Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. BC... AB..., M. AU... AO..., Mme AQ... AM... épouse BB..., M. AH... L..., Mme Y... AW..., M. AK... BE..., Mme AC... BD... épouse BJ..., Mme AJ... Z... épouse G..., M. W... AL..., M. BG... AA..., M. BF... AA..., M. AU... R..., M. N... A..., M. AF... BK..., M. C... AX..., Mme H... BA..., M. AP... BN... BB..., Mme AZ... Z..., Mme AS... AR..., M. D... AX..., Mme K... O..., M. P... AN..., M. T... AT..., M. I... AG..., M. J... BJ..., Mme U... AI..., M. Q... BB..., M. AE... B..., M. E... F..., M. AV... BM..., M. C... BH..., M. V... S..., M. AD... X..., M. AY... BL... et Mme M... BI... ont demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du maire de Saintry-sur-Seine du 21 février 2022 portant interdiction de rassemblements sur la voie publique pour une période de 90 jours.
Par un jugement n° 2202249 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 janvier et 19 mai 2023, ainsi que les 2 février et 5 mars 2024, Mme AR..., M. AP... BB..., M. BK..., M. Q... BB..., M. AB..., M. BF... AA..., M. S..., M. X..., M. AN..., M. BJ..., M. R..., M. BL..., M. BE..., Mme BA..., M. BH..., M. AX..., M. A..., Mme AW... et M. AO..., représentés par Me de Combles de Nayves, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saintry-sur-Seine une somme de 200 euros par requérant, excepté M. AO..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme AR... et autres soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il méconnaît le principe du contradictoire, dans la mesure où il s'appuie sur une réponse de la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Evry du 18 mars 2021 qui n'a pas été versée au dossier ;
- il ne justifie pas du caractère nécessaire, adapté et proportionné de l'arrêté en litige ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il n'a fait l'objet d'aucune mesure de publicité de nature à le rendre applicable ;
- la réalité des troubles à l'ordre public sur lesquels il se fonde n'est pas établie ;
- les atteintes qu'il porte à la liberté d'aller et venir, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'avoir une vie familiale normale sont disproportionnées à l'objectif poursuivi, compte tenu du nombre de personnes interdites de se rassembler, de la plage horaire et de la zone géographique concernées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 avril et 20 décembre 2023 ainsi que les 21 février et 2 mai 2024, la commune de Saintry-sur-Seine, représentée par Me Meyer, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- M. V... S..., qui n'est pas domicilié à Saintry-sur-Seine, n'a pas intérêt à agir contre l'arrêté du 21 février 2022 ;
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu, le courrier de la procureure de la République du 18 mars 2021 n'ayant pas constitué un élément déterminant pour le tribunal administratif et celui-ci s'étant fondé sur le courrier du 14 février 2022 qui avait été communiqué aux parties ;
- ce tribunal a correctement apprécié le caractère nécessaire, adapté et proportionné de la mesure litigieuse ;
- l'absence de réponse pénale aux plaintes des administrés est sans influence sur le caractère nécessaire d'une mesure de police administrative ;
- la circonstance, qui n'est au demeurant pas établie, que l'application de l'arrêté aurait donné lieu à des contrôles abusifs est sans incidence sur la légalité de ce dernier ;
- les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bahaj,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Thiault pour la commune de Saintry-sur-Seine.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 21 février 2022, le maire de Saintry-sur-Seine a interdit les rassemblements et les regroupements de trois personnes et plus, occupant l'espace public de manière prolongée et susceptibles de causer des nuisances sonores ou des troubles de voisinage, autres que ceux autorisés par lui-même ou liés à des fêtes locales et manifestations dûment autorisées par la commune, sur une période de 90 jours, du lundi au dimanche de 18h00 à 7h00, sur la voie publique et dans les lieux publics à l'intérieur d'un périmètre défini par : le parvis de la mairie et son parking, l'esplanade de la demi-lune et son parking ainsi que le parking de la pharmacie de la mairie. Mme AR... et autres relèvent appel du jugement du 8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ", le juge d'appel doit apprécier la motivation d'un jugement en fonction de l'argumentation plus ou moins détaillée invoquée devant le juge de première instance.
