Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2018 par lequel la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours lui a infligé une sanction disciplinaire de déplacement d'office et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de cette sanction disciplinaire.
Par un jugement n° 1902289 du 29 juin 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 août 2022 et le 26 avril 2024, Mme A..., représentée par Me Bonnin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de solliciter, avant-dire-droit, les annexes au rapport d'enquête administrative figurant dans son dossier disciplinaire ;
3°) d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2018 par lequel la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours lui a infligé une sanction disciplinaire de déplacement d'office ;
4°) d'enjoindre au recteur de l'académie d'Orléans-Tours de la réaffecter en tant que professeure au lycée Denis Papin de Romorantin-Lanthenay ;
5°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, elle a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel, y compris les procès-verbaux d'audition des personnes entendues dans le cadre de la procédure disciplinaire ; par exception, certains témoignages peuvent ne pas être communiqués si, au regard de leur contenu, ils peuvent porter gravement préjudice à leur auteur ; la commission d'accès aux documents administratifs s'est déclarée favorable à la communication intégrale du rapport d'enquête administrative, comprenant les témoignages recueillis dans l'établissement ; le recteur ne peut sérieusement soutenir que la communication de ces témoignages porterait préjudice à leurs auteurs dès lors qu'elle n'a aucune fonction d'encadrement et qu'aucune suite pénale n'a été donnée aux plaintes déposées ; elle a été privée d'une garantie viciant la procédure disciplinaire menée à son encontre ;
- la sanction disciplinaire est fondée sur des faits inexacts ;
* elle n'a pas perturbé le fonctionnement du conseil d'administration, ni porté atteinte à la fonction de chef d'établissement ; elle n'a fait qu'exercer son mandat syndical et n'a jamais usé de termes incorrects ; ses propos n'ont jamais consisté en des attaques personnelles ; sa liberté d'expression fait, en plus, l'objet d'une protection renforcée dans le cadre d'une activité syndicale ;
* elle n'a pas fait pression sur des collègues pour qu'ils refusent d'effectuer des heures supplémentaires ; aucun témoignage ne vient corroborer ce fait ;
* elle n'a pas manqué à son devoir d'obéissance hiérarchique ; elle avait droit de diffuser l'affiche " je suis Anissa ", qui ne contenait aucune offense, en soutien à une collègue ; la carte " ich bin Anissa " n'est pas de son fait ;
- la sanction est disproportionnée ;
- elle a souffert de cette sanction et reste suivie par un psychiatre ; elle justifie d'un préjudice indemnisable à hauteur de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2024, le recteur de l'académie d'Orléans-Tours conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La demande d'aide juridictionnelle de Mme A... a été rejetée par une décision du 31 mai 2022 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Versailles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Liogier,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,
- et les observations de Me Bonnin et les explications de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., professeure de lycée professionnel, était affectée au lycée Denis Papin à Romorantin-Lanthenay. Elle exerçait également des fonctions syndicales et siégeait notamment en qualité de membre élue au sein du conseil d'administration de ce lycée. Après que le proviseur a signalé des difficultés au sein de son établissement, une enquête administrative a été diligentée, à l'issue de laquelle un rapport a été rendu. Par un arrêté du 19 décembre 2018, la rectrice de l'académie d'Orléans-Tours a pris à l'encontre de Mme A... une sanction de déplacement d'office. Mme A... fait appel du jugement du 29 juin 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à l'indemnisation du préjudice moral subi du fait de l'illégalité de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes (...) ". Dans le cas où, pour prendre une sanction à l'encontre d'un agent public, l'autorité disciplinaire se fonde sur le rapport établi par une mission d'inspection, elle doit mettre cet agent à même de prendre connaissance de celui-ci ou des parties de celui-ci relatives aux faits qui lui sont reprochés, ainsi que des témoignages recueillis par les inspecteurs dont elle dispose, notamment ceux au regard desquels elle se détermine. Toutefois, lorsque résulterait de la communication d'un témoignage un risque avéré de préjudice pour son auteur, l'autorité disciplinaire communique ce témoignage à l'intéressé, s'il en forme la demande, selon des modalités préservant l'anonymat du témoin. Elle apprécie ce risque au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l'agent public mis en cause, sans préjudice de la protection accordée à certaines catégories de témoins par la loi. Dans le cas où l'agent public se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d'une pièce ou d'un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments qui ont été communiqués à l'agent, si celui-ci a été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense.
