Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches, du pourvoi principal et du pourvoi incident :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 12 mars 1984), que la Société de Travaux d'Adductions et de Transports devenue la Société de Travaux et de Gestion (la société S.T.G.) a confié la construction d'un immeuble à la société des Etablissements Drogrey (la société Drogrey) ; que celle-ci a sous-traité une partie des travaux à plusieurs entreprises (les sous-traitants) ; que le 8 février 1979, la société Drogrey a remis à la Société Nancéenne de Crédit Industriel et Varin Bernier (la banque), qui l'a escomptée, une lettre de change à échéance du 15 mars suivant acceptée par la société S.T.G. ; qu'à partir du 15 février 1979, les sous traitants ont délivré à la société Drogrey qui devait être soumise peu après à une procédure collective les mises en demeure prévues à l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 et adressée copie à la société S.T.G. ; que celle-ci ayant payé à son échéance la lettre de change présentée par la banque, les sous-traitants ont assigné en règlement de leurs créances tant la société Drogrey que la société S.T.G., cette dernière appelant alors la banque en garantie ;
Attendu que les sous-traitants reprochent à l'arrêt de les avoir déboutés de leur action alors, selon le pourvoi, d'une part, que si, en application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975, les sous-traitants n'ont une action directe contre le maître de l'ouvrage que si celui-ci a accepté chaque sous-traitant et agréé les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance, ce texte n'exige pas que l'acceptation et l'agrément soient formels ; que cette acceptation et cet agrément peuvent résulter notamment de l'attitude du maître de l'ouvrage qui, loin de contester le droit des sous-traitants d'exercer l'action directe à son égard, se borne à discuter l'étendue de ses obligations envers l'entrepreneur prin-cipal ; qu'en l'espèce, ce n'est que dans ses conclusions additionnelles, signifiées au mois de janvier 1984 que la société S.T.G. a déclaré "que si la présence des sous-traitants a été remarquée lors des visites de chantiers, ils n'ont fait l'objet que d'un agrément tacite sans qu'aucun lien contractuel ou juridique existât entre eux et le maître de l'ouvrage ; qu'antérieurement la société S.T.G., qui n'avait pas protesté à la réception de la copie des mises en demeure avait interrogé la banque sur la préférence donnée aux sous-traitants ; que, par la suite, elle n'avait pas interjeté appel du jugement déclarant que les formalités relatives au contrat de sous-traitance avaient été respectées et que ces contrats pouvaient engendrer une demande d'action directe, qu'il résulte de ces circonstances que le maître de l'ouvrage avait accepté et agréé, au moins tacitement, les sous-traitants et les conditions de chaque contrat de sous-traitance ; qu'en exigeant à tort une acceptation et un agrément exprès, la Cour d'appel a violé les articles 3, 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975 ; alors, d'autre part, qu'il résulte des articles 12 et 13 de la loi du31 décembre 1975 que l'action directe du sous-traitant s'exerce sur toutes les sommes que le maître de l'ouvrage doit encore à l'entrepreneur principal, en exécution des marchés principaux, à la date de la réception par le maître de la copie de la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal ; qu'avant le paiement de la lettre de change, tirée par la société
Drogrey sur la société S.T.G., cette dernière détenait les sommes qui ont pu être appréhendées par l'action directe des sous-traitants ; qu'il n'importe que, par l'effet de l'endossement, la banque soit devenue propriétaire de la provision dès lors que la provision s'analyse dans la créance éventuelle du tireur contre le tiré susceptible d'exister à l'échéance de la lettre de change ; qu'ainsi la banque ne pouvant avoir sur la provision, plus de droits que le tireur qui lui en a transmis la propriété, doit subir les effets de l'action directe exercée par les sous-traitants, même après l'escompte de la traite, et qui a fait disparaître la provision à l'échéance ; qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la Cour d'appel a violé par fausse application, les articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975, 116 et 118 du Code de commerce ; alors, en outre que si, par l'acceptation de la lettre de change tirée par la société Drogrey la société S.T.G. s'est obligée à payer la lettre de change à l'échéance, cette obligation cambiaire envers le porteur ne fait pas obstacle à l'existence de sa dette envers l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure par laquelle le sous-traitant manifeste son intention d'exercer l'action directe, qu'il n'importe que le maître de l'ouvrage, tenu cambiairement envers le porteur, ait valablement payé à ce dernier le montant de la lettre de change ; qu'en déclarant à tort que les sous-traitants ne pouvaient prétendre à aucun droit sur les sommes dont la société S.T.G. était redevable vis-à-vis de la société Drogrey à la date de l'envoi des copies des mises en demeure, la Cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 12 et 13 de la loi du 31 décembre 1975, 116, 128 et 151 du Code de commerce ; et alors, enfin, que l'article 15 de la loi du 31 décembre 1975 déclare nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire echec aux dispositions de ladite loi et notamment à l'action directe des sous-traitants ; que cette sanction, applicable même en l'absence de fraude, fait obstacle à ce que l'escompte d'une traite acceptée par le maître de l'ouvrage prive les sous-traitants du bénéfice de l'action directe ; que dans leurs conclusions, les sous-traitants faisaient valoir que la banque ne pouvait ignorer leur existence sachant, par ses relations avec la société Drogrey, que cette entreprise sous-traitait nécessairement les travaux du ressort d'autres corps de métier ; qu'en se bornant à déclarer qu'aucune fraude ne pouvait être reprochée à la société S.T.G., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;
Mais attendu, en premier lieu, que si l'arrêt a retenu qu'à aucun moment la société Drogrey n'avait fait accepter "expressément" les sous-traitants ni agréer "expressément" les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par la société S.T.G., maître de l'ouvrage, c'est uniquement pour en déduire que la banque, elle-même créancière de la société Drogrey, devait être déboutée de sa demande tendant à ce que les contrats de sous-traitance "lui soient déclarés inopposables et non pas pour rejeter l'action des sous-traitants ; qu'il s'ensuit que ces derniers sont sans intérêt à critiquer des dispositions de l'arrêt qui ne leur font pas grief ;
Attendu en second lieu, qu'après avoir relevé que la lettre de change acceptée par la société S.T.G. avait été escomptée par la banque avant que les sous-traitants n'adressent au maître de l'ouvrage les copies des mises en demeure délivrées à la société Drogrey, l'arrêt retient que l'opération d'escompte "a valablement transmis à la banque la propriété de l'effet, et ce avant toute opposition des sous-traitants, aucune fraude ne pouvant dès lors être reprochée à la banque pour avoir accepté la remise qui lui a été faite de l'effet en escompte ; qu'en l'état de ces énonciations dont il résulte que, par suite de la transmission de droit à la banque de la propriété de la provision de la lettre de change, la société S.T.G. ne devait plus la somme correspondante à la société Drogrey lorsque les sous-traitants ont exercé leur action directe, c'est à bon droit que la Cour d'appel a écarté cette action ;
Qu'irrecevable en sa première branche, le moyen n'est pas fondé en ses autres branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois