Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Frankel a demandé au tribunal administratif de Versailles de lui accorder la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales afférentes laissées à sa charge au titre des exercices clos en 2013 et 2014.
Par un jugement n° 2007953 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a déchargé la SAS Frankel des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés les 30 mars 2023 et 5 mars 2025 et, en dernier lieu, un mémoire récapitulatif, enregistré le 24 avril 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, d'annuler l'article 1er du jugement en tant qu'il décharge la société des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales afférentes au titre de l'année 2013 et de les remettre à la charge de la SAS Frankel pour un montant total de 307 053 euros et, à titre subsidiaire, de réformer le jugement et de remettre à la charge de la SAS Frankel un montant total de 182 361 euros :
Il soutient que :
- il pouvait effectuer la compensation entre les insuffisances et les excès d'imposition de la SAS Frankel au titre de l'exercice clos 2013 et de A... au titre de l'exercice clos en 2013 ;
- à la suite de l'accord amiable visant à éliminer la double imposition économique entre A... et sa société mère allemande, l'existence d'un dégrèvement indu à hauteur de 182 361 euros ne fait plus débat.
Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés le 17 juillet 2023, 21 juin 2024, 15 avril 2025, et, en dernier lieu, un mémoire récapitulatif du 2 mai 2025, la SAS Frankel, représentée par Me Houard, conclut, à titre principal, au rejet du recours et, à titre subsidiaire, à ce que le montant remis à sa charge soit limité à 182 361 euros et, dans tous les cas, à ce que soit mis à la charge de l'État une somme de 5 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- il y a lieu de réajuster la prise en compte du déficit de A... conformément à l'accord amiable accepté par la SAS Frankel en élimination de la double imposition économique résultant des rectifications prononcées par l'administration fiscale à l'encontre de A... ;
- les rectifications proposées par l'administration fiscale à l'encontre de A... ne peuvent lui être opposées dès lors qu'ils n'étaient pas définitifs avant l'acceptation de la proposition amiable en date du 14 février 2024 ;
- avant l'acceptation de la proposition amiable, le désaccord existant avec l'administration fiscale ne permettait pas à cette dernière de tenir compte de la rectification en cours à l'encontre de A... et d'opérer une compensation au titre de l'exercice 2013 n'ayant subi aucun redressement ;
- la société Hubert n'ayant subi aucun redressement au titre de son exercice clos en 2013, l'administration fiscale n'est pas en droit d'opérer une compensation avec les dégrèvements accordés à la SAS Frankel au titre de ce même exercice ;
- l'administration fiscale n'est pas fondée à effectuer une compensation au titre de l'exercice clos en 2013 sur le fondement de l'acceptation de la procédure amiable par la SAS Frankel.
Par ordonnance du 18 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 6 mai 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tar,
- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupe allemand Taakt, spécialisé dans la vente à distance d'équipements de bureau, industriel et de stockage à destination des professionnels, exerçait son activité en France par l'intermédiaire de plusieurs sociétés, la société par actions simplifiée (SAS) Frankel, qui est détenue à 100 % par la société allemande Kaiser+Kraft Europe GmbH, A..., détenue à 100 % par la société allemande Hubert Europa Service GmbH, la SAS Gärner, détenue à 100 % par la société allemande Taakt AG et la SAS Topdek, détenue à 100 % par la SAS Frankel, les sociétés allemandes étant détenues à 100 % par la société allemande Taakt AG. Par un courrier du 8 décembre 2016, la SAS Frankel a sollicité, en tant que société mère française, le bénéfice de l'intégration fiscale avec les SAS Hubert, Gärner et Topdek, l'imputation des déficits de ses sociétés filles pour la détermination du résultat d'ensemble de ce groupe au titre de l'exercice clos en 2013, et par conséquent la restitution de l'impôt sur les sociétés et de la contribution sociale versés au titre de cet exercice, à hauteur de 590 126 euros. Par un courrier du 22 décembre 2017, elle a sollicité l'imputation des déficits des SAS Hubert et Gärner pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe au titre de l'exercice clos en 2014, soit une restitution complémentaire d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale pour un montant total de 21 572 euros. Par une décision du 29 septembre 2020, l'administration fiscale a partiellement admis sa demande présentée au titre de l'exercice clos en 2013, à hauteur de sommes de 274 030 euros pour l'impôt sur les sociétés et de 9 043 euros pour la contribution sociale y afférente, et a rejeté le surplus. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Versailles par lequel ce tribunal a déchargé la SAS Frankel des cotisations d'impôt sur les sociétés et des contributions sociales afférentes, à hauteur de 307 053 euros, au titre de l'exercice clos en 2013.
