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12/06/2025 | FRANCE | N°23VE02668

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 3ème chambre, 12 juin 2025, 23VE02668


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Strudal Préfabriqués a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008, 2009 et 2010, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 avril 2011, ainsi que le versement d'intérêts morat

oires et le maintien du sursis de paiement.



Par un jugement n° 1704939 du 12 décembre 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Strudal Préfabriqués a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008, 2009 et 2010, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 avril 2011, ainsi que le versement d'intérêts moratoires et le maintien du sursis de paiement.

Par un jugement n° 1704939 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 février 2020, 21 octobre 2020 et 15 décembre 2020, la SAS Strudal Préfabriqués, représentée par Me Matko, puis Me Humery, a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 14 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que le tribunal n'a pas pris en compte ses mémoires en réplique ;

- eu égard à l'importance des services fournis par sa société mère, la société Dal Industries, et à la participation de celle-ci à ses risques d'exploitation, la rémunération de ces prestations par référence à un pourcentage du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé est justifiée ; la société Dal Industries est apporteur d'affaires de sorte que sa prestation ne peut être assimilée à un service intragroupe à faible valeur ajoutée ;

- les termes de comparaison retenus par l'administration ne sont pas pertinents ; la marge réalisée en moyenne sur les trois années rectifiées équivaut à celle que le service a appliquée ;

- c'est à tort que le service et le tribunal ont remis en cause la déductibilité des charges de sous-traitance des travaux de finition aux sociétés ABMG, EBR, Construction TP ;

- l'abandon de la créance détenue sur la société BL Invest, devenue Thalium promotion Ile-de-France, est justifiée eu égard à ses liens commerciaux avec cette société et aux difficultés que connaissait cette société ; la stipulation d'une clause de retour à meilleure fortune dans la convention d'abandon de gestion ne s'opposait pas à ce que soit constaté le caractère définitif de cette remise de dette.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 juillet 2020, 17 novembre 2020 et 4 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a conclu au rejet de la requête en faisant valoir que ces moyens n'étaient pas fondés.

Par un arrêt n° 20VE00491 du 5 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa demande.

Par une décision n° 458981 du 6 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur la déductibilité des factures émises par les sociétés ABMG, EBR et Construction TP au regard de l'impôt sur les sociétés et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23VE02668.

Procédure devant la cour après cassation :

Par des mémoires enregistrés les 8 et 18 janvier 2024, la SAS Strudal Préfabriqués, représentée par Me Humery, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 décembre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités afférentes résultant du rejet de la déductibilité des factures des sociétés ABMG, EBR et Construction TP au titre des années 2008 à 2010 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités afférentes, correspondant à la déductibilité de ces charges ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les factures des sociétés AMBG, EBR et Construction TP constituent des détournements de fonds commis à son détriment ; les auteurs de ce détournement ne font pas partie de ses dirigeants ; M. A..., qui était salarié, n'était qu'associé très minoritaire à hauteur de 2 actions sur les 42 166 actions de son capital et les deux autres auteurs n'ont aucun lien avec elle ;

- son président directeur général n'a jamais eu connaissance du circuit de fausses factures et n'a d'ailleurs jamais été mis en cause dans la procédure pénale visant M. A... ; il n'y a aucune preuve de carence manifeste dans l'organisation de l'activité dès lors que l'expérience et les fonctions de M. A... justifiaient une pleine confiance du président et les factures, ainsi que les prestations qui y étaient mentionnées, avaient une apparence vraisemblable ;

- en conséquence, ces charges sont intégralement déductibles.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de le requête, en faisant valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Liogier,

- et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Strudal Préfabriqués, créée en 1986 qui fabrique des planchers et des structures en béton à Engeville (Loiret) et Bazouges (Mayenne), a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité portant sur les exercices clos en 2008 à 2010. A l'issue de ce contrôle, l'administration lui a notifié des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés à raison, notamment, de factures fictives provenant de ses fournisseurs ABMG, EBR et Construction TP. Par un arrêt n° 20VE00491 du 5 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions ainsi mises à sa charge. Par une décision du 6 décembre 2023, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur la déductibilité des factures émises par les sociétés ABMG, EBR et Construction TP au regard de l'impôt sur les sociétés et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.

Sur la régularité du jugement :

2. La SAS Strudal Préfabriqués soutient que le caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle a été méconnu. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance, notamment du jugement qui vise et analyse l'ensemble des écritures échangées par les parties, que le tribunal n'a pas tenu compte des mémoires en réplique produits par la société requérante. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble de ses arguments, ont par ailleurs suffisamment exposé les motifs pour lesquels ils estimaient devoir rejeter la requête, de sorte que le moyen d'insuffisance de motivation manque en fait.

Sur le bien-fondé des impositions :

3. En cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. Il en va ainsi, en particulier, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers. En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.

4. Il résulte de l'instruction, notamment des termes des propositions de rectification du 16 décembre 2011 et 4 juillet 2012, que la SAS Strudal Préfabriqués a comptabilisé des factures provenant de ses fournisseurs ABMG, Construction TP et EBR, sous couvert de travaux de finition sur ses ouvrages en béton avant remise aux clients, pour des montants de 607 134 euros en 2008, 619 255 euros en 2009 et 155 418 euros en 2010. L'administration a considéré que ces factures ne correspondaient à aucune prestation réellement rendue, les a qualifiées de factures fictives, ce que la société requérante ne conteste plus, et en a refusé la déduction. Il résulte de l'instruction que ces factures fictives constituaient des détournements de fonds au détriment de la société, auxquels participait M. A..., recruté par la société par contrat du 2 mai 1998 en qualité de directeur du département plancher et du site d'Engeville, d'ailleurs poursuivi au plan pénal pour ces faits. Dans ce cadre, M. A... qui s'était entendu avec les dirigeants et associés des fournisseurs, a fait établir les factures avec leur en-tête respective, par sa secrétaire à Engeville, ou a donné les éléments nécessaires à l'établissement de ces fausses factures, et a, soit encaissé les sommes directement, soit perçu des rétrocommissions sur les sommes versées aux fournisseurs.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que le capital de la SAS Strudal Préfabriqués est quasi intégralement détenu par la société DAL Industries et par M. Legeai, président de la société, M. A... disposant de 0,0047 % des parts. Il détient également 449 des 267 000 actions des parts de la société DAL Industries, soit moins de 0,0017 % du capital de la société mère. Il s'ensuit que M. A... n'est actionnaire, directement et indirectement, de la SAS Strudal Préfabriqués qu'à hauteur de moins de 0,006 %. Par ailleurs, et contrairement à ce que fait valoir le ministre, depuis la transformation de la société Strudal Préfabriqués en SAS par une décision de l'assemblée générale extraordinaire du 2 décembre 2002, il ressort de ses statuts, conformément aux dispositions applicables du code de commerce, qu'elle est dirigée par un président avec, le cas échéant, le concours de directeurs généraux délégués que ce président a la possibilité de nommer, possibilité dont rien au dossier n'indique qu'il aurait été fait usage en l'espèce. La société n'ayant en revanche plus de conseil d'administration, l'ancienne qualité d'administrateur de la société de M. A... ne pouvait plus lui permettre d'exercer par ce biais un contrôle de la société durant les exercices en litige. En conséquence, en dépit du niveau élevé des responsabilités de M. A... au sein de la société, il n'était pas l'un de ses principaux dirigeants, ni un de ses mandataires sociaux, ni un de ses associés, mais bien un salarié, lié à la SAS Strudal Préfabriqués par contrat du 2 mai 1998.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction que les factures litigieuses, qui ont été rédigées, pour une partie, au sein même des services de la société requérante, comportaient des anomalies, en ne faisant pas mention, par exemple, des dates d'intervention sur les chantiers, qu'elles n'étaient accompagnées ni de bon de commande, ni de procès-verbal de réception des travaux, et qu'au moins l'une d'entre elles comportait un montant de travaux anormalement élevé pour des travaux de finition. Il résulte également de l'instruction que la société requérante, malgré une expérience dans le domaine des travaux, n'effectuait pas les vérifications d'usage sur ses fournisseurs, en méconnaissance de ses obligations découlant du code du travail, les trois fournisseurs impliqués, de création récente, n'étant pas à jour de leurs déclarations fiscales et sociales. Auditionné dans le cadre de la procédure pénale, M. A... a reconnu ne disposer d'aucun dossier de sous-traitance et ne jamais rédiger, notamment, de contrats de sous-traitance. De plus, les factures litigieuses ont pu être émises régulièrement, sur trois années, pour plus d'un million d'euros, et payées, notamment grâce aux délégations de signature et procuration bancaire données à M. A..., sans limite de montant, et sans qu'un contrôle ne puisse détecter la fraude, avant l'enquête de police en 2011. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les factures litigieuses n'ont pu être comptabilisées et payées, au profit de M. A..., que du fait de carences graves dans l'organisation et les contrôles mis en place des dirigeants de la société requérante et, par suite, quand bien même le président de la société ignorait le circuit de fraude mis en place, ces factures ne constituent pas des charges déductibles du résultat imposable à l'impôt sur les sociétés.

7. Il résulte de ce qui précède que la SAS Strudal Prefabriqués n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés, à raison des factures ABMG, Construction TP et EBR. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la requête de la SAS Strudal Prefabriqués tenant à l'annulation du jugement du 12 décembre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande de décharge des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à raison des factures ABMG, Construction TP et EBR, celles tendant à la décharge de ces impositions et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Strudal Préfabriquées et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente,

Mme Danielian, présidente assesseure,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.

La rapporteure,

C. LiogierLa présidente,

L. Besson-Ledey

La greffière,

T. Tollim

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23VE02668 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE02668
Date de la décision : 12/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Claire LIOGIER
Rapporteur public ?: M. ILLOUZ
Avocat(s) : SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-12;23ve02668 ?
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