3. Les requérants soutiennent que le tribunal administratif n'a pas suffisamment exposé les raisons pour lesquelles l'interdiction prononcée par le maire était, à l'égard des autres habitants de la commune que les élus locaux, adaptée, nécessaire et proportionnée aux nécessités de l'ordre public. Toutefois, alors qu'il ressort de la demande de première instance que l'argumentation des intéressés sur ce point s'est limitée à une phrase, il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était au demeurant pas tenu de répondre à tous les arguments invoqués devant lui, a suffisamment détaillé, aux points 2, 5 et 6 de son jugement, les raisons pour lesquelles l'interdiction de rassemblement prononcée par l'arrêté litigieux était à la fois nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi de sauvegarde de l'ordre public. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué sur ce point doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) ".
5. Il ressort du point 6 du jugement attaqué que, pour considérer les troubles à l'ordre public invoqués par la commune comme étant établis et toujours actuels malgré les multiples interventions des forces de gendarmerie, le tribunal administratif s'est notamment fondé sur un courrier du 14 février 2022, adressé par la députée de la 9ème circonscription de l'Essonne au garde des Sceaux, faisant état d'échanges, en date des 12 février et 18 mars 2021, entre la députée et la procureure de la République, au cours desquels la première aurait été informée de ce que plusieurs plaintes avaient été regroupées et confiées à un service de gendarmerie spécialisé. Dès lors que ce courrier du 14 février 2022, produit par la commune de Saintry-sur-Seine en première instance, a été communiqué le 7 juillet 2022 aux requérants, le caractère contradictoire de l'instruction a été respecté. La seule circonstance que la réponse de la procureure de la République du 18 mars 2021 n'ait pas figuré au dossier ne saurait faire regarder le tribunal administratif comme s'étant fondé sur des éléments non préalablement soumis au contradictoire.
6. En dernier lieu, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la critique formulée par les requérants au titre de la " légalité interne " du jugement attaqué est inopérante et doit être écartée.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". L'obligation de motivation imposée par ces dispositions ne concerne que les actes présentant le caractère de décisions administratives individuelles.
8. En l'espèce, l'arrêté contesté, qui interdit les rassemblements sur la voie publique de trois personnes et plus durant une période de 90 jours dans le périmètre géographique qu'il détermine présente, de par le caractère général des prescriptions qu'il édicte, un caractère règlementaire. Par suite, cet arrêté n'est pas au nombre des actes soumis à une obligation de motivation sur le fondement de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et le moyen soulevé en ce sens doit être écarté, comme inopérant.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage (...) ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) ".
10. La circonstance, à la supposer avérée, qu'à défaut d'avoir été régulièrement publié l'arrêté attaqué n'aurait pas acquis de caractère exécutoire est sans influence sur sa légalité. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que cet arrêté avait été affiché en mairie à compter du 28 février 2022. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, en vertu de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet de département, de la police municipale qui, aux termes de l'article L. 2212-2 : " (...) a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, (...) ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ; / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (...) ".
12. Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 11 du maintien de l'ordre dans la commune, il doit concilier l'accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire édicte en vue de réglementer les rassemblements doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l'ordre public, telles qu'elles découlent des circonstances de temps et de lieu. Il n'appartient pas au maire de se fonder sur d'autres considérations et les restrictions qu'il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public.
13. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et notamment de 14 attestations produites par la commune, émanant d'habitants de Saintry-sur-Seine, de cinq élus de la majorité municipale et du président de l'association Agir et Défendre les Intérêts de Saintry-sur-Seine et de ses environs (ADISSE), qu'à la date de l'arrêté attaqué, entre 20 et 30 personnes avaient pris l'habitude, depuis plusieurs mois, de se rassembler quotidiennement en fin de journée sur le parvis et aux abords de la mairie. Le comportement de ces individus, qui se livraient à des intimidations et provocations incessantes envers le maire et sa majorité, à des jeux de ballons dangereux pour la sécurité des personnes et des véhicules, à des incivilités telles que des nuisances sonores, des jets de projectiles ou des dépôts de détritus, et avaient une attitude hostile envers la population, bloquant notamment les véhicules ou y déposant leurs canettes de boissons et proférant des remarques sexistes envers les jeunes femmes traversant la place, est ainsi établi par les attestations précitées, qui ne sont pas utilement remises en cause par les témoignages produits en appel par les requérants, qui, outre qu'ils ont été pour la plupart rédigés par ces derniers, se bornent à nier dans des termes généraux l'existence de troubles à l'ordre public et à réprouver les contrôles effectués par les forces de gendarmerie en exécution de l'arrêté attaqué. En outre, les 14 attestations concordantes précitées sont notamment corroborées par le courrier du 14 février 2022 adressé par la députée de la 9ème circonscription de l'Essonne au ministre de la justice, faisant état du dépôt de plusieurs plaintes confiées à une brigade spécialisée, ainsi que par la question posée le 16 février 2022 au même ministre par le sénateur de l'Essonne, portant sur le niveau très élevé des agressions contre les élus " avec une attention toute particulière pour (...) [le] maire de Saintry-sur-Seine ". Par suite, les troubles précités, qui sont établis contrairement à ce que soutiennent les requérants, justifiaient que le maire prît une mesure de police sur le fondement des dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
14. D'autre part, l'arrêté attaqué interdit, non pas tous les rassemblements de trois personnes et plus de manière générale mais seulement ceux " occupant l'espace public de manière prolongée et susceptibles de causer des nuisances sonores ou des troubles de voisinage ". De plus, il réserve la possibilité de se rassembler lors de fêtes locales ou de manifestations dûment autorisées par la commune de sorte que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, une mère et ses deux enfants ne se voit pas, par l'effet de cet arrêté, privée de la possibilité de circuler sur la place de la mairie de Saintry-sur-Seine. Par ailleurs, si l'interdiction précitée s'applique tous les jours de la semaine sans exception, elle se limite toutefois strictement à la plage horaire durant laquelle les troubles qu'elle vise à réprimer ont tendance à se produire, à savoir entre 18h et 7h. En outre, compte tenu de la proximité immédiate existant entre le parvis de la mairie, la pharmacie et l'esplanade de la demi-lune, le maire a pu légalement étendre l'interdiction prononcée à l'ensemble de ce périmètre, afin d'éviter que les rassemblements ne se déplacent vers un autre espace public situé dans l'environnement immédiat de la mairie. Enfin et surtout, il ressort des pièces du dossier qu'en raison, tant de la faiblesse des effectifs des forces de gendarmerie et de police municipale, cette dernière ne comptant qu'un seul et unique agent, que de l'absence de réponse judiciaire aux nombreuses plaintes déposées ou de la persistance des troubles à l'ordre public malgré l'engagement des services de l'Etat, le maire ne pouvait, dans les circonstances de l'espèce, prendre aucune autre mesure moins contraignante pour faire cesser les atteintes à l'ordre public exposées au point 13. Il en résulte que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, par l'arrêté attaqué, le maire de Saintry-sur-Seine a pris une mesure qui n'était pas adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande.
Sur les frais d'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la commune de Saintry-sur-Seine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme demandée par la commune de Saintry-sur-Seine au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme AR... et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Saintry-sur-Seine présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme AS... AR..., première dénommée en application du troisième alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative et à la commune de Saintry-sur-Seine.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Massias, présidente de la cour,
M. Camenen, président-assesseur,
Mme Bahaj, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.
La rapporteure,
C. Bahaj
La présidente,
N. Massias
La greffière,
C. Richard
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23VE00082