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08/07/2025 | FRANCE | N°22VE02706

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 08 juillet 2025, 22VE02706


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Etablissements Poulingue a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pointoise d'ordonner la reprise des relations contractuelles concernant le marché public de conception réalisation conclu le 11 juin 2020 avec l'office public de l'habitat (OPH) Levallois Habitat portant sur la surélévation d'un ensemble d'immeubles d'habitation à Levallois et, à titre subsidiaire, de condamner l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat, venant aux droits de l'office pub

lic de l'habitat Levallois Habitat, à lui verser une somme de 1 497 660,99 euros en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Etablissements Poulingue a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pointoise d'ordonner la reprise des relations contractuelles concernant le marché public de conception réalisation conclu le 11 juin 2020 avec l'office public de l'habitat (OPH) Levallois Habitat portant sur la surélévation d'un ensemble d'immeubles d'habitation à Levallois et, à titre subsidiaire, de condamner l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat, venant aux droits de l'office public de l'habitat Levallois Habitat, à lui verser une somme de 1 497 660,99 euros en réparation des préjudices subis à la suite de la résiliation illicite du marché, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2021 et de leur capitalisation, ou à défaut, de condamner l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat à lui verser une indemnité de résiliation d'un montant de 303 789,46 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2021 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 2108171 du 3 octobre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2022, la société Etablissements Poulingue, représentée par Me Tarteret, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 2108171 du 3 octobre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en ce qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat à lui verser la somme de 1 495 430,99 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de cette requête et de la capitalisation ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat à lui verser la somme de 216 430 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de cette requête et de la capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société des Etablissements Poulingue soutient que :

- le tribunal administratif a retenu à tort que ses conclusions indemnitaires étaient irrecevables pour avoir été introduites devant le tribunal de manière prématurée sans attendre la fin du délai de 30 jours prévu par les stipulations de l'article 50-1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) de travaux pour répondre à son mémoire en réclamation ; en effet, seule une liaison du contentieux était nécessaire, par l'envoi d'un mémoire en réclamation, pour qu'une décision naisse avant que le juge n'ait statué ;

- la résiliation est illégale dès lors qu'elle n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général ; la volonté de lutter contre la densification va à l'encontre de l'objectif de construction de logements sociaux ; cet abandon est seulement justifié par des considérations politiques ; le motif tiré de la contestation par certains habitants ne peut être soutenu dès lors que les contestations existaient déjà lors de l'attribution du marché ;

- cette résiliation est illégale dès lors qu'elle n'a pas été motivée, en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle a subi des pertes correspondant à des frais généraux et particuliers, correspondant à des heures travaillées en phase commerciale de mars 2019 à juin 2020 et en phase de conception du chantier de juin 2020 au 29 avril 2021 et des fournitures déjà commandées, soit un total général pour les frais engagés de 216 430 euros ;

- elle a subi un préjudice pour la période partant du mois de juin 2021 avec un conducteur de travaux et un chef de chantier et plusieurs autres personnes pour un coût de 215 048,93 euros et pour des travaux en phase chantier, charpente et atelier serrurerie pour un montant de 287 828,53 euros ; à ces sommes doivent s'ajouter une partie des frais généraux de fonctionnement d'un montant de 743 429,04 euros ;

- elle a aussi subi un manque à gagner, estimé à la somme de 132 786,39 euros ;

- elle est ainsi fondée à demander une indemnisation totale d'un montant de 1 497 660,99 euros ;

- à titre subsidiaire, dans le cas d'une résiliation régulière, elle aurait droit à demander une indemnisation sur le fondement de l'article 15 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) d'un montant correspondant à 2 % du montant du marché, déduction faite des sommes déjà perçues, soit la somme de 87 359,46 euros, qu'elle a déjà perçue ;

- elle a droit aussi sur le fondement de l'article 46-4 du CCAG au paiement des sommes engagées pour des frais et investissements, en phase commerciale et en phase de conception pour un montant de 216 430 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2023, l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat, représentée par la Selas Fidal, conclut :

1°) au rejet de la requête de la société Etablissements Poulingue ;

2°) à la mise à la charge de la société Etablissements Poulingue de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête initiale devant le tribunal administratif était irrecevable ; en effet, sa demande indemnitaire s'inscrit dans le cadre de l'article 50 du CCAG de travaux de 2009 et le recours contentieux ne peut intervenir qu'à l'issue de la procédure de réclamation et non postérieurement à elle ;

- il n'y a aucune corrélation entre le recours en contestation de validité de résiliation et la demande indemnitaire ; le caractère définitif du décompte est sans incidence sur la recevabilité de la requête ;

- la demande n'est pas fondée au titre de l'article 15 et de l'article 46.4 du CCAG de travaux ;

- au titre de l'article 46.4 du CCAG, le caractère strictement nécessaire des frais et investissements n'est pas établi ;