Sur le moyen de décharge retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. ". Il résulte de ces dispositions que l'administration fiscale est fondée à invoquer des insuffisances ou omissions de toute nature pendant l'instruction de la demande, laquelle doit s'entendre comme prenant effet au plus tôt à compter de l'examen de la réclamation du contribuable par l'administration et se poursuivant pendant toute la durée du contentieux devant le juge administratif de l'impôt statuant au fond sur le litige. L'administration fiscale peut prendre en compte l'ensemble des éléments à sa disposition au cours de cette période qui révèleraient une omission ou une insuffisance dans l'assiette ou le calcul de l'imposition, y compris ceux qu'elle aurait recueillis à l'occasion d'une procédure de contrôle diligentée après la réception de la réclamation.
3. Il résulte de l'instruction que par une réclamation du 8 décembre 2016, la SAS Frankel a sollicité, en tant que société mère française, d'une part le bénéfice de l'intégration fiscale prévue à l'article 223 A du code général des impôts, et d'autre part la restitution, en raison de l'imputation du déficit de la société fille, A..., de l'impôt sur les sociétés et de la contribution sociale versés au titre de cet exercice, à hauteur de 590 126 euros. L'administration fiscale a engagé, le 19 juin 2017, une vérification de comptabilité de A..., portant sur les exercices 2014 à 2016, à la suite de laquelle elle a annulé, après avoir remis en cause des charges pour un montant de 891 731 euros, le déficit de l'exercice 2013 reporté sur les exercices 2014 et suivants. Pour n'accorder que partiellement la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés demandée au titre de l'exercice 2013, l'administration s'est fondée sur la nouvelle détermination du résultat du groupe de l'année 2013 en retenant un bénéfice rectifié de A... à hauteur de 362 126 euros. En procédant à cette nouvelle détermination du résultat de l'exercice 2013 lors de l'instruction de la demande du 8 décembre 2016 de restitution d'imposition au titre de l'exercice 2013, l'administration fiscale n'a pas effectué une compensation entre l'impôt sur les sociétés dû par le groupe au titre de l'exercice clos en 2013 et l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos en 2014 et 2015. Elle a effectué la compensation entre, d'une part, la demande de restitution d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales présentée par la société Frankel au titre de l'exercice 2013, résultant des déclarations des sociétés du groupe et, d'autre part, les insuffisances ou omissions qu'elle avait constatées dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés de A..., membre de ce groupe, au titre de la même année 2013, au cours de la vérification de comptabilité. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour accorder la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales au titre de l'exercice 2013, le tribunal a considéré que l'administration avait opéré une compensation entre des exercices différents en méconnaissance des dispositions de l'article L. 204 du livre des procédures fiscales.
4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la SAS Frankel tant en appel qu'en première instance.
5. En premier lieu, aucune disposition d'aucun texte ni aucun principe de droit ne faisait obstacle à ce que l'administration fiscale procède à cette compensation, quand bien même les insuffisances ont été constatées au cours d'une vérification de comptabilité relative à des exercices postérieurs et que l'exercice 2013 n'avait fait l'objet d'aucun redressement.
6. En deuxième lieu, le principe de présomption de sincérité des déclarations des contribuables ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale, en application des dispositions de l'article L. 203 précité du livre des procédures fiscales, tire les conséquences à l'occasion d'une demande de décharge d'imposition, d'une vérification de comptabilité diligentée après la réception de la réclamation et ayant abouti à rehausser le bénéfice imposable au titre d'un autre exercice d'une société membre d'un groupe. Le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe par la prise en compte d'une imposition non encore définitive doit être écarté. En tout état de cause, A... s'est désistée de son contentieux aux fins de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales au titre des exercices clos en 2014 et 2015, de telle sorte que ces impositions doivent être regardées comme définitives.
7. En dernier lieu, l'administration fiscale n'ayant pas fondé de rehaussement du bénéfice imposable du groupe sur la base de l'acceptation de la procédure amiable du 14 février 2014, qui est relative à l'imposition de A..., le moyen tiré de l'impossibilité d'un tel fondement est inopérant.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a déchargé la SAS Frankel de ses cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales au titre de l'année 2013 à hauteur de la somme de 307 053 euros. Il y a lieu de remettre à la charge de la SAS Frankel ces impositions. Les conclusions, tant principales que subsidiaires, de la SAS Frankel doivent être rejetées, y compris celles aux fins d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Versailles du 1er décembre 2022 est annulé.
Article 2 : Il est remis à la charge de la SAS Frankel les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales au titre de l'exercice clos en 2013 pour un montant de 307 053 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SAS Frankel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SAS Frankel.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Le Gars, présidente,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.
Le rapporteur,
G. TarLa présidente,
A.-C. Le GarsLa greffière,
A. Gauthier
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23VE00902