LA COUR DE CASSATION, statuant en ASSEMBLEE PLENIERE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les pourvois formés par M. Hammou X..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs Kamel, né le 6 juin 1971, Lila, née le 4 juillet 1972, Habib, né le 6 novembre 1974 et Fatiha, née le 25 juillet 1976, et par Mme Drifa X..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 juillet 1980 par la Cour d'appel de Nancy (Chambre des appels correctionnels), qui a confirmé le jugement du Tribunal correctionnel de Thionville en date du 21 janvier 1977 sur la responsabilité de l'accident causé par M. Jean-Pierre Z..., demeurant à Nilvange (57240), Knutange-Nilvange, ..., à la jeune Fatiha X..., et l'attribution de dommages et intérêts ainsi que sur le montant des prestations dues à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Thionville, dont le siège est ...,
M. et Mme X... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Metz en date du 1er juillet 1977.
Cet arrêt a été cassé le 13 décembre 1978 par la Chambre Criminelle de la cour de cassation. La cause et les parties ont été renvoyées devant la Cour d'appel de Nancy qui a statué par arrêt du 9 juillet 1980.
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy, le Premier Président a, constatant que ce recours pose la question de savoir s'il est possible de retenir à la charge d'un enfant victime de blessures ou d'homicide involontaires une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage, sans rechercher si cet enfant avait la capacité de discerner les conséquences de l'acte fautif qu'il a commis ; qu'il s'agit d'une question de principe et que les juges du fond divergent sur la solution susceptible d'être apportée à ce problème, par ordonnance du 15 mars 1983, renvoyé la cause et les parties devant l'Assemblée plénière.
M. et Mme X... invoquent devant cette assemblée, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens suivants :
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
."Violation des articles 319 du Code Pénal, R 10, R219, R220, R232 du Code de la Route, 2, 485, 593 du Code de Procédure Pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale.
EN CE QUE l'arrêt attaqué a procédé à un partage de responsabilité par moitié entre le conducteur et la victime ;
AUX MOTIFS QUE c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la faute de la victime qui n'aurait jamais dû s'engager dans la traversée d'une route même sur un passage protégé, au moment où la voiture arrivait à dix mètres d'elle ; qu'il existait un danger immédiat ; que cette irruption a rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de la part de l'automobiliste ; que le prévenu a fait preuve d'un défaut d'attention caractérisé principalement par le fait qu'ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n'a pas mobilisé son attention sur leur comportement de sorte qu'il s'est laissé surprendre par l'irruption inconsciente de l'une d'elles sur la chaussée et qu'il n'a pu rester maître de son véhicule entraîné par une vitesse trop grande en fonction des circonstances.
ALORS QUE, d'une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les exposants soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l'époque de l'accident était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision ;
ALORS, d'autre part, et en tout état de cause, que la Cour n'a pu sans contradiction relever, d'un côté, l'existence d'une faute de la victime et, d'un autre côté, faire état de l'irruption inconsciente de la victime.
ALORS, enfin, que la Cour d'appel relève que l'automobiliste a commis une faute d'attention à l'approche d'un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la présence d'enfants est signalée par des panneaux routiers, qu'ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n'a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu'en ne déduisant pas de ces énonciations l'entière responsabilité de M. Z... la Cour n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement".
SECOND MOYEN DE CASSATION :
."Violation de l'article L 397 du Code de la Sécurité Sociale, 1382 du Code Civil, 593 du Code de la procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale.
EN CE QUE l'arrêt attaqué a déduit de la somme de 4404,50 F allouée à M. X... père à titre de préjudice matériel, la créance de la CPAM de Thionville soit la somme de 2435 F tout en condamnant le prévenu à payer à la CPAM la somme de 2435 F montant des prestations servies à l'occasion de l'accident survenu à la jeune Fatiha.
ALORS QUE, lorsqu'un accident de droit commun dont un assuré social a été la victime est imputable à un tiers, l'action en remboursement des organismes de Sécurité Sociale s'exerce dans la limite de l'indemnité mise à la charge du tiers responsable, à l'exclusion, s'il s'agit d'un accident mortel, de la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit ; que dès lors la Cour d'appel ne pouvait sans se contredire, et violer le principe de la réparation de l'intégralité du préjudice, condamner tout à la fois le tiers responsable, M. Z..., et le père de la victime à rembourser à la Caisse le montant des prestations servies à l'occasion de l'accident survenu à l'enfant Fatiha".
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire ampliatif déposé au Secrétariat-Greffe de la Cour de Cassation par Me Choucroy, avocat de M. et Mme X....
Un mémoire en défense a été produit par Me Célice, avocat de M. Z....
Sur quoi, la Cour, en l'audience publique de ce jour, statuant en Assemblée plénière,
Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 juillet 1980), statuant sur renvoi après cassation, que la jeune Fatiha X..., alors âgée de 5 ans, a été heurtée le 10 avril 1976 sur un passage protégé et a été mortellement blessée par une voiture conduite par M. Z... ; que, tout en déclarant celui-ci coupable d'homicide involontaire, la Cour d'appel a partagé par moitié la responsabilité des conséquences dommageables de l'accident ;
Attendu que les époux X...
Y... font grief à l'arrêt d'avoir procédé à un tel partage alors, selon le moyen, que, d'une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les époux X... soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour d'appel de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l'époque de l'accident, était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; alors, d'autre part, et en tout état de cause, que la Cour d'appel n'a pu, sans contradiction, relever, d'un côté, l'existence d'une faute de la victime et, d'un autre côté, faire état de l'irruption inconsciente de la victime ; alors, enfin, que la Cour d'appel relève que l'automobiliste a commis une faute d'attention à l'approche d'un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la présence d'enfants est signalée par des panneaux routiers, qu'ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n'a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu'en ne déduisant pas de ces énonciations l'entière responsabilité de M. Z..., la Cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement ;
Mais attendu qu'après avoir retenu le défaut d'attention de M. Z... et constaté que la jeune Fatiha, s'élançant sur la chaussée, l'avait soudainement traversée malgré le danger immédiat de l'arrivée de la voiture de M. Z... et avait fait aussitôt demi-tour pour revenir sur le trottoir, l'arrêt énonce que cette irruption intempestive avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l'automobiliste ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes, a pu, sans se contredire, retenir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Z..., à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que les époux X... reprochent à l'arrêt d'avoir déduit de la somme de 4404,50 francs allouée à M. X... père à titre de préjudice matériel, la créance de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (C.P.A.M.) de Thionville soit la somme de 2435 francs tout en condamnant le prévenu à payer à la C.P.A.M. la somme de 2435 francs, montant des prestations servies à l'occasion de l'accident survenu à la jeune Fatiha ; alors que, lorsqu'un accident de droit commun dont un assuré social a été la victime est imputable à un tiers, l'action en remboursement des organismes de Sécurité Sociale s'exerce dans la limite de l'indemnité mise à la charge du tiers responsable, à l'exclusion, s'il s'agit d'un accident mortel, de la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants-droit ; que dès lors, la Cour d'appel ne pouvait, sans se contredire et violer le principe de la réparation de l'intégralité du préjudice, condamner tout à la fois le tiers responsable M. Z..., et le père de la victime à rembourser à la Caisse le montant des prestations servies à l'occasion de l'accident survenu à l'enfant Fatiha ;
Mais attendu qu'ayant, compte tenu du partage de responsabilité, évalué le montant du préjudice matériel subi par M. X..., l'arrêt, sans se contredire, a déduit à bon droit de la somme ainsi déterminée la créance de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois formés contre l'arrêt rendu le 9 juillet 1980 par la Cour d'appel de Nancy ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;