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26/05/2025 | FRANCE | N°23VE00485

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 3ème chambre, 26 mai 2025, 23VE00485


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 213 361,70 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis en raison de la carence de l'État à verser aux organismes de sécurité sociale les cotisations de sécurité sociale, de contribution sociale généralisée et de contribution pour le remboursement de la dette sociale afférentes à ses revenus tirés d'expertises judiciaires qu'il

a réalisées.



Par un jugement n° 2002432 du 30 janvier 2023, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 213 361,70 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis en raison de la carence de l'État à verser aux organismes de sécurité sociale les cotisations de sécurité sociale, de contribution sociale généralisée et de contribution pour le remboursement de la dette sociale afférentes à ses revenus tirés d'expertises judiciaires qu'il a réalisées.

Par un jugement n° 2002432 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 3 mars 2023 et 2 septembre 2024, M. B..., représenté par Me Bocognano, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 213 361,70 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2020, et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de la carence de l'État à verser, à sa place, des cotisations de sécurité sociale, de contribution sociale généralisée et de contribution pour le remboursement de la dette sociale afférentes à ses revenus tirés d'expertises judiciaires qu'il a réalisées ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il appartenait à l'État, en application des dispositions des articles L. 311-2 et L. 311-3 (21°) du code de la sécurité sociale, de verser aux organismes de sécurité sociale les cotisations sociales, la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale au titre des sommes qui lui ont été versées pour la réalisation d'expertises médicales judiciaires ; en ne procédant pas à ces versements depuis le 1er janvier 2000, l'État a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- son activité d'expertise, eu égard au temps qu'il y a consacré et à la rémunération qu'elle lui a apportée par rapport à son activité de médecin psychiatre libéral, doit être regardée comme occasionnelle au sens des dispositions précitées ;

- il n'a formulé aucune demande expresse, auprès de l'État employeur, de rattachement de ses revenus à ceux de son activité d'indépendant ;

- les préjudices dont il est fondé à demander réparation se décomposent comme suit :

*un préjudice financier lié au paiement de ses cotisations sociales, évalué entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018, à la somme totale de 193 361,70 euros ;

*des troubles dans ses conditions d'existence liés à l'indisponibilité de l'argent ayant servi à payer les cotisations sociales pendant dix-sept ans et au temps nécessaire pour calculer les sommes en jeu, évalués à une somme totale de 10 000 euros ;

*un préjudice moral lié à l'atteinte à sa réputation engendrée par la présente procédure, évalué à la somme totale de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 avril 2024, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la preuve du caractère accessoire de l'activité n'est pas apportée ;

- les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2000-35 du 17 janvier 2000 ;

- le décret n° 2019-390 du 30 avril 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Danielian,

- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bocognano, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., qui exerce une activité de médecin psychiatre dans un cadre libéral, a effectué, à la demande du juge judiciaire, depuis 1996, des expertises pénales et civiles, sur le fondement des articles 264 et 695 du code de procédure civile et R. 92 du code de procédure pénale. Il déclare avoir versé à cette occasion entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018 des cotisations sociales ainsi que la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale aux organismes chargés de leur recouvrement. Estimant qu'il appartenait en réalité à l'État de les verser sur le fondement des dispositions des articles L. 311-2 et L. 311-3 (21°) du code de la sécurité sociale, il a, par une demande préalable reçue le 30 janvier 2020, sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice le versement d'une indemnité de 213 361,70 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en sa qualité de collaborateur occasionnel du service public à raison de cette carence fautive. Cette demande a été implicitement rejetée. M. B... relève appel du jugement du 30 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande indemnitaire.

2. Aux termes de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale : " Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. ".

3. Les dispositions du 21° de l'article L. 311-3 du même code, dans ses différentes versions applicables entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018, incluaient dans le régime général prévu aux dispositions de l'article L. 311-2 précité les personnes qui, de façon occasionnelle, soit exerçaient pour le compte de personnes publiques une activité dont la rémunération est fixée notamment par décision de justice, soit contribuaient à l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif pour le compte d'une personne publique. Il n'en allait autrement que lorsque, sur leur demande, ces personnes étaient rattachées au régime des travailleurs indépendants.