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme A..., qui a conduit au prononcé de la sanction de déplacement d'office, a été prise au vu du rapport d'enquête administrative rendu le 3 juillet 2018 après une enquête sur site. L'arrêté du 19 décembre 2018 pris à l'encontre de Mme A... précise notamment que ce rapport fait état de " témoignages concordants " des personnels auditionnés par les inspecteurs " sur le comportement inapproprié de Mme A... et sur sa responsabilité dans le climat délétère de l'établissement ". L'arrêté retient que, par ce comportement, Mme A... porte atteinte au bon fonctionnement du conseil d'administration, nuit aux relations extérieures de l'établissement, porte atteinte aux fonctions et à la personne du proviseur, qu'elle exerce des pressions et des violences verbales sur ses collègues ayant créé de la souffrance au travail et qu'elle a manqué à son devoir d'obéissance.
4. Il est constant que si le rapport d'inspection a pu être consulté par Mme A... les 5 septembre et 4 octobre 2018, les procès-verbaux d'audition des collègues interrogés dans l'établissement ne l'ont pas été, seuls des extraits ayant été cités, de façon anonyme, dans le rapport d'enquête. Toutefois, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier, et notamment des documents mentionnés dans le rapport d'enquête et du procès-verbal de la commission administrative paritaire académique siégeant en formation disciplinaire, que les reproches faits à Mme A..., rappelés au point précédent, n'étaient pas exclusivement fondés sur ces témoignages anonymes. Ainsi, les faits qui lui étaient reprochés étaient également étayés par l'analyse des procès-verbaux du conseil d'administration du lycée et par l'examen du registre santé et sécurité au travail dans lequel trois agents, nommément désignés dans le rapport, ont indiqué souffrir de " maltraitance au travail, malaise, stress intense ", en désignant Mme A... comme en étant responsable. Ils se fondaient également sur les témoignages oraux et écrits non anonymisés, tels que ceux du proviseur du lycée, du proviseur adjoint, de l'agent comptable, d'une professeure, de la proviseure d'un lycée voisin, d'un médecin de prévention, d'une inspectrice de l'éducation nationale, de deux anciens proviseurs adjoints ou encore du directeur académique des services de l'éducation nationale du Loir-et-Cher, faisant état du comportement de Mme A... dans l'établissement, en particulier envers le proviseur. Enfin, le rapport faisait état du témoignage des inspecteurs eux-mêmes ayant constaté, par exemple, plusieurs agents en pleurs lors de leurs auditions en raison du climat très dégradé du fait de la situation dans l'établissement, et de leur analyse des statistiques des arrêts maladie des agents de l'établissement, supérieurs à la moyenne. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la production des annexes au rapport d'enquête, Mme A... n'a pas été privée d'une garantie en n'ayant pas communication de l'intégralité des témoignages anonymes réunis par l'enquête administrative dès lors qu'elle a eu communication de ces autres éléments, qui étaient suffisamment précis et étayés pour lui permettre de contester les faits qui lui étaient reprochés, ce qu'elle a d'ailleurs fait pendant près de treize heures lors de la séance de la commission administrative paritaire académique. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 19 précité de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. / Dans l'exercice de ses fonctions, il est tenu à l'obligation de neutralité. / (...) Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. / Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité (...) ". Aux termes de l'article 28 de la même loi : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public (...) ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dans sa version applicable au présent litige : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / (...) / Deuxième groupe : /(...) / - le déplacement d'office. ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. Si les agents publics qui exercent des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d'expression particulière qu'exigent l'exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu'ils représentent, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques. En particulier, des propos ou un comportement agressif à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un autre agent sont susceptibles, alors même qu'ils ne seraient pas constitutifs d'une infraction pénale, d'avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.
7. D'une part, Mme A... conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés, en particulier l'atteinte au bon fonctionnement du conseil d'administration, ses pressions sur ses collègues et son manquement au devoir d'obéissance. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que plusieurs témoignages convergent pour constater la durée excessivement longue des conseils d'administration, ralentis par les interruptions fréquentes et inopportunes de Mme A..., dès le stade de l'approbation du procès-verbal de la séance précédente, la mise en cause régulière du proviseur, ses questions répétées de manière identique, sans rapport avec l'importance du sujet, le caractère irrespectueux, voire agressif à l'égard du proviseur, de ses interventions, et même une absence délibérée lors d'une séance de l'année 2015-2016 pour que le quorum ne soit pas atteint et la séance reportée. Ces éléments transparaissent des procès-verbaux de conseils d'administration, analysés par les deux inspecteurs qui notent, notamment, une " tension qui se cristallise au fils des années, perceptible dans les PV " et témoignent d'une volonté de perturber le fonctionnement de cette instance. En outre, il ressort des pièces du dossier que le proviseur et trois autres professeurs ont exprimé leur souffrance au travail et désigné nommément Mme A... comme responsable de cette situation. Ces trois professeurs ont rempli une fiche dans le registre de santé et sécurité au travail faisant mention de " maltraitance au travail, malaise, stress intense ", l'un d'entre eux ayant également porté plainte contre Mme A... pour harcèlement moral. Il ressort également du témoignage du proviseur, des différents autres cadres du lycée, ainsi que du courrier du 9 janvier 2013 de la précédente proviseure du lycée, que Mme A... a adopté, pendant plusieurs années et de manière répétée, en particulier à l'encontre du chef d'établissement, des comportements irrespectueux, notamment pendant les conseils d'administration, a émis des remarques désobligeantes tendant à le mettre en défaut et a remis en cause de manière répétée son travail. Par ailleurs, contrairement à ce que la requérante soutient, plusieurs personnes ont pu témoigner lors de la commission administrative paritaire de ce qu'elle avait émis des commentaires désobligeants, voire injurieux, à l'égard de collègues au motif qu'ils avaient accepté des heures supplémentaires, la requérante ne se bornant pas, ainsi qu'elle le prétend, à rappeler la position de son syndicat sur cette question. Enfin, s'agissant de l'affiche " je suis Anissa ", publiée sur le panneau d'affichage syndical en soutien à une collègue en conflit avec le proviseur, s'il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'est pas l'auteure de la formule inscrite en allemand sur la carte de soutien pour cette collègue, que le proviseur a interprétée comme le visant personnellement, la requérante ne conteste toutefois pas que plusieurs collègues et le proviseur se sont dits choqués par la formule utilisée sur l'affiche, que le proviseur lui a demandé de la retirer et qu'elle a refusé de le faire. De plus, les témoignages produits par la requérante, qui attestent principalement de son implication syndicale et du soutien de collègues dans des situations individuelles, ne suffisent pas à contredire l'ensemble des éléments précis et concordants rappelés ci-dessus. Le ministre fait d'ailleurs valoir, sans être contredit, que ces attestations émanent, dans leur majorité, de plusieurs professeurs qui n'ont exercé que quelques mois dans ce lycée, de deux représentants syndicaux qui ne connaissent pas de personnels sur place, d'un parent d'élève et d'une conseillère régionale qui ne sont pas au contact des collègues de Mme A... et ne siégeaient d'ailleurs plus au conseil d'administration au moment de l'enquête. Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments précis et concordants, de leur caractère répété et de la gravité des signalements émis par le proviseur et les trois collègues de la requérante faisant état de leur souffrance, Mme A... a porté atteinte, par son comportement vis-à-vis du proviseur et de ses collègues, à la fonction du chef d'établissement, au bon fonctionnement de l'établissement et à son devoir d'obéissance. Ces faits, qui excèdent la liberté d'expression que tient la requérante de son mandat syndical, sont de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.
8. D'autre part, s'il est vrai que Mme A... justifie de témoignages en sa faveur, ainsi qu'il vient d'être dit, en particulier sur son implication comme représentante du personnel dans la défense de personnels dans des situations individuelles, eu égard au caractère répété des manquements rappelés au point précédent à leur gravité et à l'atteinte portée au bon fonctionnement du service, la sanction de déplacement d'office est proportionnée à la gravité et à la nature des faits commis.
9. En dernier lieu, il s'ensuit que la sanction infligée à Mme A... n'est pas illégale et en l'édictant, la rectrice n'a ainsi commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, les demandes indemnitaires de Mme A... ne peuvent qu'être rejetées.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée y compris, en conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie sera adressée au recteur de l'académie d'Orléans-Tours.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente,
M. de Miguel, premier conseiller,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mai 2025.
La rapporteure,
C. LiogierLa présidente,
L. Besson-Ledey
La greffière,
T. TollimLa République mande et ordonne à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE02044 2