conclusions, violant les articles 455 et suivants du Nouveau Code de procédure civile" ;
Sur le second moyen :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que Monsieur Jean X..., chef comptable de la société "L'Industrie du Boyau" devenue la société anonyme Babolat Maillot Witt (B.M.W.), a conçu et réalisé, de sa propre initiative, des programmes informatiques autres que ceux antérieurement mis à sa disposition par son employeur, qu'il a utilisés pour la comptabilité de l'entreprise ; qu'un membre de la direction ayant voulu établir une copie de sauvegarde de tous les logiciels utilisés, Monsieur X... s'y est opposé et a emporté chez lui ceux des programmes dont il estimait être propriétaire ; que lui reprochant d'avoir interrompu, par son comportement, la marche du service, la société B.M.W., après avoir procédé à l'entretien préalable prévue par l'article L. 122-14 du Code du travail, le 1er juillet 1977, a licencié Monsieur X... le 5 juillet 1977 ; que celui-ci, estimant ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, a assigné son employeur en paiement de diverses indemnités ;
Attendu que la société B.M.W. reproche à la Cour d'appel d'avoir retenu que Monsieur X... était propriétaire des programmes litigieux, aux motifs notamment que l'élaboration "d'un" programme d'ordinateur est une oeuvre de l'esprit originale dans sa composition et son expression, et que les analystes programmeurs ont à choisir comme les traducteurs d'ouvrages, entre divers modes de présentation et d'expression, que leur choix porte ainsi la marque de leur personnalité, alors que, d'une part, les programmes d'ordinateur constitueraient de simples méthodes que la loi ne protège pas, non des oeuvres protégées au sens de la loi du 11 mars 1957, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juillet 1985, alors que, d'autre part, et subsidiairement, au cas où le programme d'ordinateur serait une oeuvre de l'esprit protégée, la Cour d'appel aurait dû rechercher si l'oeuvre ainsi réalisée avec la participation de l'employeur ne constituait pas une oeuvre commune, soit collective, soit de collaboration ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir, par motifs adoptés, justement relevé que le caractère scientifique des programmes informatiques n'était pas un obstacle à leur protection par le droit d'auteur et exactement retenu qu'il y a lieu de voir dans l'organigramme la composition du logiciel, et dans les instructions rédigées, quelle qu'en soit la forme de fixation, son expression, la Cour d'appel ainsi fait ressortir que le programme d'ordinateur ne constitue pas une simple méthode, et que sa protection doit être examinée dans son ensemble ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant recherché, comme ils y étaient tenus, si les logiciels élaborés par Monsieur X... étaient originaux, les juges du fond ont souverainement estimé que leur auteur avait fait preuve d'un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en oeuvre d'une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, et abstraction faite des motifs ci-dessus cités, critiqués par le pourvoi, la Cour d'appel, qui a ainsi retenu que les logiciels conçus par Monsieur X... portaient la marque de son apport intellectuel, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Attendu, enfin, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions que la société ait soutenu devant la Cour d'appel que les oeuvres réalisées par Monsieur X... pouvaient être considérées soit comme des oeuvres collectives au sens de l'article 9, alinéa 3, de la loi susvisée, soit comme des oeuvres de collaboration ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;
Attendu que pour écarter des allégations complémentaires de la société, la Cour d'appel énonce qu'elle ne peut se référer qu'aux motifs de rupture exprimés au cours de l'entretien préalable et fixés dans la lettre de licenciement ;
Attendu cependant que le motif invoqué ne faisant que reprendre sous une autre qualification les faits retenus dans la lettre de licenciement, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
CASSE et ANNULE, dans la seule limite du premier moyen, l'arrêt rendu le 2 novembre 1982, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en la Chambre du conseil ;