- les dépenses de frais et investissements ne peuvent recouvrir les frais de candidatures dites en phase commerciale ; les frais relatifs à l'offre ne peuvent être considérés comme des dépenses indemnisables sur ce fondement ;

- les dépenses dites en phase de conception ne peuvent avoir eu lieu dès lors que la résiliation est intervenue avant le démarrage des prestations et avant l'ordre de service (OS) de préparation des travaux ;

- en ce qui concerne l'indemnisation en raison de la faute de l'OPH, la société requérante ne démontre aucune faute ; les motifs invoqués sont parfaitement justifiés ; la motivation de la décision de résiliation n'est pas requise dès lors qu'il ne s'agit pas d'une résiliation-sanction ; en tout état de cause, la résiliation étant justifiée au fond, le moyen tiré d'une motivation insuffisante est inopérant ;

- la société requérante n'a de toutes façons subi aucun préjudice ; elle n'a droit qu'à ce qui est prévu au contrat ; elle n'a subi de préjudices qu'en raison de ses propres fautes ;

- s'agissant des dépenses engagées, aucune dépense nécessaire n'était prévue avant l'admission de la phase PRO (mission 4) alors que la résiliation est intervenue en phase 3 ; elle n'a droit à aucune indemnisation au titre de la phase commerciale et de la phase de conception du chantier ;

- s'agissant de frais futurs, ces préjudices ne sont pas établis autant pour les coûts salariaux que pour les frais généraux ;

- s'agissant du manque à gagner, cette demande qui correspond à 3,04 % de marge nette n'est pas justifiée ; elle a déjà versé la somme de 87 359,46 euros au titre du manque à gagner.

Par un courrier, enregistré le 10 décembre 2024, l'OPH Rives de Seine Habitat a informé la cour que la société SAS Etablissements Poulingue a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire en mars 2024, assortie d'un plan de cession et que le tribunal de commerce de Rouen a désigné Me Béatrice Pascual comme mandataire judiciaire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jambu-Merlin, pour l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence paru le 21 février 2019, l'office public de l'habitat (OPH) Levallois Habitat, devenu à compter du 1er juillet 2022 l'OPH Rives de Seine Habitat, a lancé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché public de conception-réalisation portant sur la surélévation d'un ensemble d'immeubles d'habitation sur le territoire de la commune de Levallois. Le 11 juin 2020, l'OPH a attribué le contrat à un groupement conjoint d'entreprises composé des sociétés Ve Fi Co Architectes SARL, Etablissements Poulingue, I+A Laboratoire des structures, Ecotech, Acce Bureau d'Etudes Techniques, Béhi ainsi qu'Acoustique Vivié et Associés. Par un courrier du 29 avril 2021, le maitre d'ouvrage a toutefois notifié à la société Ve Fi Co Architectes SARL, en sa qualité mandataire du groupement, la résiliation du marché pour motif d'intérêt général. La société Etablissements Poulingue a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre principal, d'ordonner la reprise des relations contractuelles, à titre subsidiaire, de condamner l'OPH à lui verser la somme de 1 497 660,99 euros ou, à défaut, la somme de 303 789,46 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2021 et de leur capitalisation. La société Etablissements Poulingue demande l'annulation du jugement du 3 octobre 2022 en tant que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à condamner l'OPH à lui verser la somme de 1 497 660,99 euros en réparation des préjudices subis à la suite de la résiliation illicite du marché.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En vertu de l'article 2.2 de l'acte d'engagement, les parties ont décidé, s'agissant de l'exécution du contrat en litige, de faire application du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés publics de travaux approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 et modifié par arrêté du 3 mars 2014.

3. L'article 50.1.1 du CCAG applicable stipule que : " Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants (...) ". Aux termes des articles 50.1.2 et 50.1.3 : " Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. (...) L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire ". L'article 50.3.1 prévoit que : " A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation ". Il résulte de la combinaison de ces stipulations que la personne responsable du marché dispose d'un délai de trente jours pour répondre à la réclamation de l'entrepreneur. Cependant, la présentation d'une demande au tribunal administratif avant l'expiration de ce délai n'a pas pour effet de rendre la demande irrecevable, lorsqu'une décision de rejet, née le cas échéant de la prolongation du silence de la personne responsable du marché, fait obstacle au jour du jugement à ce qu'une fin de non-recevoir tirée du caractère prématuré de cette demande soit opposée au requérant.

