Vu la procédure suivante :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 29 février 2024 du préfet d'Eure-et-Loir l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant la Turquie comme pays de destination de sa reconduite et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de procéder à un nouvel examen de sa situation.
Par un jugement n° 2400841 du 17 avril 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 mai 2024, M. B... C..., représenté par Me Gasner, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) et mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision d'obligation de quitter le territoire français en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnait l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est contraire aux dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
Les écritures de M. C... ont été communiquées au préfet d'Eure-et-Loir qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale sur les droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Aventino a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., de nationalité turque, né le 9 juin 1984 à Varto, déclare être entré en France en 2014. Le préfet d'Eure-et-Loir a, par un arrêté du 29 février 2024, obligé M. C... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a informé de ce qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. M. C... fait appel du jugement du 17 avril 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. / (...) ".
3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, d'admettre provisoirement M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne le moyen du défaut de motivation commun aux décisions en litige :
4. L'arrêté préfectoral contesté du 29 février 2024, pris en l'ensemble de ses décisions, mentionne les éléments de faits propres à la situation personnelle et familiale de M. C... et énonce l'ensemble des considérations de droit sur lesquelles il est fondé. Il est ainsi suffisamment motivé notamment au regard de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indépendamment du bien-fondé des motifs retenus. Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
6. M. C... se prévaut de ce que sa vie privée et familiale est établie en France où il réside depuis 2014 avec sa conjointe de nationalité française et leurs deux enfants français nés les 18 novembre 2016 et 8 décembre 2023 dont il assure l'entretien et l'éducation. S'il produit pour la première fois en appel, des attestations établies en avril 2024 des responsables des établissements scolaires et extra-scolaires fréquentés par son fils ainsi que de quelques voisins, lesquels relèvent son implication dans l'éducation de l'aîné de ses enfants, il ne justifie pas contribuer à l'entretien de ses deux enfants par la production de quelques justificatifs d'achat de vêtements entre 2021 et 2024 et de lait infantile entre avril et juillet 2017. En outre, il ne justifie pas résider de façon stable et continue avec sa compagne alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il a fait l'objet d'une plainte pour violences conjugales en présence de mineur dans laquelle sa conjointe expose vouloir se séparer de M. C..., qu'il quitte le domicile conjugal et que M. C... a déclaré auprès de l'éducateur suivant ses enfants comme lors de son audition du 29 février 2024 par les services de police vouloir abandonner sa famille. Par ailleurs, il ne produit aucune pièce justifiant de la présence en France de ses deux frères et de ses deux sœurs et de leur situation au regard du droit au séjour et ne justifie pas davantage avoir des liens anciens, stables et continus avec eux. Il n'établit pas être dépourvu de liens familiaux dans son pays d'origine où réside notamment sa mère. Enfin, il ne justifie pas d'une intégration sociale ou professionnelle particulière sur le territoire national. Dès lors, compte tenu notamment de ses conditions d'entrée et de séjour en France, où il s'est irrégulièrement maintenu en dépit de deux précédentes obligations de quitter le territoire français prises le 27 septembre 2016 à la suite du rejet de sa demande d'asile et le 16 juin 2020 à la suite du rejet de sa demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, l'obligation de quitter le territoire attaquée ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et, dès lors, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De même, l'obligation de quitter le territoire ne méconnaît pas l'intérieur supérieur de ses enfants et, par suite, les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
7. En second lieu, le requérant ne peut utilement se prévaloir de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne s'appliquent pas aux obligations de quitter le territoire français. Au demeurant, il ne justifie pas de circonstances exceptionnelles au sens de ces dispositions.
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
8. En premier lieu, il ressort de ce qui vient d'être dit que M. C... n'établit pas que la décision d'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'illégalité. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".
10. D'une part, il ressort de la décision en litige que le préfet d'Eure-et-Loir n'a pas fondé sa décision de refus d'un délai de départ volontaire sur le motif que M. C... constituerait une menace pour l'ordre public mais sur les motifs qui relèvent des dispositions des 3° et 5° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui permettent de les regarder comme constituant un risque de fuite de l'étranger. D'autre part, s'il dispose d'une adresse stable et d'un passeport en cours de validité, M. C... ne conteste pas s'être soustrait à deux précédentes mesures d'éloignement. Dans ces conditions, le préfet d'Eure-et-Loire a pu refuser de lui accorder un délai de départ volontaire eu égard au risque qu'il se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. En premier lieu, il ressort de ce qui vient d'être dit que M. C... n'établit pas que la décision d'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'illégalité. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français.
12. En deuxième lieu pour les mêmes motifs que ceux développés au point 4, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la légalité de l'obligation de quitter le territoire français ayant été confirmée, la décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans n'est pas privée de base légale.
14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
15. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
16. Si M. C... se prévaut d'une durée de présence importante en France et de liens privés et familiaux sur le territoire français, il a été exposé au point 4 qu'il ne justifie pas de l'intensité de ses liens à la date à laquelle la décision a été prise. En outre, l'intéressé a déjà fait l'objet de deux mesures d'éloignement le 26 septembre 2016 et le 16 juin 2020 qu'il n'établit ni même n'allègue avoir exécutées. Ces éléments sont de nature à justifier légalement, dans son principe et sa durée, l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans prononcée à son encontre et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, par suite, être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande. Par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction et celles fondées sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : M. C... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : La requête de M. C... est rejetée pour le surplus.
Article 3 : La présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au préfet d'Eure-et-Loire et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
M. A..., premier vice-président de la cour, président de chambre,
Mme Mornet, présidente assesseure,
Mme Aventino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
La rapporteure,
B. Aventino
Le président,
B. A...
La greffière,
I. Szymanski
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24VE01316