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28/01/1986 | FRANCE | N°84-95573

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 janvier 1986, 84-95573


CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par C., partie civile, contre un arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, Chambre correctionnelle, en date du 7 novembre 1984, qui, dans les poursuites par lui exercées pour diffamation publique envers particulier, a relaxé D. et P. épouse S. et l'a débouté de sa demande ;
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3, 29, 32 et 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que

l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé les prévenus poursuivis pour diffa...

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par C., partie civile, contre un arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, Chambre correctionnelle, en date du 7 novembre 1984, qui, dans les poursuites par lui exercées pour diffamation publique envers particulier, a relaxé D. et P. épouse S. et l'a débouté de sa demande ;
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3, 29, 32 et 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé les prévenus poursuivis pour diffamation et a, en conséquence, déclaré la Cour incompétente pour statuer sur l'action civile du plaignant ;
" aux motifs que la phrase reproduite dans la citation de la partie civile contient une accusation de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de cette dernière et est chargée d'opprobre et de moquerie à son endroit ; que cependant, il est piquant de constater que Maître C. a extrait d'un long article qui étale sur deux pages les malversations qui lui sont reprochées par la justice, un passage qui paraît bien anodin en comparaison des graves imputations contenues par ailleurs dans l'article ; que toutes ces imputations, susceptibles d'être gravement diffamatoires si leur vérité n'est pas établie, vérité que recherche précisément le juge d'instruction, constituent l'essentiel de l'article et, à l'évidence, sont celles qui frappent le lecteur ; qu'en les laissant volontairement à l'écart des poursuites engagées par elle contre leurs auteurs, la partie civile a définitivement renoncé à se prévaloir de leur caractère diffamatoire alors qu'elle pouvait les viser dans la citation sur laquelle il avait été sursis à statuer pendant la durée de l'information ; que le plaignant ne peut ainsi, sans abuser la Cour, prétendre avoir été diffamé par le seul fait visé dans sa citation, fait dont l'ancienneté interdit d'ailleurs de rapporter la preuve, alors qu'il accepte d'être dénoncé à l'opinion publique comme un syndic malhonnête dont l'activité a été consacrée à faire fortune au détriment de ceux dont les intérêts lui étaient confiés ;
" alors que, d'une part, et après avoir expressément reconnu, contrairement aux premiers juges, que la phrase extraite de l'article incriminé qui était dénoncée dans la citation introductive d'instance comme revêtant un caractère nettement diffamatoire contenait effectivement une accusation de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la partie civile, la Cour a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse en refusant néanmoins d'admettre que le délit de diffamation était constitué en raison de ce que la partie civile n'avait pas dénoncé les autres imputations contraires à son honneur et à sa considération, contenues dans l'article ;
" alors que, d'autre part, si l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 interdit que la vérité des faits diffamatoires puisse être prouvée lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années, ce texte n'a pas pour effet d'empêcher la victime d'une diffamation de saisir la justice quand la diffamation porte sur de tels faits mais impose au contraire au juge saisi de la plainte de prononcer une condamnation dès qu'il constate que les imputations revêtent un caractère diffamatoire ; que, dès lors, la Cour a violé le texte précité en refusant d'admettre que le délit de diffamation était constitué parce que la vérité des faits imputés à la partie civile ne pouvait, en raison de leur ancienneté, être rapportée " ;
Sur les deux branches réunies ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les arrêts de la Chambre d'accusation, les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ; que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ;
Attendu que pour déterminer si l'allégation ou l'imputation d'un fait porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne, les juges n'ont pas à rechercher les conceptions personnelles ou subjectives de celle-ci sur ces deux notions ni à tenir compte de l'opinion que le public a de cette personne ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que D., directeur de publication du périodique " A-D " et P. épouse S., journaliste, ont été poursuivis pour diffamation publique envers particulier sur citation à la requête de C. pour avoir diffusé dans le numéro 61 daté de mars 1984 dudit périodique un article intitulé " l'affaire C le scandale continue ", contenant un certain nombre d'imputations touchant son activité de syndic mais retenu à raison du seul passage suivant : " Me C., 58 ans, avocat de G. dans les années soixante, associé de Me A. et de Me B. Il ruine ce dernier atteint d'une maladie grave. L'ordre des avocats lui conseille de faire ses valises " ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus et se déclarer incompétents sur l'action civile, les juges énoncent d'une part que " l'accusation portée contre C. d'avoir profité de la maladie grave de son confrère associé pour le ruiner est de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération de même que la façon ironique de présenter sa démission du Barreau, l'expression " faire ses valises " dans le contexte où elle est employée, étant chargée d'opprobre et de moquerie " et, d'autre part, " que le caractère diffamatoire d'une imputation doit s'apprécier subjectivement par rapport à la personnalité de plaignant et à sa résonnance sur l'opinion publique " ; que le plaignant " ne peut ainsi sans abuser la Cour prétendre avoir été diffamé par le seul fait visé dans sa citation, fait dont l'ancienneté interdit d'ailleurs d'en rapporter la preuve, alors qu'il accepte d'être dénoncé à l'opinion publique comme un syndic malhonnête dont l'activité a été consacrée à faire fortune au détriment des personnes ou sociétés dont les intérêts lui étaient confiés " ; qu'" en l'espèce on peut estimer que les lecteurs d'" A-D " auront été particulièrement frappés par la longue énumération des malversations imputées à C. sans en détacher spécialement le passage incriminé " ; qu'" on doit ainsi considérer que le délit de diffamation n'est pas caractérisé " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi la Cour d'appel n'a pu, sans se contredire, constater que le passage de l'article incriminé était diffamatoire et déclarer que l'infraction n'était pas établie en se fondant sur l'appréciation subjective de la victime qui a opéré un choix entre les imputations la visant, et sur l'opinion supposée des lecteurs ; que les lois qui prohibent et punissent la diffamation, protègent toutes les personnes sans prévoir aucune exception fondée sur de tels éléments ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble en date du 7 novembre 1984 en ses seules dispositions civiles et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 84-95573
Date de la décision : 28/01/1986
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Atteinte à l'honneur ou à la considération - Appréciation - Limites.

Une Cour d'appel ne saurait sans se contredire constater qu'un passage de l'article incriminé est diffamatoire et déclarer que l'infraction n'est pas établie en se fondant sur l'appréciation subjective de la victime qui a opéré un choix entre les imputations la visant et sur l'opinion supposée des lecteurs. Les lois qui prohibent et punissent la diffamation protègent toutes les personnes sans prévoir aucune exception fondée sur de tels éléments (1).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 29

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, 07 novembre 1984

A rapprocher : (1). Cour de cassation, chambre criminelle, 1975-07-02, Bulletin criminel 1975 N. 174 p. 477 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 jan. 1986, pourvoi n°84-95573, Bull. crim. criminel 1986 N° 36 p. 84
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1986 N° 36 p. 84

Composition du Tribunal
Président : Pdt M. Berthiau Conseiller le plus ancien faisant fonctions
Avocat général : Av.Gén. M. Rabut
Rapporteur ?: Rapp. M. Dardel
Avocat(s) : Av. demandeur : SCP de Chaisemartin

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1986:84.95573
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