4. Il résulte de l'instruction que l'OPH Levallois Habitat a résilié le 29 avril 2021, pour un motif d'intérêt général, le marché public de conception-réalisation, conclu le 11 juin 2020 avec le groupement conjoint d'entreprises mentionné au point 1, matérialisant ainsi un différend entre le pouvoir adjudicateur et la société requérante. Par un courrier du 18 juin 2021, notifié le 21 juin suivant au maître de l'ouvrage, la société Etablissements Poulingue a contesté la résiliation du contrat au motif qu'elle n'était pas fondée sur un motif d'intérêt général et indiqué qu'elle demandait le versement à titre principal de la somme de 1 495 430,99 euros ou, à titre subsidiaire la somme de 303 789, 46 euros, de sorte que ce courrier doit être regardé comme le mémoire en réclamation au sens de l'article 50.1.1 du CCAG de travaux de 2009. Si la société requérante a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise par une requête enregistrée le 23 juin 2021, soit seulement trois jours après réception par l'OPH du mémoire en réclamation, il n'est pas contesté que l'OPH n'a pas apporté de réponse dans le délai de trente jours après réception de ce mémoire en réclamation, faisant naître, au terme de ce délai, une décision implicite de rejet de la demande de la société requérante, soit le 23 juillet 2021. Dès lors qu'au jour du jugement de la requête devant le tribunal administratif, le 3 octobre 2022, le pouvoir adjudicateur avait apporté une réponse à la réclamation de la société requérante, sa requête enregistrée le 23 juin 2021 ne peut être regardée comme irrecevable. En rejetant comme telle la demande indemnitaire, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a entaché son jugement d'une irrégularité et doit être annulé en tant qu'il statue sur les demandes indemnitaires de la société requérante.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande indemnitaire présentée par la société requérante devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Sur l'indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation :

6. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.

7. Les dépenses utiles comprennent, à l'exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration. Ne peut être prise en compte que la quote-part des frais généraux directement liée à l'exécution du marché et à ce titre utile à la personne publique.

8. Par ailleurs, aux termes de l'article 45 du CCAG de travaux de 2009, applicable au marché : " (...) Le pouvoir adjudicateur peut également mettre fin, à tout moment, à l'exécution des prestations pour un motif d'intérêt général. Dans ce cas, le titulaire a droit à être indemnisé du préjudice qu'il subit du fait de cette décision, selon les modalités prévues à l'article 46.4. / La décision de résiliation du marché est notifiée au titulaire. Sous réserve des dispositions particulières mentionnées à l'article 47, la résiliation prend effet à la date fixée dans la décision de résiliation ou, à défaut, à la date de sa notification. / Le règlement du marché est effectué alors selon les modalités prévues aux articles 13.3 et 13.4, sous réserve des stipulations de l'article 47./ L'article 46 précise, selon les cas, si le titulaire a droit à être indemnisé du fait de la décision de résiliation. ". L'article 46.4 du même CCAG prévoit que : " Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité. / Le titulaire doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de deux mois, compté à partir de la notification de la décision de résiliation. ".

9. Et aux termes de l'article 15 du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché : " Le pouvoir adjudicateur peut prononcer la résiliation du marché conformément aux dispositions prévues par l'article 45 et suivant du CCAG-travaux./ Si le représentant du pouvoir adjudicateur résilie le marché pour un motif d'intérêt général avant la notification de l'ordre de service de préparation des travaux, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé à 2% (...) ".

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices subis du fait d'une résiliation illégale :

10. La société requérante soutient que l'OPH aurait entaché d'illégalité la décision de résiliation du marché du 29 avril 2021, en se fondant sur un motif autre que l'intérêt général et en omettant de motiver cette décision.

11. Il résulte de l'instruction que cette résiliation est justifiée par la volonté de la commune de Levallois de ne pas accentuer la densification de la ville et alors que ce projet de surélévation d'immeubles était contesté par des riverains, de sorte que la volonté d'abandonner ce projet de construction pour des motifs de politique publique doit être regardée comme répondant à un motif d'intérêt général.

12. Par ailleurs, la société requérante soutient que cette décision de résiliation est entachée d'illégalité en l'absence de motivation. A supposer même que la motivation d'une telle décision pour un motif d'intérêt général soit nécessaire, et alors que cette résiliation n'a pas été prise à titre de sanction, la faute qui en serait résultée serait sans lien avec le préjudice allégué tenant à des pertes financières pour des actions engagées par la société Etablissements Poulingue avant l'ordre de démarrer les travaux, concernant notamment des travaux réalisés par du personnel de l'entreprise, la participation à des réunions ou encore la commande de certains matériaux.

13. La société requérante n'est ainsi pas fondée à se prévaloir d'une faute de l'OPH dans la résiliation du marché de nature à lui ouvrir droit à une indemnisation.

En ce qui concerne l'indemnisation des dépenses, frais et investissements nécessaires à la réalisation du chantier :

14. La société requérante demande aussi l'indemnisation de ces mêmes préjudices au motif que des travaux ont été réalisés ou des frais et investissements engagés et étaient nécessaires pour la réalisation du marché.