4. Aux termes de l'article 1er du décret du 17 janvier 2000, en vigueur du 1erer août 2000 au 1er janvier 2016 : " Pour l'application du 21° des dispositions de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, les activités mentionnées audit 21° sont celles effectuées par les personnes suivantes : / (...) 1° Les personnes mentionnées au 3° et au 6° de l'article R. 92 du code de procédure pénale ; / 2° Les experts désignés par le juge (...) / (...) L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics administratifs en dépendant et les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public administratif qui font appel aux personnes mentionnées ci-dessus versent les cotisations de sécurité sociale, la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-4 du code de la sécurité sociale (...) ". Et aux termes de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2016 en application de l'article 3 du décret n° 2019-390 du 30 avril 2019 : " Les personnes qui contribuent de façon occasionnelle à l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif au sens des dispositions du 21° de l'article L. 311-3 sont : / (...) 3° Les médecins et les psychologues exerçant des activités d'expertises médicales, psychiatriques, psychologiques ou des examens médicaux, rémunérés par l'Etat en application des dispositions de l'article R. 91 du code de procédure pénale ou par les parties au procès en application des dispositions des articles 264 et 695 du code de procédure civile et qui ne sont pas affiliés à un régime de travailleurs non-salariés. (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018, période en litige, les experts devant les tribunaux devaient, lorsqu'ils avaient la qualité de collaborateurs occasionnels du service public au sens de ces dispositions, être obligatoirement affiliés au régime général de la sécurité sociale au titre du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, sauf s'ils renonçaient à cette affiliation et exerçaient leur droit d'option au rattachement au régime des travailleurs indépendants.

6. Pour présenter un caractère occasionnel au sens des dispositions applicables au litige citées aux points 2 à 5, l'activité d'expertise devant les tribunaux doit être exercée de manière accessoire à une activité principale ou si elle est exercée à titre exclusif, elle doit l'être de façon discontinue, ponctuelle et irrégulière.

7. M. B..., qui a régulièrement été désigné en qualité d'expert par les juridictions judiciaires au titre des années en cause et n'a pas opté pour son rattachement au régime des travailleurs indépendants, fait valoir que son activité d'expertise, eu égard au temps qu'il y a consacré et à la rémunération qu'elle lui a apportée par rapport à son activité de médecin psychiatre libéral, doit être regardée comme occasionnelle. Il résulte toutefois de l'instruction, ainsi que l'a relevé le tribunal, et notamment des relevés de compte bancaire produits, que M. B..., qui ne fournit pas l'ensemble des ordonnances de taxation dont il a bénéficié, a fait l'objet entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018 de trois cent-vingt virements bancaires uniques intitulés " paiement de taxe à l'expert ", soit une moyenne de soixante-quatre virements par année. Indépendamment de ces données, le requérant allègue avoir réalisé quatre-vingt-dix expertises en 2014, cette estimation étant " transposable aux quatre années suivantes ". Rapportées au nombre de semaines que compte une année, soustraction faite des semaines de congés annuels, ces données témoignent de ce que le requérant a été désigné, au titre de son activité d'expertise, entre 1,36 et 1,91 fois par semaine, ce qui n'est pas sérieusement contesté, alors au demeurant que plusieurs des devis fournis par l'intéressé lui-même évaluent jusqu'à treize heure le temps nécessaire à la réalisation d'une expertise. En outre, le tableau récapitulatif dressé par son expert-comptable fait état de ce que son activité d'expertise médicale lui a procuré des revenus allant de 80 418 euros à 255 022 euros brut par an représentant une part substantielle de son activité, soit 51,29 % de ses recettes encaissées en 2014, 56,28 % en 2015, 67,49 % en 2016, 81,53 % en 2017 et 77,79 % en 2018. Eu égard au nombre de missions d'expertises réalisées annuellement et à l'importance des revenus générés par celles-ci au cours de chacune de ces années, supérieurs à ceux perçus au titre de ses consultations libérales, son activité d'expert devant les tribunaux ne peut être regardée comme accessoire ni même occasionnelle, mais comme présentant, au cours de cette période, un caractère régulier. Dans ces conditions, M. B... ne peut être regardé comme ayant eu, entre 2014 et 2018, la qualité de collaborateur occasionnel du service public, au sens et pour l'application du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, sans qu'y fasse obstacle la circonstance, au demeurant postérieure, dont il se prévaut, qu'il aurait bénéficié, en 2023, de la protection fonctionnelle en sa qualité de collaborateur occasionnel du service public, dont l'acception est distincte et indépendante de celle précitée en matière sociale. Par suite, en ne l'affiliant pas durant cette période au régime général et en ne procédant pas au versement des cotisations et contributions sociales dues aux organismes de recouvrement au titre de ses missions d'expertise, l'État n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde de Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,

Mme Danielian, présidente assesseure,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 mai 2025.

La rapporteure,

I. DanielianLa présidente,

L. Besson-LedeyLa greffière,

A. Audrain-Foulon

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE00485


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00485
Date de la décision : 26/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Isabelle DANIELIAN
Rapporteur public ?: M. ILLOUZ
Avocat(s) : SELARL BLANC-TARDIVEL-BOCOGNANO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-26;23ve00485 ?
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