La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/05/2025 | FRANCE | N°23VE01502

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 27 mai 2025, 23VE01502


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS) Centre Val-de-Loire à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du harcèlement moral dont il aurait été victime et de mettre à la charge du CREPS Centre Val-de-Loire la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



P

ar un jugement n° 2004737 du 2 mai 2023, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS) Centre Val-de-Loire à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du harcèlement moral dont il aurait été victime et de mettre à la charge du CREPS Centre Val-de-Loire la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2004737 du 2 mai 2023, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande et a condamné M. A... à payer la somme de 1 000 euros au CREPS Centre Val-de-Loire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 juillet 2023 et 17 avril 2025, M. A..., représenté par M. E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le CREPS Centre Val-de-Loire à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral consécutif aux faits de harcèlement moral subis ;

3°) de mettre à la charge du CREPS Centre Val-de-Loire le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les agissements de la direction du CREPS sont constitutifs d'un harcèlement moral car il a été victime d'une agression verbale de la part de l'agent comptable de l'établissement, il a été confronté à un refus illégitime du bénéfice de la protection fonctionnelle à la suite de cette agression, il a subi une perte de responsabilité professionnelle et de rémunération, il a été porté atteinte à ses attributions syndicales, il a fait l'objet de dénigrements et d'une tentative de mise à l'écart illustrée par des pressions de la direction sur les agents du service et il a été confronté à une instruction déloyale de sa demande de reconnaissance d'accident de service ;

- la réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de ce harcèlement moral doit être évaluée à la somme de 15 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 5 mai 2025, le CREPS Centre Val-de-Loire conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- aucun fait de harcèlement moral n'est établi ; l'incident survenu le 17 novembre 2017 revêt un caractère isolé et est survenu dans un contexte particulier où M. A... avait bâclé son travail ;

- la protection fonctionnelle a été refusée simplement du fait que ses conditions d'octroi n'étaient pas réunies ;

- la décision mettant fin à ses fonctions de responsable du département formation n'est en rien une sanction déguisée et répond à une nécessité de service ;

- aucune atteinte à ses attributions syndicales n'est établie et il n'a pas fait l'objet de mise à l'écart du personnel ;

- la perte de rémunération d'une journée de travail est justifiée ;

- le secret médical n'a pas été méconnu ;

- le CREPS n'a exercé aucune pression sur ses agents ;

- la procédure devant la commission de réforme était régulière ;

- aucun harcèlement moral ne peut ainsi être retenu.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n°85-565 du 30 mai 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me E... pour M. A... et de Me Sallé pour le CREPS Centre Val de Loire.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A..., professeur de sport recruté par le ministère chargé des sports en 2009, a été affecté au Centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS) Centre Val-de-Loire en tant que coordonnateur de formation en 2011 et promu au poste de responsable du département formation à compter du 1er janvier 2017. S'estimant victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de la direction du CREPS Centre Val-de-Loire, depuis une altercation le 17 novembre 2017 avec l'agent comptable de l'établissement, membre de la direction, M. A... a formé une demande indemnitaire préalable d'un montant de 15 000 euros le 2 novembre 2020, qui a été rejetée le 14 novembre 2020. M. A... relève appel du jugement du 2 mai 2023 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices dont il estime avoir été victime et a mis à sa charge le versement de la somme de 1 000 euros au CREPS Centre Val-de-Loire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction applicable au litige, " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

3. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent, auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements, et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. Enfin, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

5. Il résulte de l'instruction que si M. A... a été l'objet de propos agressifs et d'insultes de la part de l'agent comptable du CREPS le 17 novembre 2017, ces faits, bien qu'inacceptables, n'ont eu qu'un caractère isolé, le directeur du CREPS ayant pris des mesures dès le 20 novembre 2017 afin de mettre un terme à la situation de tension existant entre l'agent comptable et M. A... et de réparer le préjudice subi par ce dernier, notamment en recueillant les excuses de l'agent comptable et lui adressant un rappel. En outre, si M. A... soutient que la décision du directeur du CREPS du 14 décembre 2017 mettant fin à ses fonctions de responsable de département formation constitue une sanction déguisée constitutive de harcèlement moral, il résulte de l'instruction que cette décision est motivée notamment par le traitement tardif et peu scrupuleux, par M. A..., d'un important dossier de subvention, à l'origine du litige avec l'agent comptable et ayant mis l'ensemble des services en difficulté. Par ailleurs, M. A... avait précédemment été rappelé à l'ordre, en 2012, sur le respect des délais par l'ancien directeur du CREPS. Ainsi, l'altercation subie par M. A... le 17 novembre 2017, le refus de lui accorder la protection fonctionnelle à la suite de cette altercation et le retrait de ses fonctions ne peuvent être regardés comme constitutifs de faits de harcèlement moral. Il en est de même du retrait supposé des attributions syndicales du requérant, d'une perte de rémunération injustifiée et du fait qu'il aurait été victime d'une atteinte au secret médical de la part de sa hiérarchie, l'ensemble de ces faits, soit n'étant pas constitutifs de faits de harcèlement moral, soit trouvant leur origine pour partie, notamment en ce qui concerne la perte des fonctions de responsable formation, dans les manques professionnels de M. A....