15. Elle demande, en premier lieu, une indemnisation des heures de travail de son chargé d'affaire et du personnel de l'entreprise ainsi que du temps passé en réunions avec le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, entre le mois de mars 2019 et le 19 juin 2020, date de la notification du marché, aux fins de préparation de son offre. Toutefois, l'indemnisation de ces frais, qui sont compris dans le prix global et forfaitaire, fait déjà l'objet d'une indemnisation au titre de la perte de bénéfice. Elle demande, en deuxième lieu, une indemnisation des heures de travail de son personnel entre le 19 juin 2020 et le 29 avril 2021, date de la résiliation du marché. Toutefois, ces frais, correspondant à des dépenses de personnel pour suivre l'évolution du chantier, participer à des réunions et à des frais de déplacement, ont été engagés avant tout ordre de service de démarrage du chantier, et ne sont justifiés que par des tableaux retraçant le coût de ce personnel. Aucun élément n'est produit sur le travail qui aurait été effectué, sur les réunions organisées avec la maitrise d'œuvre ou d'ouvrage ou sur les frais de déplacements réalisés. Elle demande, en troisième lieu, l'indemnisation de dépenses qui auraient dû être réalisées à compter du mois de juin 2021, avec notamment le travail d'un chef de chantier et d'un conducteur de travaux, au motif que ces personnes étaient prévues pour le chantier et qu'elle a été contrainte d'assurer le paiement de leur salaire. Toutefois, aucune activité n'a été réalisée à ce titre et la société requérante n'apporte aucun élément de nature à établir l'impossibilité de faire travailler ce personnel sur d'autres chantiers ou pour d'autres types d'activité. Enfin, la société Etablissements Poulingue demande l'indemnisation au titre d'une commande de fournitures de Kerto Ripa, caissons préfabriqués nécessaires à la construction d'une charpente, passée le 15 avril 2021. Toutefois, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que ces matériaux ne pouvaient être utilisés que pour la construction de la charpente du projet ayant fait l'objet d'une résiliation ou qu'elle aurait eu à supporter des frais de garde de ces matériaux. Dès lors, en l'absence d'éléments suffisamment précis, détaillés et probants, elle n'établit pas que l'OPH serait redevable du paiement de travaux ou de fournitures strictement nécessaires pour la réalisation du chantier au titre de l'article 46-4 du CCAG de travaux pour des montants de 216 430 euros hors taxes, 215 048,93 euros hors taxes, 215 048,93 euros hors taxes et 189 966,63 euros hors taxes.

16. En dernier lieu, la société Etablissements Poulingue soutient que la résiliation du marché a eu pour conséquence de la priver de la possibilité de couvrir ses frais généraux de fonctionnement pour un montant de 743 429,04 euros hors taxes. Toutefois, en l'absence de réalisation des travaux, la société requérante n'établit pas avoir subi à ce titre un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnisation de la perte du bénéfice attendu.

En ce qui concerne l'indemnisation de la perte de bénéfice :

17. La société Etablissements Poulingue demande l'indemnisation de son manque à gagner pour un montant de 132 786,39 euros en se fondant sur une marge nette de 3,04 % au titre du marché résilié. Toutefois, en vertu de l'article 15 du cahier des clauses administratives particulières du marché résilié, lorsque le marché est résilié pour un motif d'intérêt général avant la notification de l'ordre de service de préparation des travaux, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé à 2 %. Or, il n'est pas contesté que le marché a été résilié sans qu'un ordre de service de préparation des travaux prévu pour l'entreprise requérante ne soit intervenu. La société requérante n'a donc droit qu'au paiement d'une somme correspondant à une marge nette de 2 %, soit la somme de 87 359,46 euros dont il n'est pas contesté qu'elle lui a déjà été versée par l'OPH.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les demandes indemnitaires de la société Etablissements Poulingue, placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 12 mars 2024, et ayant comme liquidateur judiciaire Me Béatrice Pascual, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. L'OPH Rives de Seine Habitat n'étant pas la partie perdante à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société Etablissements Poulingue tendant à mettre une somme à sa charge. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du mandataire liquidateur de la société Etablissements Poulingue une somme à verser à l'OPH Rives de Seine Habitat au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 octobre 2022 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires de la société Etablissements Poulingue.

Article 2 : La demande indemnitaire de la société Etablissements Poulingue et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de l'OPH Rives de Seine Habitat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me Béatrice Pascual, liquidateur judiciaire de la société Etablissements Poulingue et à l'office public de l'habitat Rives de Seine Habitat.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.

Le rapporteur,

J-E. PilvenLe président,

F. EtienvreLa greffière,

S. Diabouga

La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22VE02706 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02706
Date de la décision : 08/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ETIENVRE
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : TARTERET AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-08;22ve02706 ?
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