6. M. A... soutient par ailleurs qu'il a fait l'objet de dénigrements et d'une volonté de l'isoler, qui dépassent le cadre normal des fonctions d'un chef de service.

7. Il fait tout d'abord valoir que la direction du CREPS a exercé des pressions sur les agents de service afin de l'isoler. Il produit à cet effet une attestation d'un professeur de sport stagiaire, dont il était le tuteur, affirmant que le directeur du CREPS a, lors de la réunion du département formation du 24 novembre 2017, demandé au personnel de ne plus adresser la parole à M. A... en dehors du cadre strictement professionnel. Si ces propos ne ressortent pas du compte-rendu de la réunion, signé par le directeur du CREPS et par la représentante du personnel, l'administration ne produit aucun élément ou témoignage de nature à établir que de tels propos n'auraient pas été tenus.

8. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment de la lettre du 20 décembre 2017 que le directeur du CREPS regarde M. A... comme ayant harcelé Mme B..., agent comptable, au motif qu'il a formé une demande de protection fonctionnelle à la suite de l'altercation du 17 novembre 2017, en ajoutant qu'il a blessé cette dernière par cette action et fait preuve de malveillance, opérant ainsi un renversement de rôles entre cet agent comptable et M. A.... Cette attitude de dénigrement du directeur du CREPS à l'encontre de M. A... ressort aussi de la lettre qu'il a adressée à la commission de réforme départementale le 1er août 2019 dans laquelle il qualifie M. A... de malhonnête, menteur et manipulateur ayant comme seule intention de nuire dans le service, alors qu'il ne s'agissait pour la commission de réforme que de statuer sur la reconnaissance d'accident de service de M. A... à la suite de l'arrêt de travail du 23 novembre 2017 au 1er décembre 2017 au vu de l'expertise médicale, favorable à M. A... et de l'avis du médecin du travail, lui aussi favorable. Enfin, il résulte des échanges de mails entre M. A... et M. C..., ancien directeur adjoint du CREPS au moment des faits en litige que le directeur du CREPS a adopté une attitude nettement hostile à M. A... en entendant le dénigrer dans le but de défendre l'agent comptable.

9. Il résulte de tout ce qui a été dit aux points 7 et 8 que ces agissements tendant à isoler M. A... et à le dénigrer ne peuvent trouver leur justification dans les manques professionnels de M. A... et, ayant excédé le cadre normal des relations professionnelles et le rôle d'un chef de service, doivent être qualifiés de harcèlement moral, ayant au surplus conduit M. A... à demander à quitter le CREPS.

10. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A... en raison des faits de harcèlement moral qu'il a subis, en condamnant le CREPS Centre Val-de-Loire à lui verser une somme de 3 000 euros.

Sur les frais liés au litige

11. M. A... n'étant pas la partie perdante, les conclusions du CREPS Centre-Val-de Loire tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CREPS Centre Val-de-Loire une somme de 2 000 euros à verser à M. A... en application de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le CREPS Centre Val-de-Loire est condamné à verser à M. A... la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi.

Article 2 : Le CREPS Centre Val-de-Loire versera la somme de 2 000 euros à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du CREPS Centre Val-de-Loire tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le jugement n° 2004737 du 2 mai 2023 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au Centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS) Centre Val-de-Loire.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Massias, présidente,

M. Pilven, président assesseur,

M. Ablard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025

Le rapporteur,

J-E. PilvenLe président,

N. MassiasLa greffière,

F. Petit-Galland

La République mande et ordonne à la ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23VE01502002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE01502
Date de la décision : 27/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MASSIAS
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : ITEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-27;23ve01